La science au service des sportifs
Le sport a besoin de la science pour pulvériser les records, mais aussi pour protéger les sportifs de la performance à tout prix.
Par Nathalie Kinnard
Quel est, à ce jour, le meilleur temps officiel pour courir un marathon? Deux heures, une minute et 39 secondes, record du monde établi en septembre 2018 par le Kényan Eliud Kipchoge. La même distance se parcourait pourtant en 3 heures 40 minutes en 1926. Comment est-ce possible? Grâce à la science, notamment. «Les chercheurs contribuent à améliorer les performances sportives», confirme Myriam Paquette1, kinésiologue et doctorante au Département de kinésiologie.
Mais la science a aussi la mission de protéger les adeptes du sport: elle a, par exemple, orienté la décision de la Ligue nationale de hockey d’exiger le port du casque pour tous les nouveaux joueurs en 1979-1980 et guidé vers l’interdiction des mises en échec pour les hockeyeurs québécois bantam de moins de 12 ans dès 1985.
La recherche fait également évoluer les pratiques. «Aujourd’hui, dans les cours d’éducation physique, on enseigne les techniques de basketball par le jeu. Avant, c’était l’inverse. On montrait d’abord comment dribbler ou lancer au panier, puis on jouait une partie, s’il restait du temps», signale Luc Nadeau, professeur au Département d’éducation physique. Il a montré que le jeu lui-même est un excellent outil pour apprendre aux jeunes les techniques d’un sport. «Il y a plus de chances qu’ils aiment un sport s’ils le pratiquent avec des coéquipiers plutôt qu’en faisant uniquement des exercices techniques en solo», précise-t-il.
La science se cache ainsi derrière divers aspects du sport: les types d’entraînement, l’équipement, les règles et les techniques sportives, la réadaptation, la prévention des blessures… Un champ d’études qui n’a pas de limites… à part celles du corps humain.
1 Myriam Paquette est également physiologiste de l’exercice à l’Institut national du sport du Québec. ↩
Plus ou moins d’intervalles?
«Les intervalles sont sans doute l’une des modalités d’entraînement les plus étudiées», indique Myriam Paquette. Ces dernières années, les séances par intervalles à haute intensité, pratiquées particulièrement par les sportifs de haut niveau, ont fait leurs preuves pour améliorer la condition physique et les performances. Ce type d’entraînement implique d’alterner rapidement une activité intense qui augmente le rythme cardiaque avec des périodes de récupération ou de repos.
«À fortes doses, toutefois, ces intervalles pourraient avoir des effets néfastes sur le cœur, signale Patrice Brassard2, professeur au Département de kinésiologie. Le kinésiologue et son équipe, dont fait partie Myriam Paquette, ont demandé à 17 hommes âgés de 27 ans en moyenne qui pratiquaient un sport d’endurance huit heures par semaine, par exemple le vélo de montagne, le triathlon ou le ski de fond, d’adapter leur entraînement de façon à y inclure trois séances par intervalles. Durant ces séances, ils devaient enchaîner des périodes d’effort intense et de repos jusqu’à épuisement.
Les athlètes ont été divisés en deux groupes. Huit d’entre eux ont répété des intervalles d’une à sept minutes à 85% de leur capacité aérobique maximale. Ce paramètre correspond à la charge de travail (mesurée en watts) à laquelle un sportif atteint sa consommation maximale d’oxygène. Les 9 autres avaient comme mission de réaliser des intervalles de 30 à 60 secondes à 115% de leur puissance aérobie maximale. Tous les participants ont utilisé le vélo stationnaire pour l’exercice.
L’analyse confirme une fois de plus certains avantages de l’entraînement par intervalles. Les deux groupes d’athlètes ont en moyenne augmenté de 5% leur capacité cardiovasculaire et de 4% leur puissance maximale; ils ont également diminué leur rythme cardiaque au repos et leur pression artérielle sur une période de 24 heures. Un bon moyen de réduire les risques de problèmes cardiaques ou de mortalité cardiovasculaire!
Les deux types d’intervalles ont, en revanche, causé un remodelage du cœur, détecté par imagerie médicale. Les volumes maximal et minimal de l’oreillette gauche se sont accrus de 19% et de 34% respectivement pour les deux groupes. La fonction ventriculaire droite, qui dicte la capacité du cœur à se contracter, a diminué de 15% chez ceux qui ont fait des intervalles à 85%. «Ces changements pourraient éventuellement conduire à des troubles du rythme cardiaque», fait remarquer le chercheur, qui précise toutefois qu’on ne connaît pas encore la durée de ces modifications dans le temps ni leur réelle incidence sur la santé.
Il existerait donc une dose limite d’entraînement par intervalles à haute intensité que les athlètes ne devraient pas dépasser au risque de nuire à certaines fonctions du corps. Ce seuil reste encore à déterminer, mais, d’ici là, les sportifs de haut niveau auraient intérêt à se questionner sur le prix qu’ils sont prêts à payer pour les bénéfices liés à un tel entraînement, conseille Patrice Brassard.
2 Patrice Brassard est aussi chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. ↩
Pousser la machine
«La performance à tout prix n’est pas une bonne chose, peu importe le type d’entraînement, croit fermement Paul Poirier3, cardiologue et professeur à la Faculté de pharmacie. Il faut de la modération! Et s’octroyer des périodes de repos.» Ainsi, un nageur qui s’entraîne 6 jours par semaine, matin et soir, ne donne pas le temps à son corps de se reposer.
«À partir de 10 heures d’entraînement par semaine, il y a un risque de surentraînement si le stress relié à l’exercice physique et aux autres sphères de la vie excède la capacité de récupération de l’individu», fait remarquer Myriam Paquette, qui donne des formations à ce sujet dans les milieux sportifs.
Elle conseille aux sportifs d’être attentifs à certains symptômes qui ne mentent pas: une sous-performance, parfois inexpliquée, qui perdure dans le temps et de la fatigue continuelle.
Les adeptes d’exercice physique qui ne prennent pas le temps de récupérer peuvent vivre les effets du surentraînement pendant plusieurs mois, voire un an. Ils deviennent à risque de dépression, et éventuellement d’abandon de leur sport.
Quand le sport blesse
Pousser la machine est également synonyme de risques de blessures. «Elles sont très courantes dans le sport, davantage que le surentraînement, note Myriam Paquette. Les gens se blessent quand ils s’entraînent de la mauvaise façon, quand ils commencent un programme trop intensément, quand ils n’écoutent pas leur corps…»
Chez plusieurs sportifs de haut niveau, les genoux vieillissent prématurément, ce qui augmente le risque de subir des chirurgies à un jeune âge. «En ski acrobatique, par exemple, pratiquement tous les skieurs des équipes nationales finissent par se faire remplacer le ligament croisé antérieur», mentionne Luc Nadeau. Au football, c’est le vieillissement cognitif rapide qui guette les joueurs en raison des commotions cérébrales répétées, tandis que les nageurs de haut niveau sont touchés par des blessures chroniques aux épaules.
«Heureusement, les sportifs sont mieux encadrés aujourd’hui et, grâce à la science, ils connaissent davantage les dangers et les blessures liés à leur sport», poursuit le spécialiste en éducation physique. En effet, la recherche a fait avancer les connaissances sur les commotions cérébrales, permettant de mettre en place de nouveaux protocoles de prévention et de récupération. Également, sur la base de données scientifiques, de plus en plus de clubs sportifs limitent les heures d’entraînement chez les jeunes.
Jean-Sébastien Roy4, professeur au Département de réadaptation, fait partie de ceux qui s’intéressent à la prévention des blessures chez les sportifs. Dans l’un de ses projets, il a suivi sur une période de 5 mois des coureurs récréatifs avec des douleurs aux genoux. «Nous avons réalisé qu’éduquer les sportifs afin qu’ils évitent une surcharge lors de leur entraînement est très important pour prévenir l’apparition des blessures musculosquelettiques ou accélérer leur guérison», note-t-il. Qu’il s’agisse de montrer aux gens comment commencer à courir, en alternant marche et course, ou de modifier leur façon de courir afin de diminuer l’impact de la course sur leurs articulations, l’éducation réduit le nombre de blessures. «Le gros problème, c’est que les gens veulent aller trop vite, fait remarquer le physiothérapeute. Il faut y aller graduellement en laissant son corps s’adapter. Et être conscient que tout le monde ne devrait pas viser un marathon!»
Écouter son corps
«Trop, c’est comme pas assez», renchérit le cardiologue Paul Poirier. Ainsi, des gens de 50 ans, plutôt sédentaires, qui décident du jour au lendemain de gravir des montagnes et de faire des triathlons, ce n’est pas bon! Car, contrairement à ce que bon nombre de sportifs veulent croire, le corps humain a ses limites.
«Le risque d’infarctus augmente de 6 fois dans l’heure qui suit l’activité physique», révèle le cardiologue. Plus on est en forme physiquement, moins ce taux augmente, mais il reste présent, même pour un athlète. C’est pourquoi l’on voit des infarctus au hockey ou lors des marathons, par exemple. «Les sportifs de haut niveau sont habitués à souffrir et ils n’écoutent pas toujours leur corps, poursuit-il. Ils pensent également, à tort, qu’ils sont protégés des infarctus parce qu’ils sont en forme.»
Le cardiologue indique, par ailleurs, qu’il compte parmi ses patients beaucoup de joueurs de hockey de ligues de garage. «Parce qu’ils sont d’anciens sportifs professionnels qui continuent d’être actifs, ils se croient protégés des problèmes cardiaques, mais aussi des effets néfastes des ailes de poulet et de la bière qui accompagnent leurs matchs amicaux.»
Les travaux de Paul Poirier ont également mis de l’avant la mort subite chez l’athlète, soit un décès inattendu par arrêt cardiaque. Les causes ne sont pas toutes connues, mais les malformations cardiaques et les problèmes génétiques jamais détectés sont à l’origine de 80% des cas chez les 40 ans et moins. «Personne n’est à l’abri», précise le chercheur, qui mentionne toutefois que ce type d’infarctus survient le plus souvent en dehors des activités sportives.
Dans sa pratique, le spécialiste s’efforce de conscientiser les sportifs aux symptômes moins classiques, comme l’essoufflement et la diminution de performance, qui peuvent annoncer un événement cardiaque. De fait, plusieurs athlètes qui ont eu à subir des pontages n’avaient pas ressenti au préalable les douleurs thoraciques classiques des maladies coronariennes.
«Le sport et l’activité physique doivent être utilisés pour les bonnes raisons, et être adaptés à notre condition, résume Paul Poirier. L’important, c’est d’être actif, pas nécessairement un sportif. À 20 ans, on fait du sport. À 40 ans, on fait de l’exercice. À partir de 60 ans, on est physiquement actif.»
Surtout qu’à un certain niveau, il n’y a plus vraiment d’avantages à pousser la machine.
Publié le 12 juin 2020
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