Appartenance au groupe, développement personnel, motivation scolaire, les avantages des activités sportives pour les jeunes sont nombreux lorsqu'elles s'accompagnent de mesures adéquates.
Par Pascale Guéricolas
Le confinement expérimenté ce printemps a donné naissance à un drôle de paradoxe. Coincés à la maison, plusieurs se sont lancés comme jamais dans l’activité physique. Des images de coureurs parcourant les rues désertées, d’adeptes d’entraînement en circuit ou de yogis dans leur salon ont envahi les réseaux sociaux. La situation particulière causée par la pandémie a peut-être poussé les adultes à retrouver un plaisir présent naturellement dès l’enfance, celui de bouger. Un plaisir qui participe au développement des jeunes, tant sur le plan des aptitudes physiques que sur les plans personnel et émotionnel.
Longtemps centrée sur les bénéfices du sport liés à la prévention des maladies cardiovasculaires, ou sur l’amélioration générale des conditions physiques, la recherche étend désormais son rayon d’action. Les répercussions de cette activité sur la santé mentale des jeunes sportifs intéressent de plus en plus les chercheurs, tout comme son influence sur le développement des habiletés de vie. Persévérance scolaire, sentiment d’appartenance à un milieu, atteinte d’objectifs, apprentissage de l’échec, autant d’acquis sont envisageables pour les jeunes quand leur pratique sportive se déroule dans de bonnes conditions.
Explorer, jouer, se développer
Ces conditions passionnent Christiane Trottier1, professeure au Département d’éducation physique. Spécialisée en développement positif des jeunes dans le sport, elle constate que de nombreux éléments entrent en jeu en matière de bonnes pratiques sportives.
«Il faut d’abord s’assurer que l’enfant apprécie l’activité dans laquelle son parent l’a inscrit, indique la chercheuse. Les jeunes aiment naturellement bouger, mais certains adultes ont tendance à imposer leur choix au moment de l’inscription à un cours de natation, de ski alpin ou de patinage artistique.»
À ses yeux, en plus de pouvoir faire leurs propres choix, il est aussi important pour les jeunes d’expérimenter différentes activités sportives pour trouver celle qui leur convient le mieux. Œuvrant de concert avec plusieurs entraîneurs qui travaillent auprès d’eux, Christiane Trottier constate également que la pratique d’un sport doit avoir lieu dans un environnement sain et positif. À 8 ou à 10 ans, l’apprentissage de la discipline sportive passe souvent par le jeu, qu’il s’agisse d’une chasse aux trésors ou de défis. Plus tard, l’autonomie donne des résultats intéressants avec les adolescents, plus susceptibles de s’attarder à d’autres aspects de la pratique sportive. Les entraînements doivent donc être modulés en fonction de l’âge et du développement du jeune.
1 Christiane Trottier est aussi intervenante auprès de l’Institut national du sport du Québec et membre de l’Association canadienne de psychologie du sport. ↩
De plus, selon Christiane Trottier, la connaissance de soi, l’estime de soi, l’empathie et la résolution de conflits devraient occuper une place de choix dans le bagage de connaissances des entraîneurs. Des éléments tout aussi primordiaux que leur capacité à enseigner le dribble au basket ou le double saut en patinage artistique. Cette vision, qui semble couler de source, implique pourtant la mise de l’avant d’une nouvelle approche dans la formation des entraîneurs.
«Celle-ci est encore beaucoup orientée vers les habiletés techniques, tactiques et sportives à transmettre aux jeunes, regrette la professeure du Département d’éducation physique. On oublie souvent de leur fournir des outils pour mieux développer leurs propres habiletés personnelles et relationnelles, afin d’établir une relation de confiance avec les jeunes.»
Dans la vie comme dans le sport?
Or, les recherches montrent clairement que la confiance qu’un jeune accorde à son entraîneur contribue largement au plaisir qu’il éprouve à pratiquer son sport, et à se sentir soutenu. Peu à peu, le lien, noué de personne à personne, favorise aussi le développement des habiletés de vie, très utiles pour gérer les victoires et les échecs dans le sport. Cette capacité des jeunes sportifs à se fixer des objectifs ou à moduler leurs émotions devrait en théorie s’appliquer en dehors du terrain de soccer ou du court de tennis.
Oui, mais… Les techniques mentales développées pour réussir un virage parfait en ski alpin ne se transposent pas si facilement quand il s’agit, par exemple, de se lancer dans un exposé oral. Consciente de cette difficulté d’appliquer les apprentissages sportifs en contexte scolaire, la direction d’une école secondaire de la région de Québec qui offre une concentration sports a sollicité l’aide de Christiane Trottier. Pour répondre à cette demande, la professeure a mis au point avec son équipe la plateforme Web «Gagnants pour la vie». Celle-ci vise à donner un coup de pouce à la quarantaine d’enseignants des matières principales et aux entraîneurs de cet établissement afin de favoriser un meilleur transfert de 5 habiletés de vie, de l’univers sportif à la salle de classe. On y retrouve notamment la compétence, la confiance, l’empathie et les liens interpersonnels positifs.
«Nous leur offrons aussi des ateliers et un accompagnement pour les former à enseigner ces habiletés et surtout à collaborer entre eux, indique la chercheuse. L’expérience va nous permettre de suivre les jeunes athlètes pendant 3 ans, en comparant leurs résultats avec ceux d’une école témoin.» Cette intervention, ainsi qu’une autre axée sur l’évaluation des besoins des jeunes concernant les habiletés de vie, devrait permettre à l’équipe de Christiane Trottier la mise au point d’un modèle d’accompagnement pour faciliter un développement positif des jeunes à travers la pratique sportive.
Contrer le décrochage grâce au sport
Si les chercheurs s’intéressent autant aux liens entre le sport et l’école, c’est que plusieurs résultats de recherche témoignent du fait que les jeunes impliqués dans une pratique sportive parascolaire se sentent davantage partie prenante de leur école. Leur milieu scolaire devenant plus attrayant grâce au sport, ceux-ci auront tendance à être plus motivés par les enseignements qu’on y donne.
Attention, prévient cependant Anne-Sophie Denault2, professeure au Département des fondements et pratiques en éducation. «Les activités parascolaires ne sont pas miraculeuses, tempère la chercheuse. Ceux qui les animent ont un grand rôle à jouer en développant des liens forts avec les élèves, et en leur offrant des possibilités et des choix. À ce titre, les écoles doivent absolument adopter une vision et des pratiques inclusives.» La chercheuse remet aussi en question l’approche qui considère la pratique sportive comme une récompense, laquelle a souvent l’effet contraire de celui recherché par les enseignants.
Selon cette politique, une mauvaise note en mathématiques ou une piètre performance en anglais empêche l’élève de suivre son entraînement de hockey ou de soccer un certain nombre de semaines. Selon Anne-Sophie Denault, cette façon de faire prive les élèves en difficulté de leur motivation, ce qui, par le fait même, les dissuade de fréquenter l’école. La professeure suggère plutôt de promouvoir des politiques qui facilitent l’inclusion et la persévérance dans l’activité.
Avec des collègues de l’Université de Montréal, la professeure spécialisée en activités de loisir pour les adolescents a d’ailleurs mis au point un guide des meilleures pratiques en matière d’activités parascolaires. Selon ce modèle, les jeunes développent, grâce aux activités parascolaires, sportives ou autres, des compétences, une confiance en eux, un souci des autres, qui contribuent à leur motivation scolaire notamment. «Les écoles peuvent en prendre connaissance depuis juin 2019, explique la chercheuse, et ainsi apporter une attention particulière à la façon dont elles diversifient, par exemple, leur offre sportive. C’est important aussi d’offrir du soutien aux animateurs des activités.» Si les règles et les attentes sont claires, et que les jeunes peuvent agir de façon autonome, la pratique sportive devient alors une façon de vivre une expérience positive à l’école. Ce type d’engagement rejaillit aussi sur le développement global du jeune, en contribuant à son bien-être et à son épanouissement.
2 Anne-Sophie Denault est aussi membre du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant. ↩
Jeunes et sports: une question d’équilibre
Professeur au Département des fondements et pratiques en éducation, Frédéric Guay3 croit, lui aussi, aux effets bénéfiques d’une activité sportive bien encadrée. Le combiné exercice physique et mesures pédagogiques pertinentes constitue, à ses yeux, un outil puissant de persévérance et de motivation scolaire.
Il faut veiller, cependant, à laisser les jeunes choisir leur sport et vivre la pratique à leur rythme.«Certains parents fantasment et voient déjà leur progéniture aux Jeux olympiques, note-t-il. Ils mettent beaucoup de pression sur les coaches et sur leurs enfants.»
Autre composante importante, selon le chercheur, il faut réaliser que les êtres humains n’ont pas tous les mêmes aptitudes. «Dans nos sociétés méritocratiques, certains discours sur le modèle sportif de réussite me semblent dangereux, affirme-t-il. Ils laissent entendre que tout le monde peut y arriver, à condition de mettre les efforts nécessaires. Au passage, on oublie de prendre en compte des facteurs comme la chance et le bagage génétique.»
C’est sans compter que cette pression à toujours s’entraîner plus fort dans le but de pulvériser des records ou de se tailler une place dans la Ligue nationale de hockey produit souvent l’effet contraire que devrait générer le sport. Elle finit par susciter beaucoup d’anxiété.
Richard Bélanger4 en sait quelque chose. Professeur au Département de pédiatrie et pédiatre au Centre mère-enfant du CHU de Québec, il reçoit régulièrement dans le cadre de sa pratique des adolescents très sportifs, physiquement épuisés par un entraînement trop intense. «Ces jeunes-là sont victimes de la maladie de notre époque, souligne le médecin, soit vouloir tout faire en même temps. Les agendas de certains de ces athlètes sont tellement remplis qu’ils n’ont aucun moment pour souffler ou voir des amis.»
En 2014, le professeur a co-mené une étude basée sur un questionnaire distribué à 1 245 jeunes de 16 à 20 ans. L’analyse des données démontre que bouger 14 heures chaque semaine constituerait le chiffre idéal pour profiter des bénéfices liés à l’entraînement. À partir de 17,5 heures consacrées au sport, le bien-être décline et se rapproche de l’état rapporté par les jeunes sédentaires. Dans son bureau, le pédiatre revient aux conseils de base quand il rencontre de jeunes sportifs surmenés et épuisés. Combien d’heures dors-tu par nuit? Est-ce que tu as le temps de bien t’alimenter, de voir tes amis? Autant de questions pour aider les athlètes à mieux adapter leur pratique sportive à leur vie quotidienne et à adopter des comportements sains.
3 Frédéric Guay est également directeur du Groupe de recherche sur la motivation et la réussite scolaires et membre du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant. ↩
4 Richard Bélanger est également chercheur de l’axe Santé des populations et pratiques optimales en santé du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. ↩
Richard Bélanger demeure persuadé de l’importance du sport pour la santé physique et émotionnelle des jeunes, mais il plaide pour une pratique mieux encadrée. Ainsi, les conseils d’un psychologue aident souvent dans l’accompagnement d’un jeune athlète, dans ses victoires comme ses défaites.
Le rôle des parents reste, lui aussi, essentiel, à condition que ceux-ci ne se transforment pas en entraîneurs adjoints ou en gérants d’estrade. «Les organisations sportives ont oublié de les former à cet effet, estime Christiane Trottier qui déplore ce manque d’accompagnement. Pourtant, les parents ne demandent qu’à apprendre à bien intervenir auprès de leurs enfants.» La professeure du Département d’éducation physique donne ainsi régulièrement des ateliers sur demande pour fournir des outils aux parents. Le but, les outiller pour qu’ils aident leur enfant à relativiser les défaites, surtout dans les sports comme le tennis individuel où l’un des participants finit nécessairement perdant. Autre enseignement important, se concentrer sur les objectifs que le jeune contrôle, comme l’amélioration de ses aptitudes personnelles, et non simplement sur les médailles ou les victoires.
Ainsi soutenus, les jeunes peuvent tirer le plein potentiel de leur pratique sportive et se détacher de la simple performance. C’est une façon de retrouver le simple plaisir de jouer de l’enfance et d’intégrer la pratique sportive parmi les habiletés de vie. Le sport comme école de vie prend alors tout son sens.
Publié le 12 juin 2020
Publié le 24 juin 2020 | Par Lise guay
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