Habiter la ville… autrement
Plusieurs en rêvent: un jour, nous construirons nos maisons, nos commerces et nos édifices comme autant d'éléments d'un environnement agréable et fonctionnel nommé ville.
Par Nathalie Kinnard
Oublions les longues façades d’édifices bétonnés dominant boulevards et rues. Dans la ville de demain, on misera plutôt sur des bâtiments étroits et limités en hauteur, encadrant une cour intérieure verdoyante et ensoleillée. Plus encore, on privilégiera des espaces publics protégés du vent, des édifices mieux orientés et peu énergivores, des logements aménagés pour y vieillir, des balcons et des toits verts.
Des experts en architecture et en design urbain de l’Université l’affirment: il faut adapter les habitations aux réalités que sont les changements climatiques, la hausse des coûts d’énergie, le vieillissement de la population et l’étalement urbain.
Plus chaud en hiver
Plus que jamais, les architectes urbains cherchent à adapter notre environnement aux aléas de la météo. Les technologies nous ont donné des logements bien isolés, chauds en hiver et frais en été. Mais à l’extérieur? Est-il possible de rendre la ville plus confortable autant en juillet qu’en janvier?
Oui, en aménageant stratégiquement nos maisons et nos espaces publics, pense André Potvin1, professeur à l’École d’architecture.
«En bas de 10°C, fait-il remarquer, les Québécois s’enferment dans leurs résidences et leurs autos 90% du temps. Si on avait plus d’espaces urbains adaptés, on pourrait étirer la belle saison de 4 mois.» Adaptés? Oui, pour atténuer les poches microclimatiques désagréables. Ces endroits soumis au froid, au vent et au manque de soleil affichent parfois jusqu’à 13°C de moins que les zones environnantes.
À Québec, c’est le cas des couloirs de vent que sont les boulevards Laurier et René-Lévesque.
La solution que préconise André Potvin: prévoir les nouvelles constructions et adapter les aménagements de façon à optimiser l’exposition au soleil et à protéger les piétons du vent. Par exemple, on peut ajuster l’orientation et la hauteur des bâtiments, planter des haies coupe-vent, installer des abribus chauffés…
Le passé peut être inspirant à cet égard. «Côté architecture, le modèle d’îlot urbain du couvent des Ursulines ou du Petit Séminaire de Québec est intéressant, note-t-il. Les immeubles encerclent une cour intérieure, ainsi protégée du vent et de la pollution des rues.»
Et pourquoi ne pas faire comme en Suède, où des habitations de faible densité sont entourées d’une concentration d’édifices publics qui servent de brise-vent?
Frais en été
Et attention au béton! Il accumule le froid ambiant… et la chaleur. Une forte concentration de bâtiments foncés et bétonnés, sans végétation environnante, peut vite devenir une fournaise, l’été. Tout comme les grands stationnements d’asphalte des commerces.
Ces îlots de chaleur, tel le Quartier DIX30 à Brossard, font augmenter la température ambiante d’une dizaine de degrés. Les Québécois, si avides de sortir dès la fonte des neiges, observe encore André Potvin, réintègrent leurs demeures climatisées lors des journées très chaudes, plus fréquentes en cette ère de changements climatiques.
«Il faut miser sur la verdure, planter des allées d’arbres dans les grands stationnements, utiliser les toits plats noirs pour l’agriculture urbaine», signale Carole Després2, professeure à l’École d’architecture.
Et il faut privilégier l’utilisation de matériaux variés moins foncés, principalement le bois, insensible aux sautes d’humeurs du thermomètre.
«Une ville plus confortable favorise le déplacement à pied ou en autobus, contribuant ainsi à diminuer l’émission de gaz à effet de serre», rappelle André Potvin. D’une pierre deux coups!
1 André Potvin est également instigateur et membre du Groupe de recherche en ambiances physiques (GRAP). ↩
2 Carole Després est aussi directrice du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa) et chercheuse au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). ↩
Le défi énergétique
Qui dit confort, dit consommation énergétique. Dans les pays industrialisés, le bâtiment consomme 50% de l’énergie nécessaire à l’activité humaine et il émet près de 40% des gaz à effet de serre. L’architecture à faible énergie est donc un domaine en plein développement dans un contexte marqué autant par l’augmentation du coût de l’électricité que par le développement durable. Le mot d’ordre: optimiser l’énergie gratuite!
«L’avenir repose en partie sur l’habitat bioclimatique qui privilégie au maximum l’éclairage, la ventilation et le chauffage naturels par une orientation judicieuse de l’immeuble», estime André Potvin.
Le professeur défend d’ailleurs ardemment le droit au soleil! Les villes américaines de Seattle et de Portland limitent ainsi la «course au sommet» des édifices. Chaque nouveau développement doit prouver qu’il ne portera pas ombrage à l’espace public et aux voisins pendant les heures d’ensoleillement maximal. André Potvin aimerait aussi donner vie à son prototype de bâtiment flexible dont les murs, les plafonds et les planchers peuvent être déplacés pour mieux profiter du soleil ou du vent, un peu comme les extensions mobiles des caravanes.
Partager son espace
Le concept de faible énergie va plus loin encore. Il passe notamment par le partage des ressources et des dépenses énergétiques. André Potvin cite l’exemple du projet BedZED, en banlieue de Londres. En proposant la cohabitation spatiale de commerces, de salles de spectacles, d’espaces verts et de logements, ce petit quartier résidentiel communautaire aurait permis de diminuer de 50% son empreinte écologique par rapport à des logements classiques.
Au Québec, l’écoquartier, un milieu de vie construit selon les principes du développement durable, pourrait devenir le modèle d’économie d’énergie. La Cité Verte, à Québec, en est un bon exemple. Ce site de plus de 93 000 m2 offre plus de 800 unités de logement regroupées autour d’équipements collectifs, d’espaces à bureaux et de commerces.
Parmi les autres initiatives qui vont en ce sens, citons la norme LEED qui a transformé le domaine de la construction en exigeant des preuves de performance énergétique des bâtiments, ou encore le projet Cohabitat à Québec.
«Cette coop d’habitation nouveau genre offre des logements de style copropriété et maison de ville, et permet aux membres de se côtoyer dans de vastes aires communes telles une cuisine, une salle à manger, une salle de jeux, etc.», rapporte André Potvin. Tout comme sa collègue Carole Després, il apprécie également les modèles multifamilial et intergénérationnel pour le partage des ressources et une certaine densification des espaces communautaires.
Vieillir en ville
Au-delà des bénéfices économiques et écologiques qu’elles procurent, les habitations coopératives permettent à des gens de tous âges de se côtoyer plus intimement. Une formule particulièrement intéressante pour les personnes âgées, souvent seules et isolées.
«Le vieillissement de la population représente l’un des grands défis des villes québécoises», estime Carole Després, professeure à l’École d’architecture. Et pour cause! Le Québec est la province la plus vieille au Canada: 30% des Québécois sont des baby-boomers. Ce sont quelque 2,4 millions de personnes qui se dirigent vers la retraite et une possible perte d’autonomie.
Selon l’enquête aux citoyens de la Communauté métropolitaine de Québec, menée par l’équipe de Carole Després en 2011, la majorité de ces baby-boomers sont propriétaires d’une maison en banlieue, et 75% d’entre eux n’ont pas l’intention de déménager. «Il faut donc penser à des solutions pour adapter leur domicile afin de prolonger leur autonomie et mettre moins de pression sur le système de santé», souligne-t-elle.
La chercheuse propose notamment d’instaurer des programmes de subventions pour faciliter la conversion de certains domiciles unifamiliaux en logis intergénérationnels.
Par ailleurs, des indicateurs de santé montrent que les baby-boomers sont en moins bonne santé que la génération précédente. L’étalement urbain et le «tout-en-auto» seraient en cause. Les villes devront donc encourager les saines habitudes de vie en privilégiant l’aménagement de pistes cyclables, de parcs et de services à distance de marche. Pourquoi ne pas faire un retour vers les épiceries de quartier, qui ont pratiquement disparu au profit des grandes bannières? Et ne pas favoriser les petits commerces de proximité, particulièrement en banlieue où les aînés seront de plus en plus nombreux?
Culture des villes, culture des champs
Avec l’étalement urbain, la ville envahit la campagne. Mais voilà que la campagne s’invite en ville! Ce phénomène prend la forme de jardins collectifs ou communautaires, de potagers ainsi que, plus récemment, de toits verts et de cultures en pots sur les terrasses et les balcons. «L’agriculture urbaine fait plus que nourrir les citoyens, elle verdit les lieux, stimule la vie communautaire, assainit l’air et diminue l’impact des îlots de chaleur», mentionne Chantal Beauchamp3, professeure au Département de phytologie.
Comme plusieurs citadins n’ont pas de place pour un potager d’arrière-cour comme leurs ancêtres, ils rivalisent d’imagination pour cultiver dans les endroits les plus restreints. Ainsi, le parvis de l’église de Québec s’est transformé en potager le temps d’un été. Les Fermes Lufa ont installé une serre commerciale sur le toit d’un immeuble à Montréal. Des ruches ont pignon sur le toit de plusieurs hôtels.Des gens cultivent dans les nouveaux Smart Pots en géotextile, qui font office de potagers portables. Dans ses plates-bandes, l’Assemblée nationale, à Québec, a remplacé les fleurs par des légumes et des plantes médicinales.
«Certaines villes ont saisi l’intérêt pour l’agriculture urbaine», signale Manon Boulianne4, directrice du Département d’anthropologie. Montréal dirige ainsi un programme de jardins communautaires, Toronto a créé un conseil de politique alimentaire pour promouvoir l’alimentation de proximité, Vancouver aide ses citoyens à cultiver en ville.
Mais le défi est de taille alors que le béton a tendance à l’emporter sur la verdure. «Idéalement, l’occupation du bâtiment au sol devrait être comme à l’époque médiévale, soit suffisante pour garder des espaces verts et des sols pour l’agriculture, croit André Potvin. Tout en limitant la hauteur des édifices pour optimiser l’éclairage naturel et le soleil!»
3 Chantal Beauchamp est également membre du Centre de recherche interinstitutionnel en sciences du végétal (Centre SÈVE). ↩
4 Manon Boulianne est aussi professeure au Département d’anthropologie et cochercheuse au Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa). ↩
Publié le 14 novembre 2013
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