Regards sur la société
Publié le 15 septembre 2017 | Par Simon Langlois
De société distincte à nation québécoise – 3e partie
La réception du livre bleu sur la nation québécoise a été tiède et polie au Canada anglais, hormis le commentaire cavalier du premier ministre Justin Trudeau au pied d’un escalier du parlement d’Ottawa, formulé sans même l’avoir lu. La question québécoise est disparue du radar en cette année du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, mais il importe de rappeler que le statut constitutionnel du Québec au sein du Canada est encore problématique, notamment en ce qui concerne sa capacité à légiférer en matière linguistique. Dans ce 3e billet sur le livre bleu Québécois, notre façon d’être Canadien, je souligne les raisons d’un accueil aussi tiède.
La confédération canadienne, projet inachevé
La Confédération canadienne est un projet inachevé. Les Premières Nations le rappellent, mais leurs leaders n’ont pas encore formulé de propositions claires de réformes constitutionnelles. Le contenu d’un nouvel ordre de gouvernement dont ils font la promotion n’est pas encore articulé de manière opérationnelle.
Il en va différemment pour le Québec, qui a déjà explicité plusieurs éléments à négocier lors d’une éventuelle ronde de discussion constitutionnelle. Ces éléments ont été rappelés dans le récent livre bleu du gouvernement, mais la table n’est pas encore mise pour de telles négociations.
Les raisons de l’indifférence
La 1re raison expliquant cette indifférence est que le Canada anglais n’a plus envers le Québec francophone la mauvaise conscience qu’il avait jusqu’à la fin des années 1970. La commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1970) avait, en effet, diagnostiqué la situation d’infériorité économique et sociale des francophones québécois, ce qui avait alors soulevé un malaise au sein de l’élite canadienne-anglaise (et au sein de la gauche en particulier). Ces travaux avaient éveillé un désir de renouveler la Constitution canadienne et d’y définir le statut du Québec comme «société distincte», selon les mots mêmes du rapport préliminaire paru en 1965. Mais on sait que Pierre Elliott Trudeau, nouvellement élu (1968), a opposé une fin de non-recevoir à un tel statut particulier rêvé par les fédéralistes québécois.
Ce malaise et cette «mauvaise conscience» sont disparus devant les acquis de la Révolution tranquille et dans la foulée de l’affirmation réussie du modèle québécois. Le capital de sympathie d’une partie de la gauche canadienne envers le nationalisme québécois s’est estompé après l’échec de l’accord du lac Meech (1990), au moment de la négociation de l’Accord de libre-échange entre le Canada les États-Unis sous le gouvernement Mulroney (1992) et, surtout, après le 2e référendum sur la souveraineté du Québec (1995). Le nationalisme québécois a alors été perçu sous un angle négatif (en étant qualifié d’«ethnique»), ce qui a rendu plus difficile la reconnaissance de la place particulière du Québec dans la Constitution canadienne.
Le fédéralisme asymétrique, amorcé sous le gouvernement de Lester B. Pearson (1963-1968), a continué de s’affirmer, mais de manière nettement plus timide (ententes sur l’immigration et sur la santé, par exemple) sans qu’il soit question de reprendre les négociations constitutionnelles. Du point de vue des élites canadiennes-anglaises, il n’y a ni nécessité ni urgence de rouvrir le dossier et, ces derniers temps, la «mauvaise conscience» s’est déplacée vers les Autochtones du pays.
La 2e raison se trouve du côté de la refondation de l’État fédéral et de l’identité canadienne. La morphologie du pays s’est radicalement transformée avec l’immigration depuis un demi-siècle, et le gouvernement fédéral s’est plus que jamais affirmé comme gouvernement national. Le biculturalisme du temps de la commission Laurendeau-Dunton a cédé le pas devant le multiculturalisme. Même si elles tiennent à leur autonomie, les provinces canadiennes acceptent les grandes politiques nationales et il y a peu d’appétit pour reconnaître les particularismes de la province francophone. «Le magasin général est fermé», disait Jean Chrétien.
Une 3e raison nuit aux tentatives de réformes constitutionnelles: le caractère très complexe de la formule d’amendement. Il sera difficile pour le Québec de s’assurer le consensus nécessaire pour emporter l’adhésion devant les revendications historiques rappelées dans le livre bleu. La formule générale, dite «7/50», exige l’accord de 7 provinces totalisant 50% de la population canadienne. Certaines modifications requièrent l’unanimité des provinces (sur la place du sénat ou sur la Charte canadienne des droits et libertés, par exemple). De son côté, le Parlement fédéral a adopté une loi contraignante encadrant les négociations constitutionnelles, et certaines provinces (dont la Colombie-Britannique) ont statué que tout projet d’accord ou d’amendement devrait être soumis à référendum auprès de ses citoyens. Bref, bien des écueils à surmonter.
Le nécessaire appui des Autochtones
Il est maintenant acquis que tout projet de réforme de la Constitution devra aussi comporter un volet autochtone, ce qui rendra le processus encore plus complexe. Le livre bleu réaffirme la reconnaissance officielle des nations autochtones: «Le Québec pratique déjà depuis plusieurs années une relation de nation à nation avec les peuples autochtones sur son territoire. Il entend poursuivre dans cette voie» (p. 143). L’entente de la Baie-James et la Paix des braves ont pavé la voie à l’établissement de relations modernes dans cette perspective. Plusieurs initiatives dans le cadre d’un «plan d’action gouvernemental intégré en matière de développement social et culturel autochtone» ont déjà été prises ou sont en cours de discussion.
En posant ces gestes, l’État québécois pourra-t-il susciter des appuis et contrer des réticences du côté des nations autochtones dans ses propres démarches? Cela n’est pas du tout certain. Pourtant, les nations amérindiennes auraient avantage à ce que la nation québécoise soit reconnue officiellement dans la Constitution canadienne, car cela confirmerait le caractère plurinational du Canada et, par effet d’entraînement, consoliderait les efforts de reconnaissance officielle des nations autochtones.
Une question mérite d’être posée: ne serait-il pas temps que les leaders autochtones se prononcent sur la reconnaissance de la nation québécoise? Négocier de nation à nation n’implique-t-il pas une reconnaissance de part et d’autre?
La vie continue
Le Québec n’a pas officiellement adhéré à la Loi constitutionnelle de 1982 et il n’a pas acquis son indépendance politique. Les rendez-vous manqués (négociations constitutionnelles, référendums) n’ont cependant pas empêché la société québécoise de changer et de se développer. Les nouveaux contours de la nation québécoise sont bien balisés et sont l’objet d’un large consensus; le livre bleu du gouvernement Couillard rend bien compte de cette réalité.
La nation québécoise a changé et s’est refondée sociologiquement. Il reste à la Constitution canadienne, négociée il y a 150 ans et rapatriée en 1982, à en prendre acte.
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Ce billet est le 3e d’une série sur le livre bleu Québécois, notre façon d’être Canadiens et le concept de nation québécoise. Pour lire les autres billets:
- De société distincte à nation québécoise – 1re partie
- De société distincte à nation québécoise – 2e partie
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