Posséder son chez-soi: le rêve!
Le rêve de posséder une maison individuelle demeure bien enraciné chez les Québécois, mais l’augmentation des prix de l’immobilier le rend plus difficile à atteindre.
Par Pascale Guéricolas
Longtemps, la maison de banlieue avec sa pelouse impeccable, son barbecue et sa piscine hors terre a symbolisé l’American way of life. Un univers de tranquillité permettant à la famille de se construire à l’abri du danger et de la pollution. Les critiques de ce style de vie, souvent qualifié d’ennuyeux et de conformiste, l’attribuent généralement au rêve américain, à la base du développement de la ville aux États-Unis dans les années 50 et 60. Erreur. L’aspiration à posséder une maison individuelle transcende la plupart des sociétés occidentales depuis plusieurs millénaires. Par contre, cela fait seulement quelques décennies que les propriétaires s’éloignent des centres urbains, grâce à la possession d’une voiture individuelle.
Crier haro sur la ville
La sociologue Andrée Fortin1, codirectrice du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa), décortique ce mode d’habitat depuis plus de 30 ans. La chercheuse constate que le désir de s’établir en périphérie des quartiers centraux ne se dément pas dans la région de Québec. D’abord à Sillery, à Sainte-Foy ou à Beauport, puis dans des territoires autrefois considérés agricoles, comme Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier ou Sainte-Brigitte-de-Laval. «Il faut se rappeler qu’en 1961, une enquête effectuée par la Commission d’enquête sur le logement de la cité de Québec, à l’invitation du conseil municipal, s’était penchée sur les conditions de logement à Québec. Selon le rapport obtenu2, 40% de l’habitat dans la ville de Québec, qui comprenait seulement les quartiers centraux à cette époque, laissait à désirer. Certains logements n’avaient pas d’eau chaude, d’autres pas de salle de bain ou présentaient des installations électriques défectueuses.» La situation était comparable à Montréal. Rien d’étonnant que la publicité d’alors vante la belle céramique de la salle de bain des bungalows tout juste construits, ou leur excellente isolation. Le mot d’ordre dans les années 60 était clair: s’installer dans des maisons neuves et en bon état pour élever ses enfants dans un environnement sain.
La faute au cinéma?
Trois générations plus tard, les idées reçues dépeignant la ville comme le lieu de tous les dangers perdurent dans la culture populaire, au grand étonnement d’Andrée Fortin. Bien décidée à comprendre pourquoi des gens qui n’ont même jamais habité le centre-ville le considèrent sous un jour aussi noir, la professeure nouvellement retraitée du Département de sociologie a analysé, en 2013, un total de 250 films québécois pour mieux comprendre l’incidence du cinéma sur l’image de la campagne, de la banlieue et de la ville.
Selon elle, une bonne partie des clichés véhiculés à propos de la ville ou de la banlieue trouve sa source dans le cinéma québécois, qui les refléterait autant qu’il les alimente. Son analyse dépeint ces différents lieux de l’agglomération sous un jour bien particulier. Par exemple, tant dans Le Matou, réalisé par Jean Beaudin en 1985, que dans Le Ring d’Anaïs Barbeau-Lavalette, sorti en 2007, les enfants qui vivent au centre-ville sont négligés et mal logés.
En banlieue, au contraire, ils bénéficient de bonnes conditions matérielles. Souvenez-vous de Léon, le jeune délinquant de C’est pas moi, je le jure !, réalisé par Pierre Falardeau en 2008, ou de Christian, Raymond, Antoine et Zac dans C.R.A.Z.Y de Jean-Marc Vallée, également sorti en 2008. Installés dans de jolies maisons avec terrain et bien vêtus, ces personnages sont bien entourés, même si leur vie n’a rien d’un chemin parsemé de roses.
1 Andrée Fortin est également membre du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) et du réseau Villes Régions Monde (VRM). ↩
2 connu sous le nom de Rapport Martin ↩
Mon habitat idéal
On l’aura compris, la banlieue s’impose toujours comme l’endroit de prédilection pour élever des enfants et vivre sa vie d’adulte. Les tours d’habitation ont beau pousser comme des champignons dans l’agglomération de Québec, le rêve d’une maison individuelle avec vue sur le patio semble toujours aussi vivant à en juger l’enquête «Demain Québec». Menée en 2011 par l’équipe du GIRBa auprès de 3 300 ménages de la Communauté métropolitaine de Québec, cette recherche visait à mieux connaître leur profil, leurs déplacements quotidiens et leurs aspirations en matière d’habitation. Presque la moitié des personnes qui ont répondu aux questions par Internet souhaitaient habiter dans une banlieue plus ou moins dense, ou y habitaient déjà. Ce lieu idéal, qui rappelle la presque campagne, comprendrait des jumelés, des semi-détachés ou encore une zone où l’on trouve de petits immeubles comme autour de la rue Myrand, non loin de l’Université Laval.
Ce portrait montre que les grandes tours qui ponctuent depuis quelques années le paysage urbain restent peu attractives pour la majorité des habitants. En fait, ce type de logement attire surtout les retraités, les couples sans enfants et les personnes seules. «Très peu de gens choisissent de se loger dans une tour comme premier choix, note Carole Després3, professeure à l’École d’architecture. Hormis la banlieue, plusieurs ménages s’intéressent aux quartiers plus anciens, comme l’arrondissement Limoilou, composés d’immeubles à trois étages. C’est sans doute une solution intéressante pour densifier la ville.»
Comme beaucoup d’autres agglomérations dans le monde, Québec a vu l’accès aux terrains à construire se raréfier. Au point qu’il n’est pas inusité de voir les pics de démolisseurs s’attaquer à un bungalow des années 60 pour y construire en lieu et place un bâtiment plus haut et plus luxueux. Une solution qui s’explique par la valeur très élevée des lots dans des quartiers comme Sainte-Foy ou Sillery, parfois presque deux fois plus chers que les habitations qu’ils abritent.
3 Carole Després est membre du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa) et du réseau Villes Régions Monde (VRM). ↩
L’inaccessible étoile
Ces prix de l’immobilier à la hausse depuis une dizaine d’années nuisent sans contredit à l’accès à la propriété, en particulier pour les acheteurs de première maison. Avec un prix médian pour un domicile autour de 248 000$ et un revenu moyen par ménage s’établissant environ à 60 100$, Québec se classe désormais parmi les villes difficilement abordables. Une étude comparative, menée par François Des Rosiers4, professeur au Département de finance, assurance et immobilier, montre qu’accéder à la propriété dans la Vieille Capitale s’avère plus difficile qu’à Halifax, en Nouvelle-Écosse, ou qu’à Belfast, en Irlande du Nord, des cités de taille analogue.
Les données statistiques traduisent bien les difficultés qu’éprouvent les jeunes ménages avec enfants à acquérir la propriété de leurs rêves. Pour sa maîtrise en design urbain codirigée par Carole Després et Jean Dubé, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD), Keven Ross a analysé les coûts de transport et de logement à Québec. Il a constaté que plus la famille s’agrandit, plus elle doit s’éloigner non seulement du centre, mais aussi des anciennes banlieues pour s’installer en périphérie. Tout naturellement, le nombre de voitures de ces ménages occupant des zones très mal desservies par le transport en commun s’accroît.
Cet éloignement de leur travail et de leurs occupations personnelles commence d’ailleurs à peser lourd sur le budget des citoyens. Généralement, les institutions bancaires conseillent de ne pas consacrer plus du tiers de ses revenus à son logement, qu’on le possède ou qu’on le loue. Or, des données de Statistique Canada publiées en 2014 montrent que les ménages de Québec dépensent 25% de leurs gains en logement, chiffre auquel s’ajoute une portion de 20% pour les transports. Ainsi, presque la moitié des économies générées par l’achat d’une propriété en périphérie serait engloutie dans des frais liés au transport, comme le confirme une récente étude de François Des Rosiers. «Les ménages font souvent preuve de myopie quand il s’agit d’évaluer les frais liés aux déplacements. Ils les sous-estiment», fait remarquer le professeur.
4 François Des Rosiers est aussi membre du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) et du réseau Villes Régions Monde (VRM). ↩
Ma maison, ton terrain
François Des Rosiers constate que l’étalement urbain à un coût en matière de congestion et de temps perdu, mais que les municipalités et les provinces ne semblent pas prêtes à l’assumer. Dans le passé, certaines villes, comme Toronto, gardaient en banque un nombre donné de terrains durant quelques années pour les protéger de la montée des prix. Elles les mettaient ensuite à la disposition de développeurs au prix d’acquisition: une façon de permettre aux nouveaux propriétaires de bénéficier d’un terrain à bas coût. À Québec, depuis la vente de terrains sur ce modèle dans le secteur Lebourgneuf, on ne dispose plus de banques de sols. Il faut donc trouver de nouvelles solutions.
La municipalité pensait avoir trouvé une piste intéressante en offrant le programme Accès Famille. Son principe? Offrir un prêt sans intérêt aux ménages pour leur permettre d’acquérir 5% d’une habitation ciblée, soit la mise de fonds minimale nécessaire. Malheureusement, ce dispositif ne fonctionne pas, car les institutions financières ont bloqué le financement de la plupart des postulants à ce programme. «Nous manquons de données pour comprendre pourquoi le profil des demandeurs ne semblait pas adapté, note François Des Rosiers. On peut tout de même s’interroger: est-il justifié de subventionner des ménages avec un ou deux enfants dont le revenu moyen tourne autour de 90 000$?»
Mini, mini, mini
Que faire alors pour lutter contre les tendances qui nuisent à l’accès à la propriété pour les familles? Certains, comme Carole Després, penchent pour une meilleure utilisation des nombreux terrains de banlieue. David Law Chune, dont la professeure dirige la maîtrise en design urbain avec François Dufaux, lui aussi professeur à l’École d’architecture, s’est intéressé au potentiel foncier des lotissements de bungalow des banlieues de première couronne à Québec. L’étudiant a constaté que dans certaines banlieues, un hectare accueille seulement 16 maisons alors que 35 maisons seraient nécessaires dans ce même espace pour assurer la viabilité économique d’un service comme le transport collectif. Devant ces données on comprend que la densification a de beaux jours devant elle.
En dehors des quartiers centraux relativement denses, les maisons individuelles disposent d’un terrain assez grand pour y construire une seconde demeure de dimension plus modeste. «Beaucoup de personnes âgées habitant en banlieue aimeraient rester chez elles le plus longtemps possible, note la chercheuse au GIRBa. Elles pourraient peut-être le faire en vendant une partie de leur terrain, ce qui leur donnerait les moyens d’aménager la salle de bain ou la cuisine de leur bungalow en fonction de leur nouvelle réalité.» Carole Després fait plancher ses étudiants en architecture sur des projets de petites maisons, bâties dans l’entrée de garage des bungalows traditionnels. Ces habitations d’environ 120 mètres carrés, avec sous-sol aménagé, pourraient faciliter l’accès à la propriété de jeunes familles, qui bénéficieraient des services de quartiers comme Sainte-Foy, Sillery ou Cap-Rouge.
Ce virage vers des logements réduits constitue une portion de l’immobilier en pleine explosion. Qu’il s’agisse de mini-lofts, de chalets mobiles ou de micro-habitations, on cherche des propriétés qui compensent le prix élevé des terrains, sans parler de celui des matériaux. L’univers des mini-maisons regroupe des modèles de 1000 pieds carrés et moins qui se détaillent jusqu’à trois fois moins cher que la maison unifamiliale moyenne. Une mini-maison, terrain inclus, peut coûter environ 80 000$. Les premiers prototypes ont été développés aux États-Unis et dans l’Ouest canadien au début des années 2000, mais les constructeurs québécois en adaptent de plus en plus à la réalité et aux conditions climatiques de chez nous.
L’automne dernier, à l’occasion de l’ExpoHabitation de Montréal, le plus important salon de l’habitation au Québec, plusieurs modèles ont été présentés à la population. Parmi eux, des maisonnettes sur roues de la compagnie Charpenterie Da Vinci, conçues en collaboration avec des stagiaires en génie du bois de l’Université.
«J’ai modélisé des structures de bois pour produire des plans utilisés pour la construction de mini-maisons, explique Guillaume Brown, qui termine son baccalauréat. Il s’agissait d’une construction de 8 pieds de large et de quelques pieds de long pouvant être transportée.» Le genre de maisonnettes habitables pendant trois saisons de l’année et parfaites pour des personnes disposant d’un terrain sans résidence.
Bref, si le rêve de posséder une maison demeure bel et bien une constante chez les Québécois, la maison, elle, est appelée à se réinventer. Et les nouvelles générations devront manifestement continuer à faire preuve d’imagination pour parvenir, à leur tour, à faire griller leurs saucisses sur le patio tout en surveillant les enfants qui jouent sur la pelouse!
Publié le 25 novembre 2015
Publié le 29 décembre 2015 | Par Gilles Côté
Je suis moi-même propriétaire d'une maison de la banlieue des années 50-65 et je vois la densification comme une solution, mais le design actuel des nouvelles demeures va causer d'autres problèmes sociaux; la densification actuelle va faire beaucoup de vagues tant que la Ville de Québec n'aura pas indiqué très clairement la ou les voies à suivre pour une occupation du sol en harmonie avec ce qui existe déjà!
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