Au royaume de l'automobile, les autres modes de transport tardent à faire des percées... Le futur sera pourtant multimodal et plus favorable à la santé humaine, selon les spécialistes.
Par Pascale Guéricolas
Sur l’écran de télé, un couple file, cheveux au vent, dans une décapotable blanche. Tous deux rient, du soleil plein les yeux, en contemplant la route vide qui s’ouvre devant eux. Arrêt sur image. Quel que soit le fabricant de voitures impliqué dans cette publicité, il pourrait facilement être taxé de fausse représentation: une grande partie de la vie des véhicules à moteur, vendus comme des symboles de liberté, se déroule plutôt au ralenti dans les bouchons de circulation ou à l’arrêt. Difficile de trouver de grands rubans de bitume vierges de toute circulation dans les centres urbains, en proie à des congestions croissantes.
Et pour cause! Les statistiques le montrent clairement: la proportion d’automobiles comme moyen de transport principal ne cesse d’augmenter un peu partout sur la planète. Écolo lorsqu’il s’agit de recycler le moindre trognon de pomme ou d’opter pour le verso des feuilles introduites dans l’imprimante, le citoyen nord-américain choisit encore de s’établir en banlieue pour le bon air, loin de la ville trop dense. En banlieue, exactement là où attendre l’autobus par un matin hivernal venteux tient de la gageure, tandis que l’utilisation d’une automobile coule de source.
«On n’avance pas beaucoup en matière de transport collectif en Amérique du Nord, à l’exception de grandes villes comme Boston ou Toronto, soupire Marie-Hélène Vandersmissen1, professeure au Département de géographie. Il faut agir dès maintenant pour lutter contre les changements climatiques à venir, mais on manque de têtes fortes ici pour se saisir du dossier et augmenter les budgets réservés aux transports en commun.»
Selon cette géographe, spécialisée dans les transports, la tendance à l’utilisation accrue de l’auto fait partie des prédictions de l’OCDE pour 2030. L’organisme prévoit que les voitures parcourront encore plus de distance et seront plus nombreuses d’ici 15 ans, au détriment de la marche et du vélo.
Conscients de la suprématie de l’automobile, certains urbanistes, architectes et géographes réfléchissent à d’autres façons d’assurer la circulation dans les villes.
1 Marie-Hélène Vandersmissen est également responsable du Laboratoire d’analyse et de traitement de l’information géographique (LATIG) et chercheuse au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). ↩
Des solutions qui n’en sont pas
Élargir une autoroute très empruntée. Voilà une solution néfaste à long terme lorsqu’on cherche à rendre plus fluide le trafic routier, indique Marius Thériault2, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional.
«Cela ne fait que retarder le problème, note-t-il. Les bouchons peuvent se résorber temporairement, mais l’augmentation du nombre de véhicules crée ensuite une nouvelle congestion. Sans oublier la pression supplémentaire de ces nouveaux véhicules sur le reste du réseau routier.»
Moins cher en banlieue, vraiment?
À Québec, 8 déplacements sur 10 s’effectuent en voiture, selon les données de la dernière enquête origine-destination, réalisée en 2006. Et les jeunes familles en quête d’une première maison ont souvent tendance à s’éloigner du centre, et donc des principaux réseaux d’autobus, pour économiser sur le coût du logement. Un mouvement encore accentué par la hausse immobilière des dernières années.
Or, une étude récente effectuée par Marius Thériault et ses collègues du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) montre que s’installer en périphérie ne permet pas toujours d’épargner de l’argent.
«Pour ces ménages qui s’établissent en banlieue, la facture de transport peut être jusqu’à 2 fois plus élevée que l’économie qu’ils réalisent sur le coût du logement», souligne le géographe. Trop souvent, les acheteurs négligent de calculer les frais engendrés par une deuxième voiture quand ils choisissent de s’éloigner du centre. Marius Thériault travaille actuellement sur un outil d’aide à la décision pour les choix résidentiels, qui sera accessible sur Internet l’an prochain. Une façon, selon lui, de promouvoir les possibilités de transport en tenant compte des coûts réels des déplacements.
2 Marius Thériault est aussi chercheur au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) et au Centre de recherche en géomatique (CRG). ↩
Assouplir les horaires de travail
Face à la bouchonite aiguë dont souffrent les principales artères de circulation dans des villes comme Québec, Montréal ou Philadelphie, certains partent en guerre contre les conditions qui créent la congestion quotidienne.
Principale coupable, la concentration du trafic aux heures de pointe. Selon Carole Després3, professeure à l’École d’architecture, une ville comme Québec –où les déplacements s’effectuent surtout entre 7h et 8h, et dont les lieux de travail et d’étude les plus fréquentés se situent dans un espace assez restreint– aurait tout intérêt à jouer de souplesse pour l’heure d’arrivée au travail ou à modifier l’heure du début des cours.
Pour prendre cette direction, il faut cependant déboulonner certains mythes comme celui-ci: arriver au bureau plus tard, ça fait moins professionnel. «C’est faux, réplique Carole Després. La tendance chez plusieurs grands employeurs aux États-Unis, en Australie et ailleurs dans le monde est d’encourager la flexibilité des horaires et de permettre aux employés d’effectuer certaines tâches –par exemple, celles qui exigent de la concentration– à partir de leur domicile.»
Aménager pour mieux circuler
Comment les urbanistes et les géographes voient-ils les transports dans la ville de demain? Étonnamment, ils ne privilégient pas particulièrement le tramway, le métro, le bus électrique, le vélo ou la marche… Ils rêvent plutôt à des cocktails multimodaux. «Il ne faut pas attendre d’avoir les fonds nécessaires pour investir dans un tramway souvent très coûteux, mais améliorer immédiatement les réseaux d’autobus qui existent déjà», suggère David Paradis4, chargé de cours à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional.
Cet urbaniste pragmatique prêche pour une intégration de la mobilité durable à la ville qui existe déjà. Une ville souvent de faible densité au Québec, ce qui rend les transports collectifs peu efficaces. Sans parler des liens de circulation difficiles entre certains quartiers développés en autarcie.
Avec ses étudiants, Geneviève Vachon5, professeure à l’École d’architecture, s’attaque d’ailleurs à ces drôles d’espaces cloisonnés au sein d’une agglomération où bien souvent les pylônes et les entrées d’autoroutes ou de viaducs limitent le passage en bus ou en vélo.
«Il ne faut pas seulement envisager le transport de la périphérie vers le centre, mais aussi le penser à l’intérieur d’une même banlieue ainsi que de banlieue en banlieue, argumente l’architecte. On doit rafistoler la ville en misant sur l’aménagement le long des corridors de transports collectif.»
3 Carole Després est également directrice du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa) et chercheuse au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). ↩
4 David Paradis est aussi directeur du secteur Recherche, formation et accompagnement de l’organisme Vivre en Ville. ↩
5 Geneviève Vachon est également directrice au Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRba) et chercheuse au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD). ↩
Des étoiles nommées TOD
Depuis quelques années, les urbanistes envisagent le développement urbain sur un territoire autour d’une multitude de petites étoiles reliées les unes aux autres, des étoiles baptisées TOD, ou Transit-Oriented Development. Ces nouveaux quartiers conjuguent habitations et commerces de proximité pour faciliter les déplacements en vélo, à pied ou en transports en commun. Une gare ou un corridor doté de plusieurs stations de métro, par exemple, constituent le cœur de cette zone, reliée à un autre TOD un peu plus loin sur le territoire.
À Québec, le quartier Limoilou illustre bien ce concept avec ses grands arbres, ses axes de circulation bien desservis par l’autobus et ses petites boutiques permettant les déplacements à pied. «De plus en plus, on tente de mettre en valeur les corridors de transport collectif en misant sur l’aménagement autour des arrêts d’autobus ou des stations de métro, rapporte Geneviève Vachon. Le mobilier urbain et les espaces publics facilitent la marche dans ce type de quartiers qu’on trouve beaucoup à Denver, au Colorado, ou à Portland, en Oregon.»
David Paradis, lui, a été séduit par un autre TOD: Arlington, en Virginie, séparé de Washington DC par la rivière Potomac. Dans cette banlieue qui ne cesse de gagner des habitants et des employés de bureaux, les pouvoirs publics multiplient les incitatifs pour combiner métro, bus, vélo et marche. Que ce soit en aménageant des pistes cyclables et piétonnières ou en facilitant les correspondances entre les différents modes de transport. Une grande partie des nouvelles résidences de cette ville de 220 000 âmes ont été bâties le long du corridor du métro, à moins de 10 minutes de marche d’une station. Tous les efforts menés à Arlington pendant plusieurs décennies auraient permis d’éviter la présence dans le trafic d’environ 4 500 voitures chaque semaine, selon une étude qui compare les situations d’Arlington et de Washington.
TOD version québécoise
Les élus et les décideurs de la MRC de Roussillon, au sud de Montréal, ont eux aussi découvert l’approche du TOD. Du coup, ils réfléchissent à une nouvelle façon d’organiser les circuits d’autobus ou de trains légers, non plus seulement de la banlieue vers l’île de Montréal, mais de banlieue à banlieue. Ces circuits relieraient des villes comme Châteauguay, Saint-Constant, Candiac, Brossard et Longueuil, même si elles relèvent d’entités administratives différentes.
«Dans un futur schéma d’aménagement, pourquoi ne pas densifier le boulevard Taschereau qui relie Brossard et plusieurs municipalités, et y bâtir un train léger ou un réseau d’autobus efficace? suggère David Paradis. On peut transformer cet axe en boulevard principal, avec de nouveaux commerces et des logements de quelques étages pour structurer la région.»
Récemment, la Communauté métropolitaine de Montréal a d’ailleurs incité plusieurs instances régionales à travailler de concert sur l’avenir de cet axe de circulation dans le but d’enfin disposer d’un réseau de transport cohérent.
Le transport, c’est aussi le béton
Pour miser sur la diversité des modes de transport, encore faut-il disposer d’infrastructures solides sur lesquelles faire circuler les bus, les tramways et les voitures. Les déboires récents du pont Champlain ou du viaduc de la Concorde, dans la région montréalaise, ont semé le doute à cet égard.
Depuis quelques années, les spécialistes en structure comme Josée Bastien6, professeure au Département de génie civil et de génie des eaux, tentent de trouver des façons de protéger les infrastructures des intempéries afin de les rendre plus durables. L’ingénieure et son équipe cherchent notamment la recette d’un béton moins poreux.
«Dès la conception, on veille aussi à intégrer un drainage évitant que l’eau ne stagne, précise-t-elle. Et il faut prévoir des moyens pour entretenir facilement la structure et pour la réparer au besoin.» Les nouvelles techniques de détection acoustique permettent ainsi de vérifier l’état du béton de façon moins intrusive que le prélèvement de carottes de matériaux pratiqué auparavant.
Les constructeurs considèrent également de plus en plus les conséquences environnementales de certains ouvrages massifs, en tentant de réduire l’ampleur des voies menant vers un pont ou de mieux intégrer ces dernières au paysage, par exemple. Les ponts à haubans, où des pylônes reliés à des câbles supportent la structure, semblent avoir la cote en ce moment, alliés à des bétons de très haute performance.
«Dans les années 50 ou 60, on ne posait pas la question de la durabilité d’une structure lorsqu’on la bâtissait, remarque Josée Bastien. Aujourd’hui, on construit pour au moins 75 ou 100 ans, en intégrant dès la conception les activités de maintenance et de prévention pour que le pont ou le viaduc dure le plus longtemps possible. »
6 Josée Bastien est aussi membre du Centre de recherche sur les infrastructures en béton (CRIB) et de l’Institut Technologies de l’information et Sociétés (ITIS). ↩
Publié le 14 novembre 2013
Publié le 17 novembre 2013 | Par marc guy
une ville comme Québec: le travail se développe de plus en plus le long des autoroutes et dans les banlieues, les parcs industriels où sont les emplois de qualité qui rendent l'usage de l'auto indispensable
le centre-ville: des jobs de service peu payantes, des HLM qui enlèvent la mobilité aux personnes à faible revenu qui ne peuvent se déplacer vers les parcs industriels où est la demande de travailleurs.
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