Imaginez une maison dont on peut faire glisser un mur du salon pour laisser passer plus de lumière vers la cuisine ou prolonger la corniche lorsque le soleil tape trop fort en été… Science-fiction? Loin de là.
Par Nathalie Kinnard
L’architecture adaptative, ou reconfigurable, permet de transformer l’habitat selon les besoins de l’occupant. Les volets d’une fenêtre en sont une expression simple: fermés, ils bloquent les rayons solaires trop chauds ou conservent la chaleur la nuit. Mais les architectes rêvent de plus.
En Nouvelle-Zélande, certains ont imaginé une maison de plage mobile qu’on peut éloigner des côtes lors de tempêtes. Ses murs fenestrés peuvent aussi être recouverts par un panneau amovible lors de pluies violentes ou pour ombrager la pièce.
Ici, plusieurs chercheurs de l’Université Laval travaillent à harmoniser nos maisons avec les changements climatiques et la nature afin qu’elles soient conformes aux nouvelles normes de performances énergétiques de la Régie du bâtiment du Québec et afin d’amortir la hausse des tarifs d’électricité. Selon ces experts, la demeure idéale serait adaptable et bioclimatique, mais aussi sécuritaire pour la population qui vieillit.
Des habitations qui bougent
André Potvin1, professeur à l’École d’architecture, pense à une maison adaptable dont certains pans de murs, de plafonds et de planchers seraient amovibles. Le but? Profiter de la ventilation et de la luminosité naturelles selon la période de la journée ou selon la saison. Pour montrer les possibilités d’une telle demeure, il a fait construire avec sa collègue Claude Demers2, également professeure à l’École d’architecture, un prototype en bois de trois étages à échelle réduite. «Pour nous, le confort passe par la capacité de choisir, précise André Potvin. L’architecture adaptative réinterprète la façon de construire et d’habiter nos logis.»
L’idée de mouvement vient remettre en question le statisme de l’architecture contemporaine de nos maisons et la passivité des gens qui y vivent: «On vient confier un rôle actif à l’occupant en lui proposant des possibilités d’adaptation pour maximiser son confort et les performances énergétiques du bâtiment, explique le chercheur. On ne veut plus un occupant passif dans un bâtiment dont l’action est régulée mécaniquement, mais plutôt un habitant actif qui contrôle un bâtiment passif». Une maison est dite passive lorsqu’elle utilise peu d’énergie pour assurer le confort thermique. Et son occupant a un rôle à jouer pour y parvenir: Il peut, par exemple, fermer stores et rideaux durant la nuit pour conserver la chaleur plutôt que de laisser les thermostats électroniques augmenter le chauffage.
1 André Potvin est également cofondateur et membre du Groupe de recherche en ambiances physiques (GRAP). ↩
2 Claude Demers est aussi cofondatrice et membre du Groupe de recherche en ambiances physiques (GRAP). ↩
Tirer profit du climat
L’architecture adaptative se situe parfaitement dans l’esprit de la construction bioclimatique. Cette approche prône l’interaction entre l’occupant, le bâtiment et son environnement. Selon Catherine Dubois3, chargée de cours à l’École d’architecture, il faut mettre nos maisons en phase avec le climat actuel et futur ainsi qu’avec les besoins évolutifs de leurs occupants.
«On cherche à s’affranchir des systèmes mécaniques d’éclairage artificiel, de ventilation, de chauffage et de climatisation en optimisant les apports du soleil, du vent, de la végétation, de la topographie et des bâtiments voisins», rapporte Mme Dubois. Résultats: du confort, une réduction de la consommation énergétique et une plus grande capacité d’adaptation aux changements climatiques. Par exemple, selon André Potvin, une façade adaptative constitue, par son dynamisme, une option intéressante pour répondre à la variabilité des conditions climatiques et aux besoins des habitants.
Le confort a en effet une double exigence au Québec: avoir chaud l’hiver et être au frais l’été. Pour affronter la saison froide, la maison idéale sera protégée des assauts continuels des vents d’ouest et du nord-est. Comment? Soit par sa forme, soit par l’existence d’éléments brise-vent, comme des haies ou des clôtures. En plus, elle sera étanche, bien isolée et aura de grandes baies vitrées au sud pour profiter au maximum de la lumière et de la chaleur solaires dans les espaces de vie (séjour, cuisine, salle à manger, etc.). Pour supporter les journées chaudes, des dispositifs d’ombrage bien dimensionnés et positionnés, comme des saillies, des balcons, des corniches, des arbres et des plantes grimpantes, protègeront les façades du soleil. Et, la nuit, lorsque la brise est fraîche, on ouvrira les nombreuses fenêtres placées de part et d’autre du logis.
Malheureusement, selon Catherine Dubois, les constructions résidentielles actuelles ne se font pas du tout dans cette optique-là. «On voit tout de même plus d’initiatives bioclimatiques qu’il y a 10 ou 15 ans, notamment chez les gens soucieux de l’environnement, note la chercheuse. La diffusion de certains projets sur Internet permet de faire connaître le concept à la population.»
Parmi ces projets, la maison ERE 132, située aux Jardins des Métis, est devenue une vitrine de l’écoconstruction basée sur un modèle d’habitation durable et adaptée au climat nordique. Tout y a été pensé pour réduire les effets néfastes sur l’environnement et favoriser la santé. Ainsi, 60% de son éclairage est naturel avec un contrôle de la surchauffe estivale grâce à des pare-soleil. Le bois y est à l’honneur, entre autres pour sa faible empreinte environnementale.
3 Catherine Dubois est stagiaire postdoctorale au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). ↩
Les avantages du bois
De fait, le choix des revêtements est important pour une maison bioclimatique. «Certains matériaux ont la capacité de réfléchir ou de stocker la chaleur», précise Catherine Dubois. Comme le bois. «Les murs en panneaux de bois massif offrent une masse thermique qui emmagasine la chaleur le jour et la libère la nuit, confirme Natalie Noël, coordonnatrice de la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB)4 de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique. De plus, c’est un matériau sain qui régule l’humidité en l’absorbant.»
Du point de vue environnemental, le bois réduit les émissions de gaz à effet de serre quand il remplace des matériaux plus énergivores. De plus, il séquestre le carbone pendant sa durée de vie, soit plusieurs centaines d’années quand il est bien conservé. Parmi les produits intéressants, le bois lamellé-croisé peut remplacer le béton. Ces panneaux massifs, formés de trois à neuf planches posées en couches perpendiculaires et collées entre elles, sont très solides et étanches. Ils conviennent aux murs, aux planchers et aux toitures. Ils sont préfabriqués en usine et génèrent moins de déchets et d’énergie à la source que l’acier et le béton.
Justement, le CIRCERB participe avec l’Office municipal d’habitation de Québec et la Société d’habitation du Québec à l’analyse d’un édifice de quatre étages en bois construit au sein du projet immobilier la Cité Verte. Dans cet immeuble multirésidentiel de 40 logements, situé dans le quartier Saint-Sacrement à Québec, la moitié des unités sont en panneaux lamellés-croisés, alors que les autres ont une structure préfabriquée en ossature traditionnelle légère. «Nous avons installé des sondes de température et d’humidité pour voir comment les matériaux se comportent une fois les occupants installés dans les deux unités, révèle Mme Noël. Nous voulons comparer les avantages énergétiques et pratiques de ces deux modes de construction.»
Un logis qui parle
Cela dit, en architecture, tout passe par les sens. «Le meilleur capteur restera toujours les gens dans la maison», maintient André Potvin. Ainsi, l’architecte suggère de restreindre les gadgets de contrôle automatique des lumières, des stores ou des systèmes mécaniques. Par contre, il ne faut pas bouder toutes les nouvelles technologies de domotique. «Les détecteurs de température et d’humidité informent l’occupant de ce qu’il doit faire, par exemple ouvrir la fenêtre ou démarrer l’échangeur d’air», poursuit M. Potvin.
La domotique résidentielle –l’intégration de technologies pour contrôler les systèmes nécessaires au fonctionnement d’une maison– prend toute son importance pour les personnes âgées ou handicapées en quête d’autonomie dans leur logis. «Le gouvernement est très sensible au maintien des personnes à domicile et cela passe, entre autres, par le contrôle de la maison grâce aux technologies sans fil», révèle Denis Laurendeau5, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique. Des capteurs installés sous le lit, les fauteuils, les tapis ou sur les portes permettent à des ordinateurs de déduire la position et le déplacement d’une personne dans sa maison. Des caméras peuvent également analyser sa démarche, et des détecteurs l’alerter lorsque la cafetière ou la cuisinière restent allumées trop longtemps.
«Pour le moment, ces technologies sont testées dans des laboratoires ou dans des maisons modèles, confie M. Laurendeau. Nos ordinateurs ne sont pas encore au point pour analyser efficacement les données enregistrées par les capteurs et les images captées par les caméras. Il faut notamment améliorer les algorithmes d’apprentissage automatique qui donnent à l’ordinateur la capacité de « s’adapter » aux habitudes de vie d’une personne.» Robert Bergevin6, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique, en a fait son défi. Il travaille à perfectionner ces algorithmes afin qu’un ordinateur puisse, par exemple, identifier ce qu’une personne transporte et relier la charge à un risque de blessure. Ainsi, le chercheur espère avoir un système qui fera plus qu’identifier une chute ou un malaise, mais qui pourra prévenir ces situations chez les aînés.
5 Denis Laurendeau est également directeur du Laboratoire de vision et systèmes numériques (LVSN). ↩
6 Robert Bergevin est aussi membre du Laboratoire de vision et systèmes numériques (LVSN). ↩
Vieillir à domicile
Toute personne en perte d’autonomie en vient un jour à se demander si elle doit quitter son logis. Plusieurs études, dont celle du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa), confirment qu’une majorité de banlieusards souhaitent vieillir chez eux, dans le quartier qu’ils connaissent. «Mais le vieillissement implique des ajustements, soutient Geneviève Vachon7, professeure à l’École d’architecture. On peut adapter l’intérieur d’une maison ou prévoir un logement annexé à la demeure pour un membre de la famille.»
Ainsi, plusieurs villes autorisent aujourd’hui la construction d’une extension aux bungalows pour en faire des habitats intergénérationnels. «Les bungalows sont une mine d’or pour l’ajout d’un logement, note Mme Vachon. En plus, ces plain-pied sont recherchés par la population vieillissante. Ce modèle pourrait devenir la maison idéale de demain!»
Par ailleurs, des programmes gouvernementaux permettent aux aînés de sécuriser leur domicile. Par exemple, le programme Logements adaptés pour aînés autonomes de la Société d’habitation du Québec accorde une aide financière aux personnes de 65 ans et plus ayant un faible revenu pour qu’elles puissent apporter des adaptations mineures à leur logis afin de continuer à y vivre de façon autonome et sécuritaire. On peut penser à l’installation d’une main courante le long d’un corridor, à l’ajout de barres d’appui près de la baignoire ou encore à la construction de rampes d’accès comme solutions de rechange aux escaliers.
Alors que Statistique Canada prévoit que les 65 ans et plus compteront pour 26% de la population en 2031, les villes veulent diminuer le fardeau de l’hospitalisation et de l’hébergement dans les ressources intermédiaires, tels les CSSS. Le mot d’ordre pour l’avenir: sécuriser les aînés chez eux et faire économiser des centaines de millions de dollars à l’État québécois!
7 Geneviève Vachon est aussi codirectrice du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa) et membre du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). ↩
Publié le 25 novembre 2015
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