Des régions en santé!
Beaucoup de professionnels de la santé installés à Chibougamau ou à Gaspé ont eu la piqûre des régions pendant leur formation universitaire.
Par Nathalie Kinnard
Plus besoin de mener une grande séduction pour attirer des médecins de famille dans les régions du Québec. Tous les postes –ou presque– sont comblés. Et le réseau de formation clinique de la Faculté de médecine y est pour beaucoup, avec l’établissement en région de 27 milieux de stages, incluant 6 de ses 12 unités de médecine familiale (UMF). En effet, depuis qu’ils séjournent hors de la Capitale pendant leurs études, plus de 60% des diplômés en médecine familiale et 27% des diplômés en spécialités médicales ont installé leur pratique à l’extérieur des grands pôles urbains.
Le campus est devenu une véritable pépinière de docteurs à la fibre régionale, mais aussi de cadres du domaine de la santé et des services sociaux qui œuvrent aussi loin que Blanc-Sablon. Plus encore, les chercheurs de la Faculté impliquent les régions en recherche scientifique en utilisant le réseau d’UMF comme immense laboratoire clinique.
Soigner aux 4 coins du Québec
Dans les années 80-90, les régions sans facultés de médecine peinent à attirer les médecins qui se disputent les postes disponibles dans les centres universitaires comme Montréal, Québec et Sherbrooke. Pour renverser cette tendance, la Faculté de médecine de l’Université Laval décide d’offrir des stages en territoires périphériques, intermédiaires et éloignés, et plus encore, de les rendre obligatoires. Ainsi, un séjour à Kuujjuaq, à Chibougamau ou à Murdochville fait partie de la formation des résidents en médecine familiale ainsi que de ceux des spécialités à base large (chirurgie, médecine interne, pédiatrie, psychiatrie, obstétrique-gynécologie et anesthésie).
«Essayer, c’est l’adopter, avons-nous pensé à la Faculté de médecine, précise Jean Ouellet, vice-doyen responsable de l’enseignement en région. Nous exigeons donc que nos externes quittent l’agglomération de Québec pendant 6 semaines, et nos résidents, pour au moins 2 mois». Parallèlement, l’Université a implanté à différents endroits de la province des unités de soins et d’enseignement de médecine familiale. Qu’elles soient basées à Gaspé, à Trois-Pistoles ou à Lac-Etchemin, ces UMF offrent une formation complète aux résidents de médecine familiale et un milieu de stage interdisciplinaire à une variété de professionnels de la santé.
Opération charme réussie! La majorité des nouveaux médecins de famille choisissent aujourd’hui de faire les 2 ans de leur résidence en région, et de 40 à 46% des finissants (médecine familiale et spécialisée) y déménagent leurs pénates. Même dans des localités éloignées telles que Cap-aux-Meules, Les Escoumins et Fermont! L’Université domine ainsi les 16 facultés de médecine au Canada, dont seulement 16% des diplômés s’éloignent des grandes villes.
Des médecins enthousiastes
Selon Louise Marcheterre, médecin de famille à Baie-Comeau, l’implantation, en 2005, de l’UMF de Manicouagan dans sa municipalité a bien servi les intérêts de la Côte-Nord pour le recrutement et l’enseignement. «Avant, nous étions en pénurie de médecins de famille, alors qu’aujourd’hui nous sommes plutôt à l’aise», raconte la directrice de l’UMF. Une quarantaine de résidents en médecine familiale y ont été formés depuis 10 ans, en plus des externes, des infirmières cliniciennes ou praticiennes de première ligne et des travailleurs sociaux en stages ponctuels obligatoires de 2 semaines à 6 mois. La moitié des médecins de famille formés à Baie-Comeau se sont ensuite installés sur la Côte-Nord.
«Nous avons même attiré des médecins originaires de la Bulgarie, de l’Ukraine et de la Moldavie qui, après leur résidence en sol québécois, ont fait une demande de pratique dans notre région, raconte la Dre Marcheterre. Le réseau des UMF favorise de réels coups de foudre entre de futurs médecins, une région et la pratique médicale loin des grandes villes».
C’est un peu ce qu’a vécu Marie-Pier Juteau, jeune médecin de famille originaire de Québec. Pendant sa formation à l’Université Laval, elle choisit de faire un stage de 2 mois à Blanc-Sablon. Là, elle tombe sous le charme du paysage à couper le souffle et de la pratique très diversifiée de la médecine en territoire éloigné: «On y fait du bureau, de l’urgence, de l’hospitalisation, des visites en dispensaires. Comme jeune médecin, c’est une expérience de vie et de carrière extraordinaire».
Deux recrues pour Blanc-Sablon
Après sa résidence, quand vient le temps d’installer sa pratique, Marie-Pier Juteau n’hésite pas. Direction Blanc-Sablon! Depuis septembre 2013, elle fait donc partie de l’équipe médicale de cette localité inaccessible par la route. Et elle ne regrette rien! Ce n’est sûrement pas en ville qu’elle aurait l’occasion de partir en avion 1 semaine sur 6 afin de prodiguer des soins dans une réserve autochtone. La médecine en région lui permet également de pratiquer des chirurgies mineures qui, en milieu urbain, seraient adressées aux spécialistes. Sans compter les avantages économiques d’un tel exil: un logement fourni, des primes d’éloignement et de rétention, aucun frais de déménagement, de plus longues vacances pour retourner voir la famille, etc.
Maxime Robin-Boudreau, médecin coordonnateur au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Basse-Côte-Nord, a lui aussi choisi de pratiquer à Blanc-Sablon. Originaire de Havre-Saint-Pierre, il aurait pourtant pu, comme tant de jeunes, être happé par la ville lors de ses études à Québec. Mais ses stages de courte durée aux Îles-de-la-Madeleine, à Sept-Îles et à Havre-Saint-Pierre lui ont permis de comparer la pratique médicale en milieux universitaire et éloigné, et de confirmer son penchant pour les localités éloignées des grands centres.
«J’apprécie la variété du travail d’un omnipraticien en région. Il faut être polyvalent, car dans des villages comme Blanc-Sablon, il n’y a pas de spécialistes. On fait donc de tout, incluant des soins intensifs. On s’occupe des transferts des patients vers Sept-Îles, une tâche parfois complexe qui peut nécessiter à la fois une motoneige, un hélicoptère et un avion. On fait aussi des consultations téléphoniques avec des infirmières postées dans des villages inaccessibles par la route.» Selon le Dr Robin-Boudreau, le réseau des UMF est un outil de recrutement puissant pour les régions. Et pour cause! Les 3 finissants en médecine qui ont fait leur stage à Blanc-Sablon l’année dernière sont tous revenus y travailler. On est loin du film La grande séduction où les villageois usent de divers subterfuges pour attirer et garder un seul médecin!
Gérer la santé, version régionale
Le domaine de la santé est en manque! Depuis 2000, il y a un besoin criant pour des cadres intermédiaires. Ces postes de chefs de services et d’unités, d’agents de gestion du personnel, de conseillers-cadres en soins infirmiers ou de coordonnateurs d’activités sont souvent assurés par des professionnels de la santé sans aucune connaissance en gestion. Il faut donc les former: un défi dans les régions qui n’ont ni les ressources sur place, ni les moyens de payer une formation à Québec ou à Montréal.
L’Université, et sa Direction générale de la formation continue (DGFC), a su tirer parti de ce contexte en faisant voyager à travers la province des programmes de gestion adaptés au domaine de la santé, à la couleur régionale et aux profils de compétences recherchés par les clients. Comme premier mandat, au début des années 2000, elle a concocté 2 microprogrammes de formation sur mesure en développement des organisations pour l’Agence de la santé et des services sociaux de l’Estrie. Elle a ensuite établi un partenariat avec l’Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec qui souffrait des nombreux départs à la retraite de ses gestionnaires.
«Nous apprécions l’approche clés en main de l’Université Laval qui s’occupe de toute la logistique, rapporte Karine Trépanier, agente de planification, de programmation et de recherche pour l’Agence. Un formateur se déplace dans notre région pour la partie en classe et l’autre partie se fait en ligne, permettant à notre personnel de s’absenter du bureau le moins possible.» Quelque 400 candidats cadres ont ainsi été formés en 10 ans sur ce territoire.
Des formateurs sur place
Même son de cloche de la part de Christine Normand, agente de la gestion du personnel au Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord, seul établissement de la région offrant des services pour les troubles envahissants du développement (TED): «L’Université nous a monté un microprogramme en TED selon les cours que nous avons choisis. Grâce aux formateurs qui sont venus sur place la fin de semaine, des éducatrices spécialisées de Baie-Comeau, de Sept-Îles et de La Haute-Côte-Nord ont pu obtenir leur attestation en un an à temps partiel». Le Centre a ainsi pu éviter d’envoyer à grands frais ses employés vers la ville pour suivre un programme souvent peu adapté à leur réalité.
«Depuis 2001, la formation continue de l’Université a ainsi délivré 2028 diplômes de 2e cycle et 955 diplômes de 1er cycle en gestion dans le domaine de la santé», précise Élise Cormier, directrice générale adjointe de la DGFC. Plusieurs de ces diplômés sont des femmes comme Nathalie Magnan, directrice générale du Centre de réadaptation en dépendance Domrémy Mauricie-Centre-du-Québec. Cette psychologue de formation s’est d’abord fait pousser vers la gestion afin de remplacer temporairement un cadre absent du CSSS de Drummondville pour lequel elle travaillait. Et elle a eu la piqûre!
«Mais ne devient pas gestionnaire qui veut, déclare Mme Magnan. Il faut avoir des connaissances pour bien gérer, surtout en santé.» Elle a donc suivi à temps partiel le programme de maîtrise en développement des organisations – gestion et développement des organisations de la DGFC de l’Université. Elle a adoré parler «terrain» avec différents gestionnaires du réseau de la santé, et pouvoir transférer directement ses apprentissages à son milieu professionnel. Une expérience qu’elle n’aurait sans doute pas vécue si elle avait dû s’absenter du bureau plusieurs fois par mois pour suivre des cours à Québec ou à Montréal.
La recherche médicale, loin des universités
Chacune des 12 unités de médecine familiale (UMF) affiliées à l’Université a maintenant un local dont la porte affiche le mot «recherche». Pourtant, les chercheurs installés hors des milieux universitaires sont des oiseaux rares. «Nous avons fait exploser la recherche hors des universités et des grandes villes en exploitant le réseau des UMF, raconte fièrement France Légaré1, professeure et chercheuse au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence. Aujourd’hui, nous avons 12 laboratoires cliniques répartis dans l’est de la province.»
Tout a commencé en 2006, quand cette médecin de famille a demandé une subvention pour créer un réseau de recherche sur les soins de première ligne.
Sa vision: mener des études qui tiennent compte des spécificités régionales en amenant la recherche dans plusieurs endroits du Québec. «Le but des recherches en médecine familiale est d’améliorer les pratiques médicales et les soins, qui diffèrent selon les milieux, estime-t-elle. Il faut donc avoir des chercheurs sur place et impliquer les régions dans le processus.» Le financement, lui, a permis d’aménager dans chaque UMF des espaces équipés pour la recherche.
De nombreux médecins, pharmaciens, infirmières et patients de diverses localités participent aujourd’hui à plusieurs projets sur les soins de première ligne, en collaboration avec l’Université. Par exemple, en 2008, France Légaré et son collègue Michel Labrecque2 ont mené avec les 12 UMF une analyse sur la surutilisation d’antibiotiques pour les infections aiguës des voies respiratoires (otite, sinusite, pharyngite, bronchite) au Québec. Chaque unité est ainsi devenue à la fois sujet et artisan de l’étude. Aujourd’hui, des régions éloignées des grands centres proposent même leurs propres projets de recherche et certaines obtiennent du financement de grands organismes subventionnaires.
Et l’initiative de la Dre Légaré continue de faire des petits. Le Fonds de recherche du Québec-Santé a créé, en 2013, le Réseau de connaissances en soins et services de première ligne du Québec. Y collaborent toutes les UMF des 4 facultés de médecine du Québec! Tout comme la formation et l’enseignement en santé, la recherche clinique transgresse maintenant les frontières des grandes villes.
1 France Légaré est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en implantation de la prise de décision partagée dans les soins primaires. ↩
2 Michel Labrecque est professeur au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence ainsi que chercheur au Centre de recherche du Chu de Québec. ↩
Publié le 11 juin 2014
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet