Conjuguer infos, technos et urbanité
Comment mettre les avancées technologiques au service du mieux vivre ensemble et de la bonne gouvernance de nos agglomérations urbaines?
Propos recueillis par Matthieu Dessureault
Le terme «ville intelligente», ou smart city, revient sur toutes les lèvres: scientifiques, politiciens, journalistes, architectes et urbanistes. Non, personne n’entend par là que la ville est «douée d’une intelligence», mais bien que l’usage des nouvelles technologies lui permettrait d’améliorer son fonctionnement.
Parmi ceux qui alimentent la réflexion sur ce concept tout en développant ses composantes, figurent les chercheurs de l’Institut Technologies de l’information et Société (ITIS). La directrice de cet organisme de l’Université, Marie-Andrée Doran1, démystifie la chose pour nous.
Qu’est-ce qu’une ville intelligente?
Il existe plusieurs définitions, mais toutes s’accordent sur un point: l’utilisation des technologies de l’information comme système nerveux de la ville. Il peut s’agir par exemple de fibre optique, de systèmes de capteurs ou d’instrumentation géospatiale. Le déploiement de ces technologies permet l’amélioration de systèmes, comme l’aqueduc, le transport ou la gestion des déchets. La ville intelligente vise une intégration optimale des outils numériques pour garantir le bien-être des citoyens, un développement économique et durable, ainsi qu’une gouvernance intégrée.
Pourquoi est-ce important?
Son importance est d’abord liée à l’accroissement de la population urbaine, une tendance lourde: certains prédisent que, en 2050, 80% de la population de la planète vivra dans des villes. Mais ce n’est pas tout…
Quelles sont les limites de la ville intelligente?
À moins de bâtir une ville neuve, il faut composer avec les infrastructures existantes et tenter de les améliorer. Je crois que des spécialistes comme les chercheurs de l’ITIS doivent accompagner les dirigeants et les citoyens pour les amener, dans un premier temps, à comprendre ce qu’est une ville intelligente et à voir de quelle façon ils peuvent y contribuer. Chaque ville a ses problématiques et son contexte. Quand on amorce une réflexion sur une ville intelligente, il faut poser un diagnostic, c’est-à-dire regarder les forces et les faiblesses des infrastructures. On n’improvise pas une ville intelligente.
Comment les citoyens peuvent-ils faire leur part?
Beaucoup de projets peuvent venir des membres de la communauté et c’est aux décideurs de les appuyer. Dans une ville intelligente, les élus écoutent leurs citoyens et cherchent à répondre à leurs besoins. Ils doivent faire preuve d’intégrité, d’ouverture et de transparence. On voit qu’il y a des villes qui ont plus de travail à faire que d’autres!
1 Marie-Andrée Doran est également adjointe au vice-recteur au Vice-rectorat aux études et aux activités internationales. ↩
Y a-t-il des initiatives qui méritent d’être soulignées?
Pensez-vous à d’autres exemples?
Il y en a plusieurs. La Ville de Madrid, en Espagne, a entrepris un projet intéressant. À la suite des attentats de 2004, elle a analysé ses circuits routiers et s’est dotée d’un système d’urgence qui permet d’envoyer des secours en 8 minutes dans tous les coins de la ville.
New York a trouvé une solution pour éviter la saturation de ses réseaux d’appels d’urgence. L’administration a mis en place le 311, un service d’assistance en ligne qui offre une panoplie de services tout en réduisant considérablement les délais de réponse.
En France, je pense à 2 projets. À Lyon, les citoyens peuvent connaître l’état du trafic en temps réel. Un système recommande des parcours de rechange pour éviter les bouchons. Et à Nice, grâce à un réseau de capteurs sous les stationnements, une application permet aux automobilistes de connaître les places disponibles.
À Montréal, le plus grand succès selon moi est le Quartier des spectacles. Un regroupement de citoyens a décidé de donner une deuxième vie à ce secteur plutôt malfamé en changeant sa vocation. C’est une initiative de particuliers, qui a été appuyée par la Ville. Ce partenariat a permis de valoriser le quartier avec une mise en lumière et une animation grâce à des outils numériques. Ça, pour moi, c’est un contexte de ville intelligente.
Il existe beaucoup de projets dans toutes sortes de domaines. Depuis une dizaine d’années, l’Intelligent Community Forum (un organisme américain de recherche et de réflexion sur le développement des villes contemporaines) organise une compétition internationale. Au moins 400 villes y participent. Un classement «Top 21» est émis, puis un «Top 7», et enfin la ville intelligente de l’année est sélectionnée.
En 2012, Québec a figuré dans ce «Top 7». En quoi est-elle intelligente?
La fracture numérique demeure préoccupante à Québec, avec environ 19% de la population qui n’a pas accès à Internet, alors que cette technologie est au cœur du partage de l’information.
N’y a-t-il pas là un paradoxe?
La situation de Québec n’est pas catastrophique en ce sens où la ville se situe dans les normes. On se rend compte que les personnes âgées sont généralement moins familières avec le numérique. C’est une question de génération. Aussi, les gens à faible revenu n’ont pas les moyens de payer un abonnement pour avoir accès à la bande passante. À ce sujet, la Ville a mis de l’avant des initiatives intéressantes. Il est possible de trouver plusieurs endroits où se connecter, notamment grâce à ZAP Québec, un organisme à but non lucratif qui offre des zones d’accès Internet sans-fil gratuit. La plupart des bibliothèques offrent des ordinateurs et un accès gratuit à Internet.
La Ville a accueilli l’été dernier des experts en nouvelles technologies d’IBM. Ces spécialistes ont fait des recommandations, qui n’ont pas encore été portées à l’attention du public, mais qui permettront de réduire la fracture numérique. L’ITIS a participé à cette démarche.
Quel est le rôle de l’ITIS?
L’ITIS est un acteur majeur dans le dossier des villes intelligentes. L’Institut fédère la recherche sur le numérique réalisée à l’Université Laval et contribue à l’analyse de l’impact des technologies de l’information dans notre vie de tous les jours. Ses quelque 150 chercheurs provenant de 16 facultés s’intéressent à différents aspects des villes intelligentes, comme la culture, le patrimoine, l’éducation ou les médias sociaux. Ils travaillent sur des projets importants en lien avec la société, l’économie et l’urbanisme.
En 2012, l’ITIS a tenu le premier colloque scientifique québécois sur les villes intelligentes. Et plusieurs projets sont sur la table, dont un observatoire sur les villes intelligentes. L’ITIS va aussi continuer à faire des colloques annuels. Cette année, le thème sera «Ville intelligente, citoyen et données volumineuses (Big Data)». Les innombrables données recueillies sur le réseau Internet posent des questions autant éthiques que de gestion.
De quoi aura l’air la ville intelligente du futur?
On parle de plus en plus de domotique et de «l’Internet des objets». Par exemple, votre frigo pourra vous dire la date de péremption de votre yogourt ou proposer telle recette afin d’utiliser vos restes. On nous promet aussi des changements importants dans le domaine de la santé. Devrons-nous encore aller dans une clinique pour voir un médecin ou pourrons-nous interagir à distance avec lui? De grands changements s’en viennent. La technologie évolue rapidement.
Quels enjeux cela comporte-t-il?
Le principal enjeu est la protection de la vie privée. C’est un dossier extrêmement chaud. On n’aime pas savoir que nos données de cellulaire se retrouvent aux États-Unis ou ailleurs. Il y a beaucoup d’innovations technologiques intéressantes, mais il faut voir à quel prix.
Ce que je souhaite, c’est renforcer le regard critique sur le numérique, que les étudiants soient formés en ce sens. Certes, les technologies sont importantes, mais elles doivent rester au service de l’humain et du développement économique. Le numérique pour le numérique: non! Mais le numérique au service du développement humain: oui! Un développement harmonieux, bien entendu!
Publié le 14 novembre 2013
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