Ces gens qui nous gouvernent
Le Québec et le Canada qualifient leur démocratie de représentative. Est-ce vraiment le cas?
Par Nathalie Kinnard
En principe, tout Québécois peut briguer l’un des 125 sièges à l’Assemblée nationale ou l’un des 308 fauteuils de la Chambre des communes. Pourtant, environ 80% des députés des dernières législatures provinciales sont des diplômés universitaires ayant entre 35 et 64 ans et ⅔ sont des hommes. Pour les chercheurs de l’Université qui ont étudié le profil sociodémographique des élus québécois et canadiens sur plusieurs années, un constat s’impose: les députés ne sont pas représentatifs de la population,et tous les citoyens ne sont pas égaux sur le chemin qui mène au Parlement.
Quand les élus sont tous issus d’un même moule, les idées et les débats ne risquent-ils pas de manquer de saveur?
Le diplôme universitaire, passeport politique
Les élus sont beaucoup plus éduqués que leurs concitoyens. Avant 1966, environ 50% des députés québécois détenaient un titre universitaire. Cette proportion a augmenté à 75% au début des années 1980 et à 80% durant les années 2000. «Le diplôme universitaire est devenu la clé pour entrer au Parlement», indique Magali Paquin1, doctorante en sociologie à la Faculté des sciences sociales, qui a analysé les fiches biographiques des députés au provincial.
Plus encore, le tiers des membres des récentes législatures provinciales possède un diplôme de 2e ou de 3e cycle! «L’ensemble des élus est loin de représenter la population qui compte 29,4% d’universitaires», révèle la sociologue. Et les ministres sont encore plus scolarisés que les députés. «Depuis 1970, 85% du Conseil exécutif possède une formation universitaire. En 2003, cette proportion a atteint 96% et en 2007, 100%!», rapporte-t-elle. Aujourd’hui, la moitié des ministres ont une maîtrise.
Seules exceptions au Parlement québécois, la défunte Action démocratique du Québec (ADQ) et l’actuelle Coalition avenir Québec (CAQ), avec quelque 50% de diplômés universitaires depuis 2007.
Selon Louis Massicotte2, professeur au Département de science politique, le diplôme le plus élevé aura toujours préséance, car les électeurs apprécient que leurs représentants soient plus instruits que la moyenne de la société. Sans compter la question d’image de prestige pour les partis.
Pourtant, les compétences politiques ne s’acquièrent pas sur les bancs d’école: c’est avant tout une question d’habiletés personnelles et d’expérience de vie. Les études y ont donc une part, mais une part seulement. «Agnès Maltais en est un bon exemple, pense Marc André Bodet3, professeur au Département de science politique. Cette titulaire d’un diplôme d’études collégiales évolue en politique depuis 1998 au sein du PQ, comme ministre par le passé et actuellement comme leader parlementaire de l’opposition officielle.» À l’autre bout du spectre, Michael Ignatieff, ancien chef du Parti libéral du Canada bardé de diplômes, a eu une courte carrière politique.
1 Magali Paquin est aussi membre de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. ↩
2 Louis Massicotte est l’auteur du livre Le Parlement du Québec de 1867 à aujourd’hui, paru en 2009. ↩
3 Marc André Bodet est également chercheur associé à la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. ↩
Si la formation universitaire ouvre les portes du Parlement et si elle attire aujourd’hui plus de femmes que d’hommes, pourquoi les voix féminines sont-elles si discrètes en politique? Sexisme au sein des partis ou dans l’isoloir?
Serait-ce par manque d’intérêt et de compétences? «Je ne pense pas, répond Marc André Bodet. Bien des femmes qui ont brigué un siège au cours des élections fédérales des dernières années n’avaient presque aucune chance de l’emporter, car elles étaient souvent candidates dans des circonscriptions où elles ne pouvaient gagner.»
En analysant les scrutins fédéraux de 2004 à 2011, le politicologue a constaté que les femmes se présentent la plupart du temps dans les «châteaux forts» des partis adverses. Les candidates accèdent donc plus rarement au poste de député que leurs collègues masculins. Lorsqu’une circonscription potentiellement gagnante se libère, a-t-il observé, les assemblées d’investiture ont tendance à choisir un individu solidement appuyé par des ressources financières importantes, par un réseau de connaissances et par des milieux professionnels influents: un profil encore majoritairement masculin.
Le faible taux de renouvellement des législatures limite également l’entrée des femmes en politique. «D’une élection à l’autre, plusieurs députés se représentent et sont reconduits, explique Magali Paquin. Il y a peu de place pour de nouveaux visages. Par exemple, en 2014, sur 125 députés québécois, il y a eu 44 nouveaux élus dont 8 faisaient un retour en politique.»
Ainsi, les femmes ne forment en moyenne que le tiers de la députation provinciale et, à la Chambre des communes, elles n’occupent que 24,7% des sièges depuis 2011. Une situation pourtant meilleure qu’autrefois. Ne comptant qu’une seule députée, entre 1961 et 1976, l’Assemblée nationale en comptait 38 en 2003 et 34 en 2014.
Du côté fédéral, un record de 76 femmes élues a été atteint en 2011, en partie parce que le NPD a une politique explicite pour encourager les candidatures féminines et que le Parti conservateur s’assure que les femmes ne sont pas désavantagées lors de la sélection des candidats.
Les jeux sont loin d’être faits. Selon les analyses de Mme Paquin, la présence des femmes à l’Assemblée nationale varie trop souvent: le record de 32,8% d’élues en 2012 a dégringolé à 27,2% en 2014.
Néanmoins, signe qu’on peut trouver autant de femmes que d’hommes compétents, ces dames ont réussi à percer les plus hautes sphères politiques. Au Conseil des ministres, au Québec, elles comptaient pour 32% de l’équipe en 2003, 47,4% en 2007 et 48,1% en 2008. «C’est le résultat de l’initiative de parité des sexes du cabinet de Jean Charest, sans égard à leurs poids respectifs parmi les élus», rapporte Magali Paquin.
Le gouvernement Charest a aussi tenté de faire voter une politique de financement des partis conditionnel à une représentation féminine équitable; en vain. «Pourtant le Québec et le Canada ont besoin de telles stratégies, croit Marc André Bodet. La parité des sexes est primordiale, car les femmes abordent des enjeux différents, comme la lutte à la pauvreté.» Pour l’instant, aucun parlement au monde n’est complètement représentatif du ratio hommes-femmes de sa population.
Peu de «p’tits jeunes»
La politique reste aussi une affaire d’âge mûr. «Les 2 dernières députations québécoises sont particulièrement âgées, note Magali Paquin. L’âge moyen des élus atteint 52 ans alors qu’il était de moins de 45 ans dans les années 70.» Selon la doctorante, cette situation est plutôt surprenante après le printemps érable qui a mis en scène plusieurs jeunes aux aptitudes politiques avérées.
L’élection en 2012 de Léo Bureau-Blouin, le plus jeune député de l’histoire de l’Assemblée à 20 ans, et la présence record des candidats de 18 à 29 ans à l’élection provinciale de 2014 n’ont pas réussi à rajeunir la législature. Le mandat de la plupart des politiciens a été reconduit, et les nouvelles têtes avaient déjà les tempes grisonnantes. «Actuellement, les 35-65 ans forment 85% du Parlement québécois», précise Mme Paquin.
En 2007, l’ADQ avait réussi à donner un air de jeunesse à l’Assemblée alors que 61% de son équipe avait entre 18 et 44 ans. La tendance a depuis été renversée par le vieillissement des députés libéraux réélus aux élections suivantes.
Au fédéral, la vague orange du NPD en 2011 a amené un lot de nouveaux politiciens, dont plusieurs novices âgés de 23 à 35 ans. Mais l’âge avancé de nombreux élus du Parti conservateur et du Parti libéral, dont plusieurs ont entre 65 et 77 ans, maintient la moyenne d’âge à presque 53 ans.
Selon Marc André Bodet, il est difficile de rajeunir les députations, puisque les personnes intéressées attendent généralement la quarantaine, voire la cinquantaine, avant de se lancer dans l’arène. Les aspirants politiciens préfèrent se forger une bonne expérience professionnelle et personnelle, un réseau de contacts et des connaissances avant de mettre leur visage sur un panneau d’élection.
Les gestionnaires ont la cote
Les parcours professionnels des députés sont également loin d’être ceux de la majorité des Canadiens. La dominance de certains métiers a toujours été. À une époque, les seules personnes assez scolarisées pour s’asseoir au Parlement provenaient de professions libérales: médecins, notaires, architectes et avocats. Les juristes ont d’ailleurs dominé l’Assemblée nationale dès sa création en 1867, puisque 47% des députés exerçaient alors cette profession, rapporte Louis Massicotte. Pendant longtemps, note-t-il aussi, la plupart des premiers ministres du Québec et du Canada avaient une formation en droit.
À partir des années 1960, les professions libérales ont perdu du terrain dans les parlements au profit des professions du secteur des services, notamment avec l’entrée en scène des enseignants. «Ce sont des gens volubiles, très articulés, qui ont une bonne cote auprès de la population», explique Louis Massicotte.
Le PQ attire aussi des gens du domaine des arts et de la culture ainsi que du secteur des communications, comme des journalistes. Le PLQ séduit plutôt les professionnels du droit, de l’administration et de l’économie.
Ces différences entre les partis tendent cependant à s’atténuer depuis 15 ans avec l’augmentation du nombre de gestionnaires-administrateurs. «Ils représentent plus de 41% de toute la députation québécoise et près de 46% du Conseil des ministres», signale Magalie Paquin. À l’Assemblée nationale, on constate la forte présence de cadres supérieurs (présidents, vice-présidents) et intermédiaires (directeurs, directeurs adjoints) ainsi que de propriétaires de PME. Les professions liées aux sciences sociales sont également surreprésentées, avec de nombreux juristes, enseignants, consultants et conseillers politiques.
L’entrepreneuriat, nouvelle valeur
Récemment, le monde des affaires et de l’entrepreneuriat a fait le saut en politique, avec des François Legault et Pierre-Karl Péladeau. Une tendance qui s’intensifiera peut-être, selon Louis Massicotte, car l’entrepreneuriat est devenu la nouvelle valeur au Québec. Et les médecins? «Ils ont toujours fait partie de la vie politique, note le politicologue, mais on les remarque davantage ces dernières années, car ils obtiennent des postes clés, en lien avec les priorités gouvernementales.»
En somme, fait-il remarquer, nos parlements représentent mieux la société aujourd’hui qu’à leurs débuts. Le fait de passer de 65 députés à 125 au provincial et de 181 à 308 au fédéral a contribué à diversifier les profils. «Plus de Canadiens et de Québécois ont de chances de trouver quelqu’un qui leur ressemble dans la législature actuelle», pense-t-il.
Publié le 12 novembre 2014
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