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Automne 2005

Vivian Labrie, passeuse de paroles

Comment passe-t-on du doctorat au militantisme? Portrait d'une femme en lutte contre la pauvreté.

    Sur le napperon coloré, de jolies tasses d’artisans attendent que l’heure du thé sonne, non loin d’une planche à repasser.

Vous pensez vous trouver dans le salon d’une mamie anglaise? Erreur! Bienvenue dans le bureau de Vivian Labrie, porte-parole et coordonnatrice du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Ses objets familiers témoignent de l’intense activité qu’elle déploie pour sa cause.

Ainsi, un carré rouge en ruban à gommer décore les tasses, symbole inventé à l’automne 2004 par le Collectif pour protester contre la réforme de l’aide sociale, puis repris avec succès par le mouvement étudiant. Quant à la planche à repasser, elle rappelle les nombreuses heures passées à confectionner un serpent de tissu se mordant la queue, déployé lors des manifestations contre les coupures dans l’aide sociale.

Avec sa voix douce, son sourire lumineux, sa coiffure sage et le dévouement total qu’elle porte aux plus démunis, Vivan Labrie pourrait être comparée à une figure religieuse comme Mère Teresa. Ce qui hérisse la quinquagénaire au plus haut point ! «Il faut arrêter de se contenter de soulager la misère, mais plutôt changer la société en accomplissant un travail politique au nom du droit et de l’égalité, affirme-t-elle avec force. C’est le défi d’une société, et une seule personne n’y parviendra jamais.»

Qu’on se le dise, Vivian Labrie croit à l’implication des citoyens, et refuse le vedettariat. Difficile, par exemple, de la faire parler de sa vie et de ses passions, en dehors de la cause de la pauvreté. Une cause qui, dans son cas, n’a d’ailleurs rien d’une illumination divine. Son cheminement s’est effectué au rythme des recherches qu’elle a menées à l’Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), puis comme chercheuse autonome.

Savoir universitaire et savoir populaire

Titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en psychologie de l’Université Laval (1973 et 1974), puis d’un doctorat ès lettres et sciences humaines de l’Université René-Descartes (Paris V), Mme Labrie voit de forts liens entre savoir populaire et savoir universitaire. Elle en a pris conscience en effectuant, par exemple, des rapprochements entre des concepts vus en psychologie sociale et des traits de groupes colportés dans la tradition orale.

Une recherche menée sur les formulaires administratifs lui a aussi fait comprendre qu’un fossé culturel séparait les bureaucrates des personnes ayant recours à l’aide sociale. Elle a ainsi entendu de ses oreilles un fonctionnaire déclarer à une femme de toute évidence enceinte, mais à qui il manquait une attestation de grossesse, «un ventre, ça ne se met pas dans un dossier».
 
Parallèlement à ces expériences, la naissance de sa fille Gabrielle en 1979 a poussé Vivian Labrie vers le militantisme, aux côtés des autres parents fondateurs de la garderie Saint-Jean-Baptiste, dans le centre-ville de Québec. «Nous avons squatté un local, puis mené beaucoup de batailles pour obtenir des subventions», raconte-t-elle. Suit son implication en 1988 comme animatrice au Carrefour de pastorale en monde ouvrier à Québec, puis la fondation du Collectif pour un Québec sans pauvreté, en 1998.
 
Aujourd’hui, sa capacité à traduire en images, en paraboles et en contes des notions complexes constitue l’une de ses grandes forces. «On peut très bien élaborer un discours savant sur la mobilité sociale, mais on peut aussi utiliser l’image de l’escalier roulant des plus riches qui monte en ignorant l’escalier des pauvres qui descend», souligne-t-elle.

Véritable passeuse de paroles, Mme Labrie transporte avec elle des anecdotes ou des vérités provenant de ceux qui n’ont pas l’oreille des élites. Parmi ses préférées: «il n’y a pas deux sortes d’humains» et «il faut rêver logique». Ces réflexions issues des gens qu’elle défend émaillent ses discours devant les élus municipaux, les parlementaires, les groupes populaires, les syndicats et contribuent à pourfendre les préjugés, partout où ils se cachent.

Une grande force de conviction

«Elle fait preuve d’une capacité d’écoute phénoménale et d’un immense respect pour la personne qui parle, témoigne avec admiration Pierre Issalys, professeur à la Faculté de droit. Du coup, cela lui donne une grande force de conviction qui pousse les gens à l’aider.»

Ce juriste a participé à la grande aventure du projet de loi anti-pauvreté qui a donné naissance au Collectif, puis à la Loi  visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2002. Les centrales syndicales, les organismes communautaires et les simples citoyens ont alors accompli une première en proposant un texte juridique aux élus, soutenu par une pétition de 215 307 noms.

«À cette occasion, j’ai pu apprécier l’esprit de synthèse de Vivian Labrie, raconte Pierre Issalys, car elle a réussi à rassembler les façons de voir et à dégager les points de convergence afin que nous puissions traduire en langage juridique les revendications du réseau.»

«Grâce à son leadership et sa force de conviction, elle a uni des groupes très disparates autour du thème de la pauvreté, et ça dure toujours», renchérit Françoise David, qui l’a côtoyée alors qu’elle présidait la Fédération des femmes du Québec.

Femme de réseaux, Mme Labrie a une capacité rare, celle de réussir (parfois!) à convaincre ceux qui ne partagent pas son point de vue. Par exemple, lorsqu’elle a réuni 29 parlementaires autour d’un jeu de société, élaboré par des assistés sociaux, afin de faire mieux comprendre aux élus la difficulté de boucler un budget mensuel avec 555$. Ou encore, en prouvant aux gens d’affaires, chiffres à l’appui, que les plus démunis contribuent eux aussi à l’économie régionale.

La militante accepte d’échouer, de temps en temps, à convaincre les  puissants. «Comme
dans l’aïkido, cet art martial où l’on n’arrête pas de tomber, il ne faut pas craindre de se ramasser des bosses», avoue-t-elle. L’aïkido lui a aussi montré qu’on peut utiliser l’énergie de l’autre pour mieux rebondir.

«Vivian, c’est un peu la main de fer dans un gant de velours, complète Françoise David, aujourd’hui porte-parole d’Option citoyenne. Mieux vaut avoir les bons arguments si l’on cherche à la faire changer d’avis.» Plusieurs politiciens et adversaires ont ainsi fait les frais de ses remarques mesurées, mais également cinglantes. Car l’injustice et le regard méprisant que beaucoup portent sur les personnes touchant de l’aide sociale la mettent toujours profondément en colère.

Une loi nécessaire mais insuffisante

Vivian Labrie reste convaincue de l’utilité de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale qui, à ses yeux, a permis d’atténuer les effets de la politique libérale du gouvernement en place. Elle sait aussi pertinemment que cette législation n’a pas empêché les élus de faire des choix budgétaires dévastateurs pour les conditions de vie des plus pauvres.

Elle dénonce ainsi la demi-indexation de l’aide sociale au coût de la vie qui va encore diminuer leur pouvoir, l’accroissement de l’écart avec les plus riches, et le projet de loi 57 sur la réforme de l’aide sociale. Après avoir consacré de longs mois au travail de lobby parlementaire, la coordonnatrice du Collectif pour un Québec sans pauvreté souhaite mieux définir avec le milieu communautaire les besoins des personnes touchant de l’aide sociale.

Comme à leur habitude, les membres du Collectif vont réfléchir ensemble et avec de multiples groupes sur les actions à prendre en s’inspirant de leur devise «du rire, de l’audace et de l’impossible».

Une formule que notre jeune grand-mère applique aussi à ses rencontres pleines de plaisir avec Constance, un an et grande amatrice de percussions, et Célestine, bientôt trois ans, dessinatrice d’astronautes. C’est en leur racontant des histoires, en jouant avec elles aux marionnettes, ou simplement en les promenant que Vivian Labrie peut enfin souffler.

Pour aussitôt repartir au combat, pleine d’énergie.
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