Cerveau sous tension
Vous vous sentez stressé, anxieux, et on vous dit que c'est dans votre tête? C'est un peu le cas, car c'est le cerveau qui contrôle votre réponse au stress.
Par Nathalie Kinnard
Confortablement installée devant mon ordinateur à «fureter» sur Internet, mon cœur se met tout à coup à battre rapidement. J’ai chaud, je sens des picotements partout dans mon corps. Une douleur envahit mon thorax. J’ai le souffle court… non, j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer! Vite, à l’aide! Je dois aller à l’hôpital!
Cette situation, je l’ai vécue à plusieurs reprises. Tout comme une personne sur cinq au cours de son existence. Peut-être en faites-vous partie? Chaque fois, je me suis rendue à l’urgence. Chaque fois, on m’a gardée sous surveillance pour me retourner à la maison en me disant que je n’avais rien. J’ai finalement rencontré un médecin qui a mis le doigt sur le problème: attaques de panique reliées à un choc anaphylactique (crise d’allergie aiguë) que j’avais fait auparavant.
On m’a alors expliqué que le système d’alarme de mon organisme était devenu très sensible, voire hyperactif, à la suite de cet événement traumatisant. Chaque fois que je ressentais un symptôme s’apparentant à une allergie, mon corps, ou devrais-je dire mon cerveau, perdait les pédales. Car tout commence dans notre tête… à notre insu.
La boucle du stress
Face à un stress, une cascade de réactions physiologiques s’enclenche. D’abord, le cerveau envoie aux glandes surrénales, situées au-dessus des reins, le message de sécréter de l’adrénaline et du cortisol. Ces hormones ont comme rôle de faire réagir toutes les cellules de notre corps en réponse au stress. Par la suite, l’organisme produit un autre type de messager chimique, des cytokines. Ces molécules initient un processus d’inflammation pour augmenter le travail des cellules immunitaires.
«Lorsqu’on doit s’adapter rapidement à une situation stressante, le corps doit engager toutes ses ressources pour rétablir son équilibre intérieur», explique Marie-Ève Tremblay2, professeure au Département de médecine moléculaire.
Le stress agit donc en premier sur notre cerveau, qui induit la production d’hormones, lesquelles «boostent» le système immunitaire et mobilisent le système vasculaire pour qu’il augmente les pulsations cardiaques et l’apport en oxygène dans les tissus. Le cortisol agit ensuite sur les microglies, les gardiennes de l’immunité du cerveau. Ces cellules ont, entre autres tâches, celle de faire «le ménage» dans les synapses – les connexions entre les neurones – afin de favoriser l’apprentissage, la mémoire et l’adaptation. En situation de stress, les microglies ont encore plus de nettoyage à faire: par exemple, lorsque nous sommes privés de sommeil pendant un certain temps, elles se débarrassent des synapses les moins efficaces pour permettre aux autres de se renforcer et garder l’organisme en état d’alerte et d’apprentissage.
2 Marie-Ève Tremblay est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en plasticité neuroimmunitaire en santé et thérapie et chercheuse au Centre de recherche du CHU de Québec dans l’axe Neurosciences. ↩
Des anxieux à l’urgence
Bref, notre corps est conçu pour réagir adéquatement au stress. Par contre, explique la professeure au Département de psychiatrie et de neurosciences Caroline Ménard3, à la suite d’un événement traumatisant ou sous un stress continu, notre corps peut devenir «allergique» au stress. «La boucle de réponse se dérègle, et on perd alors le contrôle sur le stress», signale-t-elle.
C’est ce qui m’est arrivé. Après avoir vécu un choc anaphylactique, mon corps n’est pas revenu à la normale. Le bouton «panique» est resté enclenché. Cela dit, si moi je confondais mes symptômes d’anxiété avec ceux d’une allergie, d’autres les confondent avec ceux d’une crise cardiaque. En fait, un quart des gens qui se présentent à l’urgence en croyant faire un arrêt cardiaque à cause de douleurs thoraciques sont plutôt victimes d’une crise de panique.
Palpitations, sueurs froides, douleur dans la poitrine, vision trouble, il y a de quoi s’y méprendre! D’ailleurs, «moins de 10% de ces attaques de panique sont identifiées par les urgentologues», signale Guillaume Foldes-Busque4, professeur à l’École de psychologie. Or, «il est important que les médecins identifient rapidement les gens anxieux, car nos données indiquent que ceux-ci sont notamment plus à risque de développer des maladies du cœur à long terme», ajoute le chercheur. Pour cette raison, il a développé un test de dépistage qui s’adresse au personnel des urgences. Sous la forme d’un bref questionnaire, il vise à mieux diagnostiquer les attaques de panique chez les individus présentant des douleurs thoraciques pour lesquelles les causes cardiaques ont été écartées.
En outre, les patients aux prises avec des maladies cardiovasculaires peuvent, eux aussi, présenter des troubles anxieux. «Ils sont même 15 fois plus présents dans cette population», révèle Guillaume Foldes-Busque. Leur anxiété était-elle présente avant ou s’est-elle développée à la suite d’une hospitalisation pour leurs problèmes cardiaques? Cette anxiété a-t-elle une incidence sur leur rémission après un événement cardiovasculaire? Le psychologue n’a pas encore de réponses claires à ces questions puisque son étude est toujours en cours. Toutefois, il lance l’hypothèse que la présence de troubles anxieux pourrait affecter le risque de décès chez les patients qui souffrent de certaines maladies du cœur.
3 Caroline Ménard est titulaire de la Chaire de recherche Sentinelle Nord sur la neurobiologie du stress et de la résilience et chercheuse au Centre de recherche CERVO de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. ↩
4 Guillaume Foldes-Busque est également chercheur au Centre de recherche intégrée pour un système apprenant en santé et services sociaux du CISSS de Chaudières-Appalaches. ↩
Trous de mémoire et idées noires
Non seulement trop de stress peut-il amener notre corps à réagir de façon exagérée, mais cela peut endommager directement le cerveau.
C’est ce qu’a constaté Marie-Ève Tremblay en observant des souris exposées à des stresseurs en laboratoire. À l’aide de techniques d’imagerie par fluorescence, la chercheuse a découvert dans le cerveau de ces rongeurs des microglies (ces cellules qui font le ménage), mais d’un autre type, soit des microglies sombres. Celles-là augmentent jusqu’à dix fois en situation de stress chronique imprévisible. «On connaît encore mal leur rôle, mais on pense qu’elles sont le signe que les cellules de notre corps sont épuisées de combattre le stress. Lorsque le cerveau se fatigue sous un stress continu, les microglies sombres prennent le dessus et se comportent de façon néfaste en éliminant davantage de synapses, probablement sans faire de distinction entre les synapses utiles et inutiles.»
Ce remodelage saccageur causerait des trous de mémoire. «On observe d’ailleurs ce phénomène dans la maladie d’Alzheimer et dans le processus de vieillissement», note Mme Tremblay.
Pour sa part, Caroline Ménard a montré que le stress social est un facteur de risque important pour la dépression. Et que derrière ce lien se cachent aussi des dommages au cerveau. «Après avoir soumis des souris à un stress social chronique similaire à l’intimidation, nous avons confirmé qu’une majorité d’entre elles présentaient des signes de dépression.»
En analysant de plus près le cerveau de ces rongeurs par imagerie à résonance magnétique (IRM) et microscopie, la chercheuse a remarqué que le stress chronique et l’inflammation qui en découle provoquent l’ouverture de la barrière hématoencéphalique, dont le rôle est de protéger le cerveau des substances indésirables comme les contaminants du sang (bactéries, toxines, etc.). La neuroscientifique a vérifié ces observations sur des cerveaux humains provenant de la banque Douglas-Bell Canada de l’Université McGill. Ses analyses confirment que l’intégrité de la barrière est réduite chez les sujets dépressifs.
Caroline Ménard a même été capable de voir que, chez la souris déprimée, certaines molécules produites dans le sang en réponse au stress – notamment des cytokines – traversent la barrière hématoencéphalique pour affecter le système nerveux. Cette découverte explique en partie pourquoi plusieurs personnes vivent un épisode dépressif majeur relié au stress.
Réinitialiser le bouton panique
Le stress est donc à prendre au sérieux. Lorsque notre cerveau n’arrive plus à le gérer, comme ce fut mon cas, il faut l’aider à rétablir la boucle normale du stress. Il existe des traitements pharmacologiques, comme les anxiolytiques et les antidépresseurs. Mais ce n’est pas la panacée. De 30 à 50% des gens n’y répondent pas bien, voire pas du tout.
Des médicaments contre l’inflammation, comme ceux prescrits en cas d’arthrite, se trouvent actuellement au banc d’essai. Selon Caroline Ménard, en corrigeant l’inflammation, il serait possible de rétablir la réponse normale du système immunitaire face au stress. Et également de refermer la barrière hématoencéphalique et de traiter plus efficacement la dépression induite par le stress chez certaines personnes, spécifiquement chez celles dont le système immunitaire s’emballe face à une situation stressante.
Marie-Ève Tremblay, quant à elle, évalue le potentiel de la minocycline, un antibiotique généralement utilisé pour traiter l’acné rosacée. «On a remarqué, dit-elle, que ce médicament diminue l’inflammation et la sur-élimination des synapses en normalisant le travail des microglies.» La chercheuse étudiera le mécanisme d’action de ce médicament, qui semble donner de bons résultats dans le traitement de la dépression et également de la schizophrénie.
Par ailleurs, l’alimentation est susceptible de jouer un rôle, ajoute-t-elle. «Comme le stress provoque l’oxydation des cellules, il faut manger des fruits et des légumes riches en antioxydants comme les fraises, les framboises, les bleuets et les tomates. On peut aussi prendre des oméga-3 pour réparer les membranes des cellules, faites de lipides et oxydées par le stress.»
Mais, surtout, les gens stressés et anxieux doivent aller chercher de l’aide psychologique, souligne Guillaume Foldes-Busque. La thérapie cognitive et comportementale, notamment, permet de réinitialiser le bouton d’alarme chez 80 à 90% des patients avec un trouble de panique.
Êtes-vous stressé ou anxieux? • Le stress est la réaction psychique et physiologique saine de l’organisme face à une menace. Tout ce qui entraîne une sécrétion des hormones de stress est un «stresseur»: une blessure, un décès, la perte d’emploi, la situation familiale, l’intimidation, la maladie… • «Le stress devient négatif lorsqu’il est chronique», précise Caroline Ménard. Un patron exigeant au travail, une conciliation travail-famille difficile, de la douleur chronique, par exemple, viennent dérégler la boucle normale du stress. • Un stress permanent peut se transformer en anxiété, mais ce n’est pas toujours le cas. • «L’anxiété se caractérise par l’anticipation d’une menace ou d’événements négatifs futurs, qui peut déclencher une réponse de stress», d’expliquer Guillaume Foldes-Busque. C’est la peur d’avoir peur! • Les troubles anxieux représentent le problème de santé mentale le plus fréquent au Canada, plus que la dépression, et touchent deux fois plus de femmes que d’hommes. |
Publié le 13 novembre 2019
Publié le 16 novembre 2019 | Par Yves ST-Sauveur
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