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La musique fait plus qu'adoucir les mœurs. Elle se révèle un puissant facteur de rapprochement social.
Par Pascale Guéricolas
Si la musique apaise l’âme et contribue au bien-être de ceux qui l’écoutent, c’est peut-être encore plus vrai pour ceux qui la pratiquent. Airs et notes qui s’envolent deviennent autant de points d’attache pour ces personnes, les liant à un groupe et leur permettant d’œuvrer à une création commune. Plusieurs projets menés par des professeurs de la Faculté de musique en font la démonstration.
Parmi eux figure celui initié par la professeure Maria Teresa (Maité) Moreno 1. Lorsque les réfugiés syriens ont commencé à s’installer à Québec, en 2016, cette catalane d’origine a replongé dans les souvenirs de sa propre arrivée ici. «À l’époque, je voulais pratiquer une activité avec des Québécois pour développer des amitiés et apprendre le français», se souvient-elle. Elle s’était donc jointe à une chorale. En s’inspirant de son expérience, elle a lancé une idée à son collègue Francis Dubé: imaginer ensemble un projet musical basé sur l’échange culturel autour des danses et des musiques pour favoriser le bien-être des nouveaux arrivants.
Rapidement, d’autres professeurs du campus se sont joints à l’initiative, notamment Andrea Creech et Gérald Côté, également de la Faculté de musique, et Stéphanie Arsenault, de l’École de service social et de criminologie. Finalement, cette équipe a mis en place le collectif Chantons ensemble, dont les activités ont démarré à l’automne 2017. Ainsi, tous les samedis d’octobre à décembre, une vingtaine de personnes se sont réunies au pavillon Louis-Jacques-Casault: des réfugiés d’origine syrienne, mais aussi des Congolais, des Birmans et même des Québécois «de souche». Cette diversité était souhaitée par les créateurs du collectif pour favoriser l’intégration, éviter l’effet de ghetto ou les rivalités entre factions politiques différentes, et bénéficier d’une musique venue des quatre coins du monde.
Faire tomber les barrières
Également, les professeurs responsables ont choisi d’axer l’activité sur le partage. Au début, il fallait prendre le temps de déguster café et gâteaux, de faire des activités toutes simples pour briser la glace et entrer en relation avec l’autre en empruntant d’autres voies que les chemins musicaux. «Pour nous, c’était très important aussi de ne pas nier la culture d’origine des participants, de la valoriser, raconte Maité Moreno. Tous devaient se sentir acceptés, sans préjugés, tout en ayant accès à la culture de l’autre.»
Durant les ateliers hebdomadaires, chansons québécoises, birmanes, maghrébines, percussions de tambour ou airs de guitare se sont donc côtoyés en un joyeux mélange de musiques et de danses. Au fil des notes et des pas, les barrières ont commencé à s’effriter. Les réfugiés syriens, aux prises avec le stress d’apprendre une nouvelle vie, une nouvelle langue, ont apprécié les bulles de bon temps que leur procuraient ces samedis culturels. Plusieurs en ont profité pour améliorer leur français ou s’initier à un instrument, tandis que leurs enfants se faisaient garder à proximité. Parmi son répertoire varié, le groupe a notamment exploré un incontournable de la culture québécoise, à savoir la chanson Mon pays de Gilles Vigneault. Ils l’ont chantée, entre autres, lors de la cérémonie commémorant le premier anniversaire de l’attentat à la mosquée de Québec en janvier 2018.
Lors de la même occasion, les membres du collectif ont aussi interprété une chanson qu’ils avaient eux-même composée, motivés par l’envie de raconter leur expérience. La langue de nos âmes cristallise ce sentiment d’appartenance au groupe et la découverte de leur nouvelle société. Cette création, devenue vidéoclip, témoigne de la force du groupe dont les membres sont bien décidés à continuer cette expérience hors du commun, même si la Faculté de musique n’en est plus officiellement responsable, alors que Maité Moreno met la dernière main à l’analyse du projet. Ravie de l’expérience, la professeure rêve que la pratique de la musique fasse partie intégrante des activités d’accueil offertes par les organismes communautaires aux nouveaux arrivants.
1 Maria Teresa (Maité) Moreno est aussi codirectrice du Laboratoire de recherche en formation auditive et didactique instrumentale (LaRFADI). ↩
Quand la musique fait rebondir
Cette capacité qu’a la musique d’agir comme arme d’évasion massive des difficultés du quotidien transparaît dans un autre projet de la Faculté de musique. Depuis deux ans, des étudiants au doctorat séjournent dans l’un des centres communautaires situés à Fortaleza, dans le nord-est du Brésil. Pendant six mois, ils observent la façon dont des jeunes de 16 à 21 ans, issus d’un quartier défavorisé de cette ville, y apprennent à jouer d’un instrument, à chanter. Les doctorants s’intéressent surtout à la manière dont la pratique musicale aide les participants à reprendre confiance en eux afin d’envisager un avenir différent de celui dicté par leur contexte social d’origine.
«La plupart de ces jeunes vivent des situations de vie très compliquées et affrontent la violence, tant à la maison que dans la rue, raconte le professeur Francis Dubé 2 qui chapeaute cet échange. Nos résultats de recherche montrent que la musique les aide à gérer leurs émotions et leur donne un grand sentiment d’accomplissement et de bien-être.» Les centres communautaires de Fortaleza, financés par la municipalité, sont localisés dans des quartiers pauvres, où les automobilistes risquent une attaque simplement en s’arrêtant au feu rouge. Ils misent sur la culture pour développer le potentiel citoyen des jeunes et les accompagner dans la réalisation de leurs aspirations.
Or, parmi les nombreuses activités artistiques offertes chaque jour aux centaines d’usagers de ces centres qu’on appelle les CUCA, la musique joue un rôle essentiel, en particulier celle typique du Brésil. Contrairement à l’approche formelle souvent adoptée en Occident, l’apprentissage mise sur la créativité et sur un encadrement tourné vers les besoins des musiciens en herbe. Ainsi, les professeurs n’imposent pas de répertoire musical, mais ils poussent les jeunes à concrétiser un projet qu’ils rêvent de réaliser. Dans ce parcours non linéaire, l’accent est mis sur une activité sociale à accomplir, et non forcément sur une virtuosité musicale à acquérir. «Je crois que nous avons beaucoup à apprendre ici de ce genre de pédagogie, fait remarquer Francis Dubé. Les étudiants impliqués dans ce projet au Brésil travaillent d’ailleurs sur un livre qui pourrait aider nos écoles au Québec à faire découvrir la musique autrement.»
Même si chaque session de formation ne dure que deux mois à la CUCA-Barra, où les étudiants de la Faculté de musique sont accueillis, les jeunes se produisent très rapidement en spectacle. Ils se forment donc ensemble, en travaillant directement sur leurs projets, les uns aidant les autres à acquérir de nouvelles compétences. Cette activité artistique va d’ailleurs bien au-delà de la simple activité de loisirs. Les étudiants de Francis Dubé qui ont séjourné là-bas cet été ont suivi plusieurs groupes de rap, formés à la CUCA, qui cherchent désormais à vivre de leur musique. L’organisme, qui dispose d’infrastructures de qualité, les soutient dans leurs démarches professionnelles en leur prêtant des studios et des instruments. L’accès à la musique constitue donc une occasion unique pour ces adolescents et ces jeunes adultes de s’accomplir. Impliqués avec d’autres dans une ébauche de spectacle ou une chanson à monter, ils développent leur esprit d’organisation et découvrent chez eux un potentiel insoupçonné. Au-delà du bien-être immédiat, la musique ouvre donc un champ des possibles pour leur avenir.
2 Francis Dubé est aussi codirecteur du Laboratoire de recherche en formation auditive et didactique instrumentale (LaRFADI). ↩
La musique n’a pas d’âge
Persuadée, elle aussi, du potentiel de créativité de la musique pour les humains, Andrea Creech 3 s’intéresse depuis longtemps aux bienfaits qu’apporte cette forme d’art aux personnes âgées. Ayant œuvré à Londres durant plusieurs années, la professeure a notamment dirigé le projet Music for Life Project, financé par les conseils de recherche du Royaume-Uni. L’initiative, qui visait à faciliter la mise en place de chorales ou d’orchestres dans des centres pour personnes âgées, a été récompensée en 2014 par un prix pour la recherche en arts et en santé de la Société royale pour la santé publique.
«La musique est vraiment holistique, s’exclame Andrea Creech. Elle nous permet de développer notre identité, mais aussi d’explorer comment nous aimerions évoluer comme personne tout au long de notre vie, sans oublier que la pratique de la musique nous permet de bouger et de faire partie d’une communauté, en chantant ou en jouant ensemble.» Au fil de ses observations des ensembles musicaux mis en place dans des résidences, la chercheuse a constaté que les gens plutôt rébarbatifs à ce genre d’activités finissaient par les adopter au fil des semaines. Mordue du concept de musique pour tous, elle souhaite vaincre les limites qui éloignent certaines personnes de la pratique de cet art, en premier lieu la non-connaissance d’un instrument ou les handicaps physiques, dont elle cherche à dépasser les écueils.
Pour ce faire, Andrea Creech fait appel au numérique, par l’utilisation du iPad ou par des technologies comme Soundbeam. Soundbeam est un appareil qui permet de faire de la musique sans contact. Ce système fonctionne grâce à des capteurs à ultrasons qui détectent les mouvements des utilisateurs, qu’ils traduisent en sons. Le choix de ces sons est très varié. Il va de la flûte à la guitare en passant par le violon et le pépiement d’oiseau. On peut même y ajouter sa voix.
Comme autre exemple de démocratisation de la musique, la professeure cite une expérience menée depuis plusieurs années à Helsinki, en Finlande. Le Rock Hub réunit des personnes âgées qui forment un orchestre de rock. L’utilisation d’une méthode de notation musicale simplifiée à base de couleurs et de formes, le Figurenotes, leur permet de jouer facilement d’instruments comme la guitare électrique ou la batterie. Plus encore, grâce aux nouvelles technologies, les membres de l’orchestre peuvent jouer conjointement avec des membres d’un autre ensemble qui se trouvent dans une autre ville ou un autre pays.
D’abord tournée vers les personnes âgées, Andrea Creech souhaite désormais étudier les bienfaits de la musique sur les cohortes les plus diverses, peu importe leur degré de connaissance en la matière. «Les gens de tous âges ont besoin de cette expérience humaine qui nous aide à nous épanouir et freine notre déclin,» s’enthousiasme-t-elle. Inspirée par l’expérience du Rock Hub, la professeure aimerait monter un projet similaire de performances partagées en temps réel entre des usagers de générations variées qui fréquentent le Centre communautaire Mgr Marcoux de Québec et des étudiants de la Faculté de musique. Elle y voit l’occasion de s’ouvrir au partage musical au sein de la société pour mieux en comprendre les bienfaits. «Le rôle de l’Université, c’est aussi de former des étudiants qui développent une conscience sociale pour ensuite mettre à profit leur expertise au sein de la communauté», fait valoir la spécialiste.
3 Andrea Creech est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la musique dans la communauté et membre du comité directeur de la Société internationale pour l’éducation musicale. ↩
Publié le 13 novembre 2018
Publié le 28 novembre 2018 | Par Francine Létourneau
Un projet qui mériterait d’être propagé et financé.
Bravo et continuez!
Francine Létourneau
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