Propos d'un écoloquace
Publié le 17 octobre 2013 | Par André Desrochers
Le principe de précaution: un couteau à double tranchant
Quand le protagoniste d’un projet de conservation est à court de données ou d’arguments pour défendre son projet, son arme de dernier recours sera souvent «le principe de précaution». Avouez que le terme est séduisant. Ce principe du «mieux vaut prévenir que guérir» existe en plusieurs variantes, mais pour les fins du présent billet, utilisons celle de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (1992):
«Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.»1
La précaution, c’est comme la tarte aux pommes; il serait donc difficile de s’y opposer. On attache notre ceinture de sécurité, on installe des alarmes d’incendie. Il tombe aussi sous le sens de ne pas attendre la «certitude scientifique absolue» d’un désastre avant de poser un geste pour prévenir le désastre en question. Ce n’est donc pas surprenant si ce «principe de précaution» est très populaire en environnement. Mais est-il bien appliqué?
Revenir à la base
Le principe de précaution, c’est un bidule d’ingénieur d’abord et avant tout. En fait, il est étroitement lié au concept plus vaste d’évaluation du risque, fréquemment utilisé en génie, en économique ou encore en actuariat. Sans être un expert en la matière, je comprends qu’une évaluation du risque devrait pondérer la gravité et la probabilité des risques des diverses options, afin de choisir la plus rationnelle, sans idée préconçue.
Un classique de l’évaluation du risque est la construction de ponts. Un pont est essentiellement une structure «à risque», mais on le bâtit de manière telle qu’il résisterait à des stress bien supérieurs à ceux qu’il subira probablement. L’excès de solidité (over-engineering) est ici un choix rationnel résultant de 2 réalités:
- Il y a 2 manières de se tromper: soit on le fait trop solide et on aura gaspillé des fonds publics, soit il n’est pas assez solide et des gens vont en mourir;
- Une des 2 erreurs possibles est plus désastreuse que l’autre.
Une science pas toujours exacte
L’évaluation du risque n’a jamais été une science exacte, mais les actuaires et les ingénieurs se tirent bien d’affaire. En se basant sur de solides assises théoriques, ils peuvent chiffrer pour chaque scénario sa gravité en matière de coût et la probabilité qu’il se réalise. Par exemple, non seulement on sait qu’un pont doit être plus solide que nécessaire, mais en génie civil, on peut estimer à quel point.
On ne peut pas en dire autant en matière environnementale. Car comme les économistes, les spécialistes de l’environnement sont aux prises avec des systèmes complexes, voire chaotiques. Combien coûterait la perte d’un habitat de nidification de la paruline du Canada2? À l‘inverse, combien coûterait la sauvegarde de cet habitat? Impossible de savoir sans connaître en détails une multitude d’aspects de l’écologie des populations de cette espèce. Et je ne parle même pas de la valeur réelle de l’espèce aux yeux de la population humaine concernée, celle qui paie la facture ou qui jouit de l’espèce.
Risque à sens unique
Sans quantifier la gravité et la probabilité des erreurs, il devient facile d’abuser du principe de précaution et de s’en servir pour défendre une idéologie. Les gens ne voient pas tous les risques aux mêmes endroits. Trop d’environnementalistes ne voient le risque qu’en termes de déclin d’une espèce, d’un habitat, tout en ignorant le coût de la mesure de conservation proposée. La gestion des gaz à effet de serre, aux coûts faramineux, est un exemple actuel, mais loin d’être le seul. On n’a qu’à penser à toutes les mesures de conservation d’habitats d’espèces menacées, où il est fréquent d’entendre le refrain du principe de précaution pour bloquer tel ou tel projet de «développement». On ne devrait peut-être pas risquer qu’une espèce s’éteigne, mais que faire de la possibilité bien réelle que la mesure proposée soit coûteuse et inefficace? Ne s’agit-il pas aussi d’un risque?
Insatiables, les extrémistes du principe de précaution aimeraient voir le fardeau de la preuve s’inverser. Plutôt que d’évaluer si un projet aurait un effet négatif sur l’environnement, le promoteur devrait démontrer l’indémontrable, soit que son projet n’aura PAS d’impact sur l’environnement.
Un principe risqué?
Je crains qu’à force d’être utilisée à sens unique, l’expression «principe de précaution» ne devienne inodore, incolore et insipide. Ce serait dommage, vu l’importance de l’évaluation du risque en environnement. Pire encore, le principe de précaution mal appliqué pourrait nous amener à dilapider des ressources financières et humaines destinées à la réelle protection de l’environnement. Ces ressources n’existent pas en quantité infinie et méritent donc d’être réparties de manière rationnelle entre les diverses initiatives environnementales, en fonction de leurs forces ET de leurs faiblesses par rapport au statu quo. Alors la prochaine fois qu’on vous brandit le principe de précaution, demandez à votre interlocuteur s’il a considéré tous les risques, incluant ceux du principe de précaution.
1 Source: www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm ↩
2 Oiseau migrateur insectivore désigné «menacé» par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada ↩
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