Un pari nommé vieillesse
À défaut de viser l'immortalité, peut-on penser vieillir dans une société qui valorise l'apport de ses aînés?
Par Pascale Guéricolas
C’est une réalité démographique incontestable: les sociétés industrialisées vieillissent. Au Québec, les 65 ans et plus sont aujourd’hui 1,2 million, formant 16% de la population. Et leur nombre aura doublé en 2031, évalue l’Institut de la statistique du Québec. Voilà pour les faits.
Ensuite, la façon dont on appréhende la réalité varie selon les personnes. Dans le discours dominant, le vieillissement de notre société est associé au déclin irrémédiable de la productivité, du dynamisme et de la créativité. Des arguments repris jusqu’à plus soif dans les médias.
D’autres voient pourtant les choses autrement. Saluant d’abord les progrès de la médecine et de l’amélioration des conditions de vie qui ont permis aux Occidentaux d’espérer vivre jusqu’à plus de 80 ans, ils soulignent le rôle économique et social majeur que jouent les aînés. Est-il possible que le vieillissement démographique contribue à la vigueur d’une société? Esquisse de réponse avec des experts prêts à parier sur l’avenir que représente la vieillesse.
Qu’est-ce qu’être vieux?
Il suffit de se remémorer la douleur et la dignité des «enfants» frappés par la tragique disparition de leurs parents dans l’incendie de la résidence de L’Isle-Verte, en janvier dernier, pour constater que les chiffres ne disent pas tout. Oui, le décès de très vieilles personnes affecte profondément leurs proches. Et non, ces enfants ayant eux-mêmes soufflé leurs 60 ou 70 bougies ne correspondaient en rien au stéréotype de la personne âgée qui s’effondre face aux difficultés. Mêmes stéréotypes qui volent en éclat quand un reportage nous présente un octogénaire de retour de Katmandou ou au fil d’arrivée d’un marathon.
Pourtant, le chiffre magique pour établir qui est vieux et qui ne l’est pas, c’est toujours 65 ans. L’étalon est identique depuis plus de 3 siècles, même si la condition physique des sexagénaires s’est considérablement améliorée entre-temps.
Selon les historiens, il faut remonter aux années 1700 pour éclaircir le mystère de cette frontière des 65 ans, âge limite auquel un homme peut alors cesser de porter les armes sans être reconnu déserteur. En 1927, le Canada fixe pour sa part à 70 ans l’âge minimum des personnes démunies à qui verser une pension. Vu le petit nombre de septuagénaires à l’époque, un tel geste ne risquait pas de vider les coffres de l’État! C’est à la fin des années 1950 que l’âge d’admissibilité à la pension canadienne a été établi à 65 ans.
Cette discussion arithmétique fait dire à l’historienne Aline Charles1que la vieillesse relève davantage de la construction sociale que d’une réalité scientifique documentée. «D’ailleurs, c’est seulement au 20e siècle qu’on a commencé à vraiment s’intéresser à l’âge des gens et à le considérer comme un élément d’identité, précise la professeure du Département des sciences historiques. Jusque-là, les dates de naissance étaient imprécises et les anniversaires, moins fêtés.»
Une vieillesse, plusieurs visions
Avec l’industrialisation et l’urbanisation, les rapports entre classes d’âge évoluent. En passant de la ferme à l’atelier, puis à l’usine, le travail se segmente, note la professeure. Les générations ne cohabitent plus pour accomplir une tâche commune comme l’agriculture et les soins à la famille. Après l’âge de la retraite, il n’est donc plus possible de mettre la main à la pâte selon ses capacités, et les «pensionnés» deviennent inactifs. Une certaine image de la vieillesse dépendante se met progressivement en place à partir du milieu du 19e siècle, pour devenir le discours dominant dans la société.
Cette impression négative, tous ne la partagent cependant pas, fait remarquer Aline Charles: «À chaque époque, plusieurs visions coexistent. Déjà à l’Antiquité, on évoquait le vieillissement plus précoce chez les femmes que chez les hommes, ce que l’industrie du paraître a encore accentué aujourd’hui. D’un autre côté, certaines publicités actuelles pour des placements financiers projettent une image très joyeuse des gens plus âgés.»
1 Aline Charles est également membre du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ) et de la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés. Elle est l’auteure du livre Quand devient-on vieille ? Femmes, âge et travail au Québec, 1940-1980 paru en 2007. ↩
Le Klondike démographique
Le regard que chaque société porte sur ses membres vieillissants n’a donc rien de bien objectif. Une mauvaise image a toutefois une énorme influence, notamment sur la consommation. Au point que de nombreux commerces ignorent volontairement un segment de clientèle plus âgée, de peur de faire fuir les plus jeunes. Erreur stratégique majeure, juge Gale West2, qui donne le cours Consommation et vieillissement au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation.
«Actuellement, les personnes âgées disposent d’un revenu discrétionnaire plus élevé que jamais, mais cela ne se reflète pas sur le marketing des entreprises, constate la professeure. C’est très rare, par exemple, de voir une boutique de vêtements adaptés aux corps des 55-70 ans ouvrir ses portes. Les commerces se concentrent plutôt sur la même clientèle, celle des jeunes adultes, pourtant moins nombreux dans la population.»
Selon Gale West, les entreprises désireuses d’accroître leurs revenus devraient mettre l’âgisme au placard. Certains entrepreneurs commencent d’ailleurs à embaucher des gérontologues pour comprendre le potentiel d’un marché en pleine expansion. Sports Experts a vu ses revenus augmenter après une campagne publicitaire où un planchiste septuagénaire discutait de ses performances sur les pentes, en toute équité avec des ados. En ces temps de faible taux de natalité, des fabricants de couches jetables pour bébés ont, de leur côté, compris l’intérêt que représente le vieillissement de la population. Un marché prometteur s’ouvre, celui des protections pour l’incontinence.
Bon pour eux, bon pour d’autres
Certains produits ou services conçus pour une clientèle plus âgée peuvent s’avérer très utiles pour d’autres segments de la population. Qu’on pense aux oreillers destinés aux gens en proie aux douleurs dans le cou ou aux aménagements urbains comme les mains-courantes lorsque le trottoir court sur un dénivelé. «Se retenir dans une pente n’est pas réservé aux personnes qui ont une canne à la main, s’exclame Gale West. C’est aussi utile avec une poussette pour enfants ou en patins à roues alignées!»
Une opinion que partage Jean Vézina3, professeur à l’École de psychologie. Ce spécialiste du vieillissement milite pour des villes amies des aînés, adaptées à une population moins mobile: trottoirs bien éclairés, multiplication des bancs, affichage facile à lire. Un aménagement dont tous les citoyens pourraient bénéficier. Encore faudrait-il, selon lui, que ses contemporains abandonnent les trop nombreux stéréotypes reliés à cette étape de vie. «Les politiciens contribuent beaucoup aux images négatives sur la population âgée en soulignant son manque de productivité, les dépenses reliées au système de la santé, dénonce-t-il. J’ai l’impression que cette partie de la population sert de bouc émissaire. Dans les faits, l’augmentation des frais de santé s’explique en grande partie par les coûts technologiques croissants, les salaires ainsi que la mauvaise gestion du système, et non par les seules données démographiques.»
2 Gale West est aussi membre de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés (IVSPA). ↩
3 Jean Vézina est également membre de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés (IVSPA). ↩
Des aînés toujours citoyens
Jean Vézina estime que les personnes âgées auraient tout intérêt à prendre davantage conscience de leur importance sociale, en faisant fi de la belle indifférence des plus jeunes à leur égard. Il suffit de réaliser l’ampleur du soutien des parents envers leurs enfants devenus adultes ou de l’aide mutuelle que s’apportent les conjoints âgés pour réaliser que le filet de sécurité aurait bien plus de trous si les aînés n’étaient que les boulets sociaux qu’on prétend.
Bernadette Dallaire4,professeure à l’École de service social, endosse aussi ce discours. Membre de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés (IVSPA), elle fustige «l’apocalypse démographique» que prévoient tant d’experts, dont les signataires du Manifeste des lucides en 2005. «Pourquoi un peuple plus âgé serait-il forcément moins dynamique et moins créatif? s’interroge-t-elle. En vieillissant, on continue de consommer et de contribuer à la société. Le Québec pourrait même devenir un laboratoire d’innovation, puisque sa population âgée augmente beaucoup.»
Adepte du principe de la solidarité intergénérationnelle, la chercheuse refuse de voir les retraités et les jeunes familles comme des concurrents sur le terrain des politiques publiques. D’autant plus que l’implication sociale des aînés remplace souvent leur retrait du marché du travail, comme le remarque Andrée Sévigny5, directrice adjointe de l’Institut sur le vieillissement et la participation sociale des aînés (IVSPA). Le constat de cette professeure du Département de médecine familiale et de l’École de service sociale: le bénévolat contribue grandement à la vigueur du tissu social.
Bénévolat et activisme
«Beaucoup de villages québécois seraient fermés aujourd’hui si les aînés ne s’impliquaient pas autant dans leur communauté», lance Andrée Sévigny. Visites à domicile, engagement dans les loisirs et la culture, aide aux devoirs, animation dans les centres de jour pour personnes âgées: les fonctions endossées par un Québécois de 65 ans et plus sur 4 sont multiples. Et fort utiles. Selon la chercheuse, l’entraide sort de l’isolement non seulement les personnes aidées, mais aussi celles qui s’impliquent. Une certaine forme d’appartenance à un groupe ou à un réseau aux valeurs communes prolonge la vie sociale de personnes souvent vues comme inactives.
La participation sociale aurait d’ailleurs un effet positif sur la santé de celles et de ceux qui s’y consacrent, concluent plusieurs études exploratoires évoquées par Mme Sévigny. La consommation de médicaments ainsi que les risques de dépression ou de perte de mémoire diminueraient lorsqu’on s’engage bénévolement.
La lutte contre les inégalités sociales fait aussi partie de la palette d’actions des bénévoles.
«Les organismes de militance ne manquent pas, fait-elle valoir, qu’il s’agisse du réseau de la FADOQ ou des Mémés déchaînées». Des regroupements bien décidés à combattre un âgisme qui considère les aînés comme des personnes à organiser.
Une nouvelle donnée teinte aussi le tableau, note Andrée Sévigny: l’arrivée en force des baby-boomers dans les organismes en manque de bénévoles. Souvent engagés sur plusieurs fronts, les enfants d’après-guerre apprécient de gérer eux-mêmes leur agenda. Entre un voyage dans le Sud et leur petit-fils à aller chercher à l’école, ces retraités actifs refusent de se laisser enfermer dans un horaire. Ils cherchent un bénévolat souple et veulent surtout bien comprendre l’utilité des actions qu’on leur demande d’entreprendre. En 1 mot comme en 100, ces aînés nouveau genre ont conscience de leur valeur au sein d’une société toujours plus vieillissante.
4 Bernadette Dallaire est membre du Groupe de recherche sur l’inclusion sociale, l’organisation des services et l’évaluation en santé mentale (GRIOSE-SM) du Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale ↩
5 Andrée Sévigny est membre de l’Équipe de recherche Michel-Sarrazin en oncologie psychosociale et soins palliatifs (ERMOS). ↩
Publié le 9 avril 2014
Publié le 25 novembre 2017 | Par Bernard Guay
Publié le 19 janvier 2015 | Par Jeannine Lahaye
Une retraitée active.
Publié le 13 avril 2014 | Par Serge Laquerre
Pour inciter les âgés à demeurer actifs, des incitatifs doivent être mis en place, pour contrer le grand confort qu'offrent à plusieurs les revenus à la retraite sans obligation.
Ceux qui doivent ou préfèrent continuer à travailler sont donc ceux qui doivent d'abord être ciblés et encouragés à continuer à être productifs le plus longtemps possible.
Il semble aussi logique et équitable envers les générations futures de repousser l'âge de la retraite pour maintenir notre productivité et ainsi partager les coûts liés à la longévité des citoyens.
Faut aussi faire d'immenses efforts pour favoriser la bonne santé par l'activité physique et la bonne alimentation et ainsi rendre les personnes plus productives, tant du point de vue économique que social et enlever du stress sur notre système de santé et aider les générations futures à être plus productives économiquement et socialement.
Publié le 12 avril 2014 | Par LONG LEVAN
Jeune est celui qui s'étonne et s'émerveille.
Il demande, comme l'enfant insatiable: et après?
Il défie les événements et trouve de la joie au jeu de la vie.
Vous êtes aussi jeune que votre foi. Aussi vieux que votre doute.
Aussi jeune que votre confiance en vous-même.
Aussi jeune que votre espoir. Aussi vieux que votre abattement.
Vous resterez jeune tant que vous resterez réceptif.
La jeunesse n'est pas seulement une période de la vie;
elle est un état d'esprit,
un effet de la volonté,
une qualité de l'imagination,
une intensité émotive,
une victoire du courage sur la timidité,
du goût de l'aventure sur l'amour du confort.
On ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d'années:
on devient vieux parce qu'on a déserté son idéal.
Les années rident la peau; renoncer à son idéal ride l'âme.
Les préoccupations, les doutes, les craintes et les désespoirs
sont les ennemis qui, lentement, nous font pencher vers la terre
et devenir poussière avant la mort.
Réceptif à ce qui est beau, bon et grand.
Réceptif aux messages de la nature, de l'homme et de l'infini.
Si, un jour, votre cœur allait être mordu par le pessimisme
et rongé par le cynisme,
Puisse Dieu avoir pitié de votre âme de vieillard." (Samuel Ullmann)
Les personnes qui réussissent leur vieillesse ne sont pas celles qui l'ont préparée; mais parce qu'elles ont vécu et donné un sens à leur vie lequel va se prolonger dans la vieillesse. Aussi, la vieillesse c'est prendre du temps pour l'Es-sens-Ciel , c'est prendre du temps pour son intérieur, pour son âme, pour son Soi.
Publié le 11 avril 2014 | Par Linda Lefrançois
Je viens tout juste d'avoir 65 ans, j'en parais près de 10 ans de moins et je suis active auprès de mes enfants et dans la vie. Si j'ai pris ma retraite, c'est en gage d'investissement sur ma santé afin de vivre longtemps avec une belle qualité de vie et pouvoir en profiter pleinement. J'adorais travailler en tant que gestionnaire des ressources humaines et cela me manque. Après un retour aux études dans des conditions difficiles, j'ai tracé le chemin d'une nouvelle carrière à 46 ans. J'ai maintenant décidé de diminuer le rythme à titre préventif, la pression au travail étant si grande et le stress si sournois quant à ses effets sur la santé.
Je suis très heureuse qu'enfin on publie des articles qui permettent de décloisonner la pensée sociale embrigadée dans le mythe qu'avoir 65 ans, c'est être vieux. Merci à vous et je vous prie de continuer ce magnifique travail d'équipe.
Publié le 11 avril 2014 | Par Marc Lamontagne
Je suis brigadier scolaire depuis plus de 4 ans.
C'est une activité qui me convient parfaitement bien, parce que j'aime être dehors et j'aime les enfants.
C'est la forme de contribution sociale que j'ai choisie après avoir essayé l'aide aux devoirs, activité que, comme grand-père, j'ai délaissée rapidement, parce que je n'aimais pas faire la discipline.
Oui, je crois qu'il est important, comme retraité, de contribuer selon ses capacités à la société.
Et pour ce faire, il n'est pas nécessaire d'avoir un fonds de pension luxueux.
L'énorme plaisir d'être utile aux tout-petits vaut tellement plus.
Publié le 11 avril 2014 | Par Madeleine Magnan
J'habite encore ma maison et ce que je déplore c'est que dans un petit milieu, il est très difficile de trouver de l'aide pour le gazon, le grand ménage et autres petits travaux.
Heureusement que physiquement je ne fais pas mon âge, car cela aide.
Je souhaite qu'il y ait plus de formation dans les villes amies des aînés et non seulement de l'activité physique.
Merci de mieux faire reconnaître la valeurs des aînés qui ne sont pas trop malades pour un milieu hospitalier.
Madeleine Magnan
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