Faire la paix avec le stress n'incombe pas qu'aux individus. Organisations, entreprises, pouvoirs publics, même les grands courants sociaux sont concernés.
Pascale Guéricolas
Sans une dose minimum de stress, difficile pour les humains de se motiver à agir. Trop de stress cependant les rend malades. Des études de plus en plus concordantes pointent d’ailleurs du doigt cette réaction de l’organisme. Elle expliquerait l’absentéisme au travail dans 30 à 50% des cas. D’autres recherches s’attardent aux méfaits du présentéisme causé par le stress, autrement dit des employés en poste, mais trop stressés pour agir à leur plein potentiel.
Gère ton stress!
Conscients de l’importance de disposer d’une main-d’œuvre en bonne santé, les organisations ont dû se mobiliser pour faire face à cette problématique. Leurs solutions ont d’abord visé l’amélioration des habitudes de vie chez leurs employés. Au fil des ans, les séances de sport, de relaxation, de yoga et les collations santé sont apparues pour permettre au salarié de prendre en main sa santé physique et mentale et d’aborder ses tâches plus sereinement.
Malheureusement, respirer par le nez, même profondément, ne suffit pas à éliminer le stress de sa vie professionnelle. Surtout lorsque l’organisation du travail elle-même contribue largement à faire monter la tension. «Le manque de reconnaissance des supérieurs et des pairs peut favoriser les risques psychosociaux liés au stress, fait valoir Caroline Biron1, professeure au Département de management. Tout comme la surcharge de travail chronique ou l’impression d’un constant déséquilibre entre les demandes reçues et les ressources disponibles.»
Existe-t-il une solution passe-partout pour sortir de ce cercle stressé? Non, rétorque la chercheuse, malgré ce que plusieurs souhaiteraient. «J’ai parfois l’impression de me répéter depuis 20 ans tant j’ai répondu de fois à cette question», ajoute-t-elle, un sourire dans la voix.
1 Caroline Biron est membre du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval. ↩
Mieux cerner le phénomène
Au fil des études, plusieurs pistes se dessinent cependant pour améliorer les conditions de travail des employés. Lorsque les dirigeants des organisations montrent une réelle volonté de prendre le stress par les cornes et encouragent les gestionnaires à y prêter attention, les taux de risques psychosociaux diminuent. Au quotidien, les interventions auprès des gestionnaires peuvent prendre la forme de coaching, de mentorat, de prise en compte des valeurs éthiques des employés ou même… de nouveaux classeurs! «Une étude menée en 2003 au Bureau du registraire de l’Université Laval avait montré qu’une mauvaise configuration de l’espace de travail constituait une source de stress pour les employés de ce service. En proposant un nouvel aménagement des lieux, les choses sont rentrées dans l’ordre», se souvient Caroline Biron.
«Pendant trop longtemps, les organisations ont rejeté la responsabilité du bien-être sur l’individu en véhiculant des préjugés sur la prétendue fragilité de certains, note Manon Truchon2, professeure à l’École de psychologie. Aujourd’hui, elles comprennent que le milieu de travail contribue parfois à détériorer la santé des employés et qu’il faut trouver des solutions.» Le fait que la direction d’une organisation se préoccupe de ce phénomène constitue, selon elle, la première des étapes. Des leaders à l’écoute du personnel et qui veillent à bien répartir la charge de travail au sein de leur équipe permettent aussi de faire baisser les tensions d’un cran. En ce sens, l’Université Laval a mené un exercice à l’échelle du campus en 2019. Un total de 2770 participants occupant tous les types d’emplois ont répondu à un questionnaire portant sur le bien-être au travail. «Les résultats montrent clairement que le leadership et la reconnaissance, ainsi qu’une bonne gestion du changement avant qu’il n’arrive, contribuent à réduire le stress», note Manon Truchon, qui compte parmi les analystes de cette étude.
Les travaux de cette chercheuse montrent aussi que les employés aux prises avec des demandes importantes de leur supérieur, tout en ayant des ressources limitées, éprouvent davantage de troubles de santé liés au stress. Un phénomène accentué s’ils ne se sentent pas soutenus par leurs pairs et par leur gestionnaire, et que le travail accompli heurte leurs propres valeurs. «Avec la révolution numérique actuelle, nous vivons une intensification du travail, décrit-elle. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, certains employés ont l’impression de ne plus être en mesure de faire du bon travail, ce qu’on appelle la “qualité empêchée”.»
2 Manon Truchon est chercheuse régulière au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS) ainsi que membre de l’Institut d’éthique appliquée (IDÉA) et du Réseau provincial de recherche en adaptation-réadaptation (REPAR). ↩
Le coût du stress
À titre d’exemple, Manon Truchon décrit la réalité d’un corps de métier qu’elle connaît bien, celui des professeurs. Si l’été constituait autrefois un temps permettant de recharger ses batteries et de réfléchir à la façon de transmettre son savoir, la réalité d’aujourd’hui a changé. Bien avant que la rentrée universitaire n’ait lieu, les enseignants doivent préparer leurs cours, remplir des formulaires en ligne, fournir leurs dates d’examens pour la session à venir, et cela, seuls devant leur ordinateur. Une recette gagnante pour ressentir du stress puisqu’elle combine l’accélération du rythme du travail et l’isolement.
Voilà pourquoi la professeure à l’École de psychologie se réjouit de l’initiative de l’Université Laval d’établir un diagnostic clair de ce que vivent l’ensemble de ses employés en ce qui a trait au stress et de trouver des moyens pour les en protéger.
Parallèlement, organismes et pouvoirs publics, de plus en plus conscients du caractère incontournable des bonnes pratiques de gestion concernant le stress, fournissent aux organisations de l’information en matière de santé et de sécurité psychologiques. Le but étant de les aider à sortir du trio «pommes-carottes-bicyclette», pour s’attaquer aux véritables causes du stress. Un regroupement paragouvernemental comme Groupe entreprises en santé constitue un lieu d’échanges pour adopter des façons de faire moins stressantes et souligner les bons coups de certains. À ces actions ponctuelles s’ajoute aussi une démarche plus collective pour bien saisir la portée de ce phénomène dans l’ensemble de la population.
Car loin de se limiter à ses effets sur le personnel, le stress engendre aussi des conséquences économiques très importantes lorsqu’on additionne ses répercussions en matière d’absentéisme, de présentéisme et de taux de roulement des employés.
Un enjeu de société
Cependant, aussi positif soit-il, cet éveil a ses limites, surtout dans le contexte d’une société de performance. Autrement dit, même quand les conditions de travail s’améliorent, le degré de stress au quotidien peut demeurer très élevé. Pourquoi?
Professeur au Département de sociologie, Dominique Morin3 a une hypothèse sur le sujet. Selon lui, l’instabilité du marché de l’emploi dans les années 1970 et 1980 a contribué à modifier les normes sociales. Ainsi, dans cette société devenue plus instable sur le plan du travail, avec des trajets d’existence moins linéaires, les projets de vie se sont imposés comme la nouvelle norme de réalisation de soi.
Dans cette perspective, il devient de bon ton de tout mener de front: éducation des enfants, performances sportives et travail prenant. Cela est d’autant plus vrai dans une société qui valorise une existence sur des chapeaux de roues. La performance tient le haut du pavé dans cette nouvelle échelle des valeurs, ce qui s’accompagne d’une bonne dose de stress.
Charles Fleury4, lui aussi professeur au Département de sociologie, partage l’analyse de son confrère. Il remarque que l’aura qui entoure le stress dans certains milieux correspond à la valorisation de l’individu. «On assiste actuellement à une certaine injonction à l’épanouissement personnel, au surpassement de soi. Cela peut facilement mener au stress de performance, constate le sociologue, car il faut réussir simultanément dans toutes les sphères de sa vie.»
Or, il y a un prix psychologique à payer pour faire face à cette nouvelle conception. «Il ne faut pas subir trop de stress et devenir malade ou en dépression. En revanche, montrer qu’on est stressé et très occupé permet de se présenter aux autres comme une personne intense, qui vit beaucoup de défis», indique Dominique Morin. Bref, une difficile affaire de mesure vers un équilibre impossible à atteindre. Des expressions à la mode témoignent même de cette introduction du monde du travail dans la sphère personnelle. Les parents, organisés en équipe, ont recours à des collaborateurs pour diminuer leur charge mentale, un mot utilisé autrefois en relations industrielles pour expliquer le poids que fait peser sur eux la gestion domestique et le soin apporté aux enfants.
3 Dominique Morin est membre du Centre de recherche en aménagement et développement. ↩
4 Charles Fleury est membre du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval. ↩
TDAH, enfants et stress des parents
Le lien entre stress et parentalité s’exprime de façon particulière dans les recherches que mène la professeure à l’École de psychologie Nancie Rouleau5 auprès de parents d’enfants aux prises avec un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Devant leur enfant agité, qui éprouve des difficultés scolaires ou qui entretient des relations difficiles avec ses pairs, ces parents auraient tendance à vivre davantage de stress.
Selon un questionnaire élaboré par la chercheuse, 80,4% des parents ayant un enfant âgé entre 6 et 11 ans qui présente un TDAH témoignent d’un niveau de stress supérieur à celui des autres pères et mères. Un chiffre très élevé, mais qui n’étonne pas Nancie Rouleau. «Souvent, ces parents vivent de l’isolement et beaucoup de culpabilité, illustre la neuropsychologue. En plus, ils se sentent démunis par rapport aux besoins particuliers de leur enfant, et donc incompétents. Une composante qui contribue beaucoup au stress parental.»
Consciente de leurs difficultés, la spécialiste, qui étudie déjà les effets de la méditation pleine conscience chez les jeunes atteints d’un TDAH, pense à adapter cet outil pour leurs parents. Le Programme d’entraînement de l’attention et de la compassion chez l’enfant (PEACE) aide les jeunes à centrer volontairement leur attention sur l’expérience présente, quitte à traverser certaines émotions négatives plutôt que de les éviter. Déjà, des recherches menées par Nancie Rouleau indiquent une amélioration des troubles cognitifs engendrée par le yoga et la méditation chez des enfants aux prises avec un TDAH. Une approche inspirée du programme Mindfullness-Based Stress Reduction (MBSR) mis au point par Jon Kabat-Zinn.
Appliqué aux parents, PEACE aborderait aussi la «compassion pour soi», une façon de s’observer avec bienveillance, sans toujours écouter notre petite voix intérieure dénigrante. «Cette forme d’acceptation devrait contribuer à réduire beaucoup l’anxiété et le stress parental, particulièrement dans des situations où l’on se sent jugé pour le comportement de son enfant», avance Nancie Rouleau. La professeure à l’École de psychologie sait bien que ni elle ni d’autres chercheurs ne disposent d’une baguette magique pour effacer le stress de l’existence. Par contre, leurs travaux permettent de développer des moyens pour le rendre beaucoup plus supportable.
5 Nancie Rouleau est directrice du MANDALAB et chercheuse au Centre de recherche CERVO et au Mind & Life Institute ↩
Publié le 13 novembre 2019
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