Mémoire: mode d’emploi
Champions de la mémoire et chercheurs sont d'accord: une mémoire efficace, ça se développe, ça s’entraîne et ça s’entretient.
Par Brigitte Trudel
Parler, manger, contacter un ami. Tous nos gestes quotidiens, ou presque, sollicitent la mémoire. Cette faculté fait tellement partie de nos vies que nous en oublions parfois son importance! Et pourtant: «Sans mémoire et les apprentissages qu’elle permet, il n’y a pas de survie possible», affirme Alexandre Buysse1, professeur au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage. Mais ce lien étroit n’est pas figé, déterminé d’avance, précise-t-il. «La mémoire est vivante, elle se transforme en permanence. Très malléable chez les petits, elle se spécialise au fur et à mesure que nous grandissons, notamment selon nos métiers, nos occupations.»
Au début de la vie
Cela dit, bien que cette spécialisation de la mémoire contribue à notre efficacité, il ne faut pas la provoquer trop tôt. Pourquoi? «Parce la capacité de mettre en lien divers éléments d’information est probablement le plus grand déterminant de la mémoire», indique Alexandre Buysse. En gros, c’est en liant les éléments nouveaux aux connaissances qu’on possède et en leur donnant un sens à partir de nos expériences qu’on arrive à les mémoriser. «Or, plus on donne à l’enfant l’occasion de se familiariser avec différents domaines —arts, langues, etc.—, plus on lui fournit de tentacules grâce auxquelles il pourra retenir ce qu’il doit apprendre.»
D’ailleurs, l’enfant cherche par lui-même à comprendre ce qui l’entoure pour mieux équiper sa mémoire. L’âge des «pourquoi», ça vous dit quelque chose? «Pareillement, ces chansons ou ces histoires que l’enfant souhaite réentendre en boucle, il ne cherche pas à les retenir par cœur, mais plutôt à créer chaque fois plus de sens avec ce qu’il connaît déjà. Et c’est ainsi qu’il les apprend! En tant que parent, on peut guider l’enfant dans ce processus en insérant dans l’histoire des détails de sa vie personnelle, en lui demandant de la résumer dans ses mots.»
Quand on entre à l’école
Sans surprise, à l’école, la mémoire fonctionne aussi en liant des éléments les uns aux autres. «La répétition sans donner de sens n’aide pas les élèves à apprendre, constate Alexandre Buysse. Cela vaut aussi pour les règles de mathématiques et de grammaire qui, le plus souvent, sont inculquées sans mise en contexte.»
De plus, on l’aura compris, mémorisation va de pair avec personnalisation. Ce qui soulève toute la question de l’apprentissage propre à chaque enfant. «Malheureusement, le système scolaire demeure en général rigide et linéaire, alors que la mémoire, elle, ne l’est pas, déplore le professeur. Heureusement, un nombre croissant d’enseignants osent des méthodes originales. Leurs initiatives doivent être encouragées.»
Quant à l’importance d’un sommeil suffisant pour les écoliers, plusieurs données scientifiques en font état. «Le manque de sommeil diminue la capacité attentionnelle et empêche la reconfiguration en profondeur des connexions qui forment la mémoire», précise Alexandre Buysse. Détail étonnant, cette reconfiguration ne se limite pas aux périodes de dodo. «Être dans la lune ou rêvasser la permet également, note-t-il. En ce sens, c’est une erreur d’occuper les enfants en permanence. Leur mémoire a besoin de temps à ne rien faire.»
1 Alexandre Buysse est aussi membre de l’Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation et chercheur au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire. ↩
La mémoire comme outil incontournable du cursus scolaire, la chose semble évidente. Ce qui l’est moins c’est que, bien qu’aiguisée depuis l’enfance, jamais cette faculté ne sera mue par un mécanisme automatique, rapporte Véronique Mimeault, psychologue et coordonnatrice de l’équipe Apprentissage et réussite du Centre d’aide aux étudiants de l’Université Laval: «Les étudiants pensent souvent que mémoriser finit par aller de soi, un peu comme un réflexe naturel. Ils sont étonnés quand je leur dis que, au contraire, cela exige toujours des efforts et de la pratique.»
À ce stade de leur formation, les étudiants doivent être en mesure d’encoder l’information et de la récupérer pour réussir aux examens, mais aussi pour pratiquer leur futur métier. « C’est donc la mémoire à long terme qu’il faut travailler. Mais vite appris, vite oublié, met en garde la psychologue. Un blitz d’études à la dernière minute risque fort d’engorger la mémoire. Tel notre système digestif qui ne peut engloutir d’un trait tous les repas d’une journée, le cerveau a besoin de digérer. Six plages d’études séparées valent donc mieux que deux fois trois plages très intensives.»
5 étapes…
Pour maximiser la mémoire durant ces périodes d’études, le Centre d’aide aux étudiants propose une stratégie éprouvée. D’abord sélectionner l’information: «Le tri permet d’éviter la surcharge», explique Véronique Mimeault. Ensuite, la structurer pour faciliter la récupération. Puis, faire des liens. C’est le déterminant de la mémoire tel que mentionné par Alexandre Buysse. Les stratégies mnémotechniques s’appuient sur cette capacité. «Une foule de moyens s’offrent aux étudiants selon ce qui leur correspond le mieux, souligne Véronique Mimeault. Faire des dessins, des acrostiches, inventer des histoires, placer les éléments à apprendre le long d’un chemin connu et le parcourir mentalement, inventer une chanson. Plus on multiplie les canaux sensoriels, plus la méthode risque d’être efficace.» Restent la récitation de la matière, c’est-à-dire tester sa mémoire sans se référer au texte, et sa révision à l’aide de résumés et de synthèses qui permettent de consolider les acquis.
…et 5 conditions
Mais ce n’est pas tout! Pour un effet maximal, ces étapes doivent être réalisées dans des dispositions favorables. L’intention de mémoriser, d’y consacrer du temps et de l’énergie, représente la première. Puis vient l’intérêt: on retient mieux ce qui nous semble pertinent et ce que l’on comprend.
Suivent l’attention et la concentration. En 18 ans d’expérience au Centre d’aide aux étudiants, Véronique Mimeault a vu le défi augmenter concernant ces 2 pivots. «L’arrivée des nouvelles technologies y est pour quelque chose, dit-elle. D’une part, leur apparition a réduit le besoin de retenir de l’information et donc, la pratique de la mémoire. D’autre part, elles comptent pour une source majeure de distraction.» L’idée n’est pas de diaboliser ces outils dont certaines applications peuvent être pratiques, module la psychologue. Mais il convient d’en contrôler l’usage, en commençant par fermer leur sonnerie lorsqu’on étudie.
Les saines habitudes de vie (bien manger, bouger, dormir suffisamment) font aussi partie des conditions essentielles. Elles aident à la santé en général tout en réduisant le stress et l’anxiété qui nuisent à la mémoire. Enfin, la perception d’efficacité personnelle n’est pas à négliger: «La mémoire est sensible à la confiance en soi, soutient Véronique Mimeault. Ceux qui se disent ″je n’ai pas de mémoire″ entretiennent une fausse perception. À moins d’un dommage cérébral, tout le monde a les capacités de mémoriser. Il suffit de savoir comment s’y prendre.»
Une fois les études achevées, que se passe-t-il avec la mémoire? Moins sollicitée sur le plan des apprentissages, est-elle destinée à s’effriter? Un déclin cognitif biologique lié à la mémoire apparaît dès le tournant de la quarantaine. C’est normal, indique le professeur à l’École de psychologie, Carol Hudon2. Malgré cette réalité incontournable, une bonne nouvelle: on peut toujours accroître nos capacités mnésiques. «L’image du disque dur trop rempli est un mythe», assure le chercheur.
La stimulation intellectuelle a de toute évidence des bienfaits, tout comme les trucs utilisés en contexte scolaire sont toujours pertinents. D’ailleurs, plus on vieillit, plus on accumule d’expériences de vie qui pourront servir à créer les liens qui aident à la mémorisation. En outre, souligne Carol Hudon, des études ont démontré qu’il est possible d’augmenter nos ressources attentionnelles notre vie durant: «On peut affiner ses capacités d’attention simplement en prenant le temps de s’arrêter à une tâche précise.»
Cela dit, peu importe l’âge, l’une des clés pour gagner en attention et en mémoire demeure l’activité physique. «Santé cardiovasculaire et oxygénation du cerveau vont de pair», note Carol Hudon. D’autres habitudes auraient aussi une incidence: «Le régime méditerranéen et les polyphénols compris dans les petits fruits agiraient positivement sur la mémoire et la concentration, précise le chercheur. À l’inverse, une alimentation riche en gras et en sel nuit au système cardiovasculaire et, par ricochet, à l’oxygénation du cerveau.» Quant au sommeil, ses bénéfices sont communs à tous les groupes d’âge. On parlera toutefois davantage de bonne qualité de sommeil plutôt que d’un nombre d’heures prescrites, la quantité nécessaire diminuant avec les années.
Vous avez dit réseaux sociaux?
Enfin, soigner sa mémoire est indissociable des conditions de bien-être général. Dans cette foulée, d’importants liens ont été établis entre la richesse de nos réseaux sociaux et le maintien de notre mémoire, mentionne Carol Hudon. Et il n’est pas question ici de Facebook! «On parle de relations véritables qui supposent un engagement significatif, insiste le professeur. Interagir et être entouré augmente non seulement la qualité de vie, mais permet d’entretenir des conversations soutenues qui font appel aux capacités cognitives.» Quant aux réseaux sociaux qui passent par Internet, leurs effets sont pervers, déplore le chercheur. «Ils demandent de traiter l’information de façon superficielle, sans prendre le temps de réfléchir. Or, pour s’exercer, la mémoire a besoin d’une analyse plus en profondeur. »
Bref, la mémoire peut demeurer une alliée sûre toute notre vie. Il suffit de prendre les dispositions nécessaires pour la garder alerte. Les chercheurs ont beaucoup contribué à dissiper les doutes à cet effet. Plus encore, de récentes recherches sont en voie d’offrir à la mémoire une douce revanche. Carol Hudon fait état de découvertes qui suggèrent qu’elle développerait un biais positif avec le temps. Devant une liste de mots à mémoriser, les jeunes adultes se rappellent davantage ceux à connotation négative, alors que pour les plus âgés, c’est le contraire. La mémoire comme temple de la sagesse? Allez savoir!
2 Carol Hudon est aussi membre de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec et membre du Consortium pour l’identification précoce de la maladie d’Alzheimer – Québec (CIMA-Q). ↩
Publié le 16 novembre 2016
Publié le 18 novembre 2016 | Par Liliane
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