Le terroir fait-il recette?
Route des vins ou des saveurs, autocueillette, séjour à la ferme: beaucoup de touristes s'offrent un retour à la terre!
Par Serge Beaucher
À l’heure où les régions rivalisent de séduction pour allécher les touristes, le terroir fait-il courir les foules? Dans le sens large du mot, qui englobe agriculture, paysages et gastronomie, oui, répond Pascale Marcotte, professeure au Département de géographie et responsable scientifique de la Chaire de recherche en partenariat sur l’attractivité et l’innovation en tourisme (Québec–Charlevoix)1. «Mais ce tourisme est loin d’être le plus répandu, précise-t-elle, et il prend toutes sortes de formes.»
Le traditionnel tour de la Gaspésie dans le confort de l’auto climatisée a fait place –au moins en partie– au désir d’expérience et de contact, au plaisir de goûter, à la volonté de participer. Ainsi, les routes et les circuits touristiques qui se sont multipliés depuis quelques décennies offrent tous de telles options. L’expérience ultime, pour plusieurs agrotouristes: participer aux travaux de la ferme quelques jours ou vendanger, pendant un quart de travail, le raisin qu’on viendra récupérer sous forme de bouteille l’année suivante.
En famille
Qui sont-ils, ces touristes que la campagne attire? Des personnes souvent plus scolarisées que la moyenne, avec des revenus supérieurs, pour qui l’apprentissage est une donnée importante, analyse Pascale Marcotte. «Les familles y sont très présentes, dit-elle. Et ce sont souvent les femmes qui choisissent la destination en fonction d’un produit du terroir, surtout s’il y a, dans l’activité, un côté éducatif pour les enfants.» Les hommes, eux, seront davantage intéressés par une activité présentant une composante technique ou historique.
Les agrotouristes sont aussi beaucoup des excursionnistes qui font des sorties d’une journée en milieu rural, certains pour visiter une ferme artisanale, d’autres pour participer à une activité gourmande ou pour aller pratiquer l’autocueillette. Les retraités et les touristes étrangers feront de même jusque tard en automne, contribuant ainsi à prolonger –avec la palette des couleurs– une saison touristique qui se terminait naguère début septembre.
Ce que tous ces gens recherchent, autant que le produit du terroir lui-même, c’est le lieu de production, le paysage qui y mène et, si possible, le contact avec l’agriculteur. Ethnologue chargée de cours au Département des sciences historiques, Christine Bricault2 a fait sa recherche de maîtrise sur la Route des vins de Brome-Missisquoi3 voilà une dizaine d’années. Pour elle, les gens veulent apprendre, connaître, vivre une expérience. D’où les journées vendanges pour bénévoles que de plus en plus de vignerons organisent, même si cela représente énormément de travail pour eux. Les vendangeurs d’un dimanche ont l’impression d’entrer dans un temps plus lent, entourés de calme et de quiétude. «Ils socialisent volontiers, s’intéressent autant au potager qu’à la vigne et s’amusent avec le chaton des propriétaires.»
Retour à la terre?
Un genre de retour à la terre, alors, aux racines profondes? Une conception idéalisée de la campagne? C’est sûr que le monde rural est auréolé d’un imaginaire très fort, où «l’authenticité» voisine avec «la vraie vie» et «la vie saine», convient Pascale Marcotte. Même le producteur, d’une certaine manière, jouit de cette aura: «C’est lui qui nous nourrit, qui nous tient en vie. Nous avons une relation intime avec les aliments et nous sommes dépendants de ceux qui les produisent.»
L’agrotourisme n’est pas empreint de nostalgie pour autant, estime Mme Marcotte. Sinon pour une certaine recherche des goûts et des saveurs d’autrefois. Oui, quelques agriculteurs artisans qui accueillent les touristes tablent encore sur des images du passé. Mais ils sont de moins en moins enclins à s’y enfermer, selon Christine Bricault: «La tendance à “décorer champêtre” se tasse tranquillement. L’aménagement de boutiques épurées, comme en milieu urbain, est de plus en plus la norme.»
D’ailleurs, les agrotouristes n’en ont pas que pour les entreprises traditionnelles. Si l’on veut montrer aux enfants comment vivent les animaux de ferme, d’où viennent le bacon et le fromage, on veut aussi connaître l’agriculture moderne, comprendre la technologie qui y est associée, odeurs et produits chimiques inclus. On inscrit même ses enfants à des camps d’été à la ferme pour une immersion de quelques jours.
N’empêche que la plupart des fermes qui reçoivent des visiteurs sont plutôt des entreprises artisanales, où il est plus facile d’effectuer l’accueil, témoigne Pascale Marcotte. Elles sont souvent engagées dans des productions exotiques comme l’émeu et l’alpaga, ou ornementales comme la dizaine d’entreprises lavandières que compte le Québec. Certaines de ces fermes ont même été conçues expressément pour se prêter aux visites touristiques.
1 Pascale Marcotte est également membre de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société et du comité consultatif sur la recherche universitaire de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec. ↩
2 Christine Bricault est aussi coordonnatrice au Conseil québécois du patrimoine vivant. ↩
3 BRICAULT, Christine. La Route des vins de Brome-Missisquoi. Vers la construction d’une identité régionale. Mémoire (M.A.), Université Laval, 2007, 203 p. ↩
Toute une industrie
Du côté de l’offre touristique, justement, toute une industrie s’active pour rendre les régions rurales alléchantes. Les routes et les circuits touristiques jouent un rôle capital là-dedans. Route des vins (Estrie), Circuit du paysan (Montérégie) et Chemin du terroir (Laurentides) ne sont que quelques-uns des 17 tracés officiels de Tourisme Québec qui proposent le terroir4. D’autres initiatives regroupent producteurs, transformateurs et hôtes de tout acabit au sein d’associations régionales, telles que Gaspésie gourmande, dans la péninsule, et la Route des saveurs, de Tourisme Charlevoix. Tous ces itinéraires, de longueurs et de conditions variées, sont sillonnés chaque année par des dizaines de milliers de touristes à la recherche de découvertes intéressantes: entre 180 000 et 200 000 juste pour la Route des vins au cours des dernières saisons touristiques.
Souvent mis en place à l’initiative d’organismes du milieu –centres locaux de développement (CLD), municipalités régionales de comté (MRC), tables agrotouristiques, etc.–, les parcours s’organisent autour d’un thème du terroir déjà présent dans la région, idéalement avec un ou deux produits d’appel forts et quelques producteurs ou commerces vedettes. Une multitude de fournisseurs de produits et de services connexes se greffent à ce noyau pour constituer l’offre touristique régionale la plus cohérente possible. «Il faut une masse d’attraits pour convaincre les gens de se déplacer dans une région, considère Mme Marcotte. Et les joueurs doivent travailler en réseau pour maintenir la complémentarité de l’offre.» Notamment pratiquer «l’effet billard»: «Vos tomates sont donc bien bonnes, dit le client au restaurateur; c’est justement mon voisin qui les produit, et il est ouvert aujourd’hui, répond l’autre.»
Ainsi, à Baie Saint-Paul, la Laiterie Charlevoix produit divers types de fromages tout en accueillant, dans son centre d’interprétation (Économusée du fromage), quelque 100 000 visiteurs et acheteurs par année curieux de voir comment se fabriquent et se fabriquaient cheddars et fromages fins. Tout près de là, à Saint-Urbain, la Ferme Basque de Charlevoix, spécialisée dans l’élevage et la vente de produits de canards mais possédant des moyens publicitaires limités, profite de l’achalandage de la Laiterie et de la publicité informelle qu’on y fait en sa faveur. Il en va de même pour plusieurs autres petites entreprises du coin.
Appellations et certifications
Ces routes et ces circuits touristiques sont des outils précieux pour la promotion et la vitalité des régions. Tout comme le sont les appellations et les certifications de produits. «L’agneau de Charlevoix», «le cidre de glace du Québec» et «le vin de glace du Québec» sont des indications géographiques protégées (IGP) reconnues par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation garantissant le savoir-faire des producteurs et l’authenticité des produits. Le maïs sucré de Neuville et le cheddar de l’Île-aux-Grues le seront sans doute bientôt aussi.
Professeur au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation, Rémy Lambert5 travaille beaucoup avec son équipe et les intervenants du secteur sur le développement des appellations réservées. «Nous sommes encore à l’aube de ce développement au Québec, dit-il, mais nous avons là des outils extraordinaires pour mettre en place une série d’activités autour des produits qui seront désignés.» En France, raconte-t-il, la région de Bayonne a orchestré toute une activité économique, incluant touristique, autour de son célèbre jambon, protégé par une appellation. «Je vois très bien la même chose se produire ici, par exemple, avec le maïs de Neuville ou le cidre de glace du Québec, qui regroupe pas moins de 46 cidriculteurs.»
Il y a encore beaucoup d’éducation à faire sur l’importance des appellations et de leur appropriation par la population, selon M. Lambert. Mais il faut croire qu’il existe déjà une sensibilité au phénomène, comme en fait foi la certification «Terroir Charlevoix» que s’est elle-même donnée la région charlevoisienne pour proclamer l’authenticité et la traçabilité de ses produits.
4 Routes et circuits de Tourisme Québec ↩
5 Rémy Lambert est membre du Centre de recherche en économie de l’environnement, de l’agroalimentaire, des transports et de l’énergie (CREATE) et de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF). ↩
Jouer les bonnes cartes
Les circuits, les routes et les appellations réservées ne peuvent pas sortir du néant pour créer une vocation touristique régionale, conviennent les personnes interviewées pour cet article. Mais lorsque les cartes sont bien jouées à partir d’attraits et d’actifs réels, ces éléments ont une forte incidence sur l’achalandage touristique, et l’agrotourisme peut contribuer à la revitalisation de toute une région. Pascale Marcotte donne l’exemple de Kamouraska, avec la naissance de plusieurs petites entreprises (microbrasserie, boulangerie, champignons sauvages, salicorne cueillie sur la grève…) qui ont redonné une véritable impulsion au secteur.
L’agrotourisme peut-il carrément changer l’image d’une région? Au moins partiellement, a constaté Christine Bricault: «Brome-Missisquoi n’avait pas d’identité particulière avant de créer sa Route des vins, en 2003, sinon qu’elle se présentait comme une région champêtre… ainsi qu’il en existe un peu partout. Aujourd’hui, la MRC de Brome-Missisquoi est celle qui compte le plus d’entreprises agrotouristiques au Québec, la zone s’identifie fortement à sa vocation viticole et ses outils de promotion misent largement sur la vigne. Même le CLD et la MRC présentent une grappe de raisin sur leur logo!» L’offre agrotouristique de la région s’est aussi en bonne partie alignée sur ce produit vedette qu’est le vin; on fabrique maintenant un fromage vinifié, par exemple. Et les producteurs (21 vignobles) se sont partiellement pliés aux préférences de leurs visiteurs en produisant plus de vin rouge que de blanc, alors que le terroir et le climat se prêtent davantage au blanc.
Quant aux effets pervers possibles de l’agrotourisme, on est loin du compte, semble-t-il. On ne constate pas encore ici de mise en scène et d’artificialisation de la campagne, comme cela se voit aux États-Unis avec de très grandes fermes à la Disneyland, fait valoir Pascale Marcotte. Et les quelques dimanches où 500 voitures engorgent le centre d’un village sont assez bien tolérés par les résidants quand ils réalisent que, sans ces touristes, le dépanneur, la station-service et l’école du village n’existeraient peut-être plus, croit Christine Bricault. La difficulté, conclut Mme Marcotte, est plutôt de maintenir cette activité touristique en toute saison pour faire vivre la région à l’année.
Publié le 20 avril 2017
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