Stratégies de campagne
Comment un candidat aux élections parvient-il à briser le mur d’indifférence des électeurs envers la politique?
Par Pascale Guéricolas
Dès l’apparition des premières images de politiciens à 4 pattes dans une garderie ou s’agitant devant un barbecue plein de hot-dogs, les citoyens comprennent qu’une campagne électorale est amorcée. Avec ces images, viennent en rafales les nombreuses publicités, les plaidoyers pour tel ou tel programme, les images assassines des adversaires colportées de façon virale sur les médias sociaux et les apparitions télévisées de candidats dans les émissions où on les attendrait le moins. Un théâtre grandeur nature que les chercheurs en politique et en communication scrutent de la tribune aux coulisses.
Mise en scène 101
«Pour éveiller l’intérêt des électeurs et rendre la politique accessible, les candidats doivent se prêter à une certaine mise en scène et présenter la meilleure image possible», fait remarquer Guylaine Martel1, professeure au Département d’information et de communication.
Il s’agit avant tout pour eux d’être à l’aise avec les médias, puisque les rencontres en personne se raréfient, observe la chercheuse. Les campagnes actuelles comprennent moins de grands rassemblements partisans qu’auparavant et peu de bains de foule. Le passage des candidats à des émissions de télévision, y compris celles de divertissement, aide donc l’électeur à se faire une idée.
À la base d’une communication réussie, une image forte. Certains, comme Stephen Harper, misent sur leur image de compétence professionnelle. Le premier ministre canadien rassure et suscite la confiance quand il parle d’économie. D’autres encore insistent sur leur côté sympathique, tel le regretté Jack Layton.
Quelques-uns parviennent, comme l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest, à jouer sur tous les tableaux, en passant avec facilité d’une facette à l’autre de leur personnalité: drôle à Tout le monde en parle, chahuteur aux Francs-tireurs, touchant et naturel à une émission comme Deux filles le matin.
Là où le bât blesse, c’est lorsqu’un candidat s’efforce d’adopter une image qui correspond peu à sa personnalité. «Je me souviens que, pendant la campagne de 2004, l’équipe du libéral Paul Martin avait engagé un humoriste pour l’aider à adopter une attitude plus détendue, sourit Guylaine Martel. Je ne pense pas que ça ait vraiment fonctionné!»
Savoir y faire avec les médias sociaux devient aussi un incontournable. L’an dernier, une courte animation (GIF animé) de Justin Trudeau a fait un tabac dans le cyberespace canadien, contribuant à renforcer l’image publique de ce politicien qui mise sur sa vie familiale pour se rapprocher des électeurs et leur inspirer confiance. On l’y voyait exécuter quelques pas de danse avec son épouse, alors qu’il avançait dans les coulisses, à quelques secondes de livrer un important discours. Un instant de complicité intime mêlé de spectacle, du bonbon pour les Facebook, Tumblr et Twitter de ce monde.
1 Guylaine Martel est aussi directrice du Groupe de recherche sur les stratégies de communication à l’oral (Lab-O). ↩
Cibler les bons électeurs
Si les candidats ne ménagent pas leurs efforts pour séduire l’électorat et faire connaître leur programme, ils le font en ciblant des segments de plus en plus restreints de la société. C’est que les électeurs ne se considèrent plus seulement comme des citoyens à la veille d’élire des représentants, mais plutôt comme des consommateurs qui «achètent» des promesses précises, estime Thierry Giasson2, professeur au Département de science politique.
«Depuis le milieu des années 90 et l’abondance de discours antidéficits, un nombre grandissant d’électeurs se considèrent d’abord comme des contribuables, analyse-t-il. Ils cherchent les offres électorales correspondant le mieux à leurs intérêts.» On assiste ainsi à une fragmentation des votants.
Pour affiner la connaissance de leurs différentes cibles et adapter leur discours à ces sous-groupes, les partis politiques ont développé des outils puissants, algorithmes à l’appui. Exercice indispensable dans un système électoral à un seul tour, où le gain de quelques voix peut permettre d’emporter certaines circonscriptions.
Les gourous du marketing politique créent des profils d’électeurs types en croisant des données provenant d’Élections Canada et de firmes spécialisées dans les habitudes de consommation des électeurs. À la fin, ils obtiennent des renseignements très ciblés sur les différentes populations d’une même circonscription électorale, voire d’un même quartier: âge, revenu, origine ethnique, etc.
À ces données statistiques s’ajoutent des entrevues dirigées pour identifier les attentes des électeurs envers des enjeux précis de société, ou même pour tester le vocabulaire approprié pour décrire une certaine réalité. Les éléments tirés de ces rencontres influencent ensuite la façon dont un candidat présentera son programme au groupe ciblé.
Peut-on pour autant accuser les politiciens de promettre tout et n’importe quoi pour séduire un plus grand auditoire? «Non, je ne pense pas, rétorque Thierry Giasson. Chaque parti a son idéologie et le programme n’ira pas à l’encontre de la politique décidée par les membres.»
L’exemple du Parti conservateur
De son côté, le politologue Éric Montigny3 fait remarquer que le faible taux de participation aux élections incite les partis politiques à mobiliser les catégories d’électeurs les plus susceptibles de voter pour eux. «Le Parti conservateur investit beaucoup, et depuis longtemps, dans des bases de données très poussées pour connaître avec précision le profil de leur circonscription et en tirer parti», précise-t-il.
M. Montigny cite l’exemple de Jason Kenney, ministre de l’Emploi et du Développement social et ministre du Multiculturalisme, qui tisse des liens très étroits avec les communautés de nouveaux arrivants depuis fort longtemps. Ou encore, la rencontre programmée entre Stephen Harper et une vedette de Bollywood lors d’un voyage en Inde qui a sans doute contribué à accroître la popularité du premier ministre auprès des électeurs canadiens originaires de ce pays.
2 Thierry Giasson est également directeur du Groupe de recherche en communication politique. ↩
3 Éric Montigny est chargé de cours au Département de science politique et directeur exécutif de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. ↩
Publicité, quelle influence?
La publicité fait également partie des outils de campagne. Diffusés à peu de frais sur certains sites Internet, les messages publicitaires négatifs peuvent facilement devenir viraux grâce aux médias sociaux.
«Les conservateurs sont passés maîtres dans l’art de définir leur adversaire», remarque Éric Montigny en citant le slogan «Not a leader» qui a tant fait mal à Stéphane Dion au tournant des années 2008 ou le célèbre «Just visiting» accolé à Michael Ignatieff lors de la campagne de 2011.
Pénélope Daignault4, professeure au Département d’information et de communication, constate d’ailleurs que le nombre de publicités négatives augmente au fil des campagnes. Sont-elles efficaces? La chercheuse a mené une étude pour en avoir le cœur net. Avec Thierry Giasson et Stuart Soroka, de l’Université du Michigan, elle a soumis une trentaine de volontaires à une batterie de tests cognitifs et physiologiques alors qu’ils visionnaient ce type de publicité.
Résultat: une plus grande attention des auditeurs pour les publicités où abondent des musiques stressantes, des couleurs sombres, un ton théâtral. Par contre, cette étude parue en 2013 dans le Canadian Journal of Communication ne prouve pas que ce genre d’outils de promotion a une influence sur les électeurs. Au contraire, les chercheurs ont constaté qu’après le visionnement, les volontaires réagissaient très fortement au message et développaient de nombreux contre-arguments.
«Il n’existe aucun consensus scientifique sur les effets réels des publicités négatives sur le vote, avance la professeure. En 2012, on a pourtant dépensé au Québec près de 10M$ en publicité, sans avoir aucune idée de la portée d’un tel investissement.»
4 Pénélope Daignault est également membre du Groupe de recherche en communication politique (GRCP). ↩
À la recherche du 2.0
Autre idée reçue déboulonnée: l’influence réelle des médias sociaux sur les campagnes électorales. L’expression «campagne 2.0» donne presque des boutons à Thierry Giasson. «Contrairement à ce qui est véhiculé dans les médias lors des campagnes, il n’y a pas un chat sur Twitter! », affirme le chercheur après avoir sondé, l’hiver dernier, les habitudes de 2021 Canadiens, dont 1800 internautes.
Son étude montre que seulement 4,4% des personnes interrogées suivent des candidats ou des partis politiques sur Twitter, dont une part importante est constituée de 18-29 ans. L’usage politique de Facebook est légèrement plus répandu, 7,1% des personnes sondées étant abonnées à la page officielle d’un parti ou d’un politicien canadien. De quoi dégonfler la réputation de popularité de ces médias en politique…
Faut-il pour autant rayer les médias sociaux des moyens déployés par un parti pour rejoindre les électeurs? Pas du tout, puisque les usagers de Twitter sont des électeurs d’influence, rétorque Thierry Giasson. «Il faut plutôt considérer les médias sociaux comme un outil parmi d’autres, qui s’adresse avant tout aux journalistes, aux partis politiques ainsi qu’à un électorat très engagé et mobilisé.» C’est donc un véhicule idéal pour recadrer des faits et pour adapter le message du candidat aux cibles choisies, estime-t-il.
En réalité, la grande majorité des électeurs continue de s’abreuver aux médias traditionnels, selon les derniers relevés du Centre d’études sur les médias (CEM). En effet, la population consacre encore 80% de son temps d’information à ces médias, et surtout à la télévision, les journaux perdant sans cesse des lecteurs, explique Daniel Giroux5, secrétaire général du CEM. «Au fond, juge-t-il, le bulletin télévisé de fin de journée reste le moyen privilégié par les électeurs pour disposer d’un résumé quotidien du déroulement de la campagne électorale.»
5 Daniel Giroux est aussi chargé de cours au Département d’information et de communication ↩
Publié le 12 novembre 2014
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