Dessine-moi la maison québécoise
Au-delà des modes et des courants, l’architecture de nos maisons nous en apprend beaucoup sur nous-mêmes.
Propos recueillis par Matthieu Dessureault
L’histoire de la maison québécoise en est une de diversité, de contrastes et de multiples sources d’inspiration. De la maison traditionnelle à la maison en rangée loge tout un univers que nous fait découvrir l’architecte et professeur à l’École d’architecture Jacques White.
Les maisons québécoises sont-elles le reflet de notre identité?
C’est incontournable: ce qu’on fait reflète qui on est, ce qui inclut nos valeurs et nos perceptions de la maison idéale. Qu’est-ce qu’une maison québécoise? C’est un sujet complexe. À une certaine époque, on associait la demeure québécoise à une maison avec toiture à deux pentes ornée de lucarnes. En fait, ce type de construction provient de l’Europe. Au XVIIe et au début du XVIIIe siècles, il y a eu les maisons à toit mansardé, dont l’objectif était d’optimiser l’espace en hauteur. Sans oublier l’influence américaine, avec l’arrivée des bungalows dans les années 50. La maison québécoise se trouve dans toutes ces variations. Le résultat est parfois plus intéressant, parfois moins. Mais l’identité québécoise, elle, est toujours là.
Pendant longtemps, l’architecture de la maison québécoise a été orientée vers le pratique plutôt que l’esthétique. Pourquoi?
Cela s’explique par des raisons économiques. Avant l’industrialisation, les gens vivaient avec peu de moyens. Ils héritaient de la maison de leurs parents sans véritable possibilité d’innover, donc le côté pratique était prioritaire. Lorsque l’économie s’est développée, on s’est rendu compte qu’on pouvait esthétiser davantage les demeures. Leur façade, à partir de ce moment, est devenue plus importante, principalement parce qu’elle servait à afficher un succès économique. On le voit très bien quand on compare l’avant et l’arrière des maisons: les efforts déployés à l’avant par rapport à ce qu’on exprime à l’arrière. L’entrée, le vestibule et l’escalier jouent un rôle de premier plan, car ils reflètent notre réussite sociale. La finition du bâtiment sur la rue est souvent magnifiée tandis que celle qui donne sur la cour et sur les côtés est plutôt négligée. Contrairement à autrefois, où la simplicité du quotidien se reflétait dans l’architecture globale des maisons, les constructions d’aujourd’hui sont souvent prétentieuses.
Que retenez-vous de l’évolution de nos maisons à travers le temps?
Ce qui me semble prometteur, c’est qu’on revient peu à peu à des considérations environnementales. On fait des maisons qui nous ressemblent davantage, qui sont plus adaptées au milieu, au climat et aux spécificités locales. On assiste à une prise de conscience qui fait que la maison québécoise est peut-être en train de revenir à une belle époque.
La cuisine d'été
Apparue au début du XIXe siècle, la cuisine d’été est un bel exemple d’adaptation de la maison traditionnelle québécoise à l’environnement et aux façons de vivre, puisque ses caractéristiques permettaient de tirer profit de l’alternance des saisons. Sans solage ni isolation, sans fenêtres ni portes doubles, elle demeurait un lieu plus frais constituant un milieu de vie principal durant toute la période estivale. Elle évitait aussi de salir la maison pendant ces mois consacrés aux travaux agricoles! Au cours de l’hiver, elle devenait lieu d’entreposage: non isolée, elle était suffisamment froide pour conserver de la viande et d’autres denrées. De plus, placée en annexe du bâtiment principal, de manière générale contre le mur nord, elle protégeait le logis des intempéries et des vents violents.
On accuse souvent les maisons récentes de briser la trame urbaine, particulièrement dans les banlieues. Une cohabitation entre le nouveau et l’ancien est-elle possible?
Non seulement elle est possible, mais elle est souhaitable et nécessaire! La densification des quartiers est une réalité incontournable. Il est de notre responsabilité d’apprendre à mieux vivre ensemble plutôt que de continuer à s’étaler. Comment parvenir à une cohabitation harmonieuse du passé et du présent en matière d’habitation? Premièrement, il faut se débarrasser des typologies de maisons qui sont toujours les mêmes: maisons uniques, jumelés, maisons en rangée. Deuxièmement, il faut cesser, même si nos terrains sont très étroits, de négliger complètement les façades latérales des maisons. Comme je l’ai dit, on essaie de faire un beau truc à l’avant, mais on oublie l’apparence des côtés. Plus encore, on priorise des gabarits de bâtiments trop massifs par rapport à d’autres du voisinage. Résultat, tout ce qu’on voit des nouvelles maisons, ce sont des côtés qui dépassent, recouverts, la plupart du temps, d’un matériau très banal. L’intégration doit se faire de manière beaucoup plus subtile. Le secret pour y arriver est d’analyser très finement l’environnement, puis de créer un plan de construction sur mesure, et non de tenter d’importer sur place un modèle déjà existant.
Qu’est-ce qu’une maison contemporaine réussie?
Ce qui fait la qualité d’une maison contemporaine est également sa capacité de créer des transitions harmonieuses entre les espaces intérieurs et extérieurs par des éléments comme les portes et les fenêtres. Il est aussi important de favoriser les contrastes entre les grandes et les petites pièces. Ces zones doivent être adaptables en fonction des besoins des habitants. Les experts ont désormais une compréhension des qualités spatiales d’une maison, ce qui leur permet de faire des maisons sur mesure par rapport à notre façon de vivre.
Y a-t-il une région du Québec particulièrement à l’avant-garde en matière d’architecture résidentielle?
Je ne pense pas qu’il existe un terreau particulièrement fertile. Les meilleurs exemples sont répartis un peu partout au Québec, donc un peu isolés. Sans être chauvin, je crois que les maisons contemporaines les mieux adaptées à leur milieu, tout en étant respectueuses de la tradition québécoise, sont conçues par des architectes. Ces derniers sont conscients des différents enjeux de l’habitation et cherchent à concevoir des maisons qui démontrent l’étendue des possibilités qui s’offrent à nous.
Pourtant, les architectes semblent peu présents dans notre commande résidentielle. Pourquoi?
Au Québec, faire appel aux architectes est vu comme un luxe. Historiquement, cette attitude s’explique peut-être par nos racines. En tant que peuple colonisateur, il était de la responsabilité de chacun, du «bon père de famille», de bâtir sa propre maison pour s’établir, pour loger les siens. Le problème, c’est que nous sommes restés un peu dans cet esprit.
Ailleurs dans le monde, il ne viendrait à personne l’idée de faire une maison sans plan d’architecte, car il est important de bien investir. Ici, c’est l’inverse. C’est aussi un milieu déréglementé, ce qui fait en sorte que les consommateurs, les constructeurs et les promoteurs travaillent sans faire appel aux architectes.
L’autre problème, c’est que nous sommes coincés avec des modèles d’architecture desquels on ne déroge pas: les maisons uniques, les jumelés, les maisons en rangée dont j’ai déjà parlé. Ajoutons les immeubles de six ou de huit logements. Également, les grands immeubles résidentiels avec corridors, ascenseurs et stationnements extérieurs ou souterrains.
Les meilleurs exemples d’habitation font preuve de souplesse et naviguent habilement entre ces différents modèles. On peut imaginer, par exemple, une maison à plusieurs unités avec une terrasse qui s’étend sur le toit d’une autre habitation, un rez-de-chaussée qui donne sur deux étages, etc. Ces habitations intéressantes sont souvent intégrées dans un quartier afin de remplacer des maisons en fin de vie. Malheureusement, c’est très rare au Québec.
Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de la maison québécoise?
Plus il y aura de bons exemples de maisons, plus les gens démontreront de l’enthousiasme à profiter des possibilités d’innovation et cesseront de voir uniquement les problèmes en matière d’habitation. Plus les architectes et les différents experts seront impliqués, plus il y a aura des propositions intéressantes. Nous y arrivons tranquillement. Pour moi, la maison québécoise est appelée à renaître.
Publié le 25 novembre 2015
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