Arnaquer Grand-maman
Appels frauduleux, argent envolé, patrimoine liquidé; aux côtés des grands crimes financiers, il y a ceux, plus discrets, qui se jouent dans les chaumières. Souvent silencieuse, l’exploitation financière des personnes aînées n’en est pas moins dévastatrice.
Par Mélanie Larouche
La maltraitance financière envers les aînés touche de nombreuses personnes à différents niveaux et de diverses façons. Devant cette inquiétante problématique, des moyens ont été mis en place pour lever le silence et pour mieux les protéger contre ce type de crime.
Christine Morin, professeure à la Faculté de droit et titulaire de la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés1, s’intéresse de près à la question. En plus du bien-être physique des personnes âgées, elle se préoccupe du respect de leurs droits et de leur patrimoine.
Qu’entend-on par maltraitance des aînés, en particulier la maltraitance financière?
Selon le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022 mis en place par le gouvernement du Québec, elle se définit comme suit: il y a maltraitance lorsqu’un geste singulier ou répétitif, ou une absence d’action appropriée, intentionnelle ou non, se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance, et que cela nuit ou cause de la détresse chez une personne aînée. Dans le cas de la maltraitance financière, on parle d’obtention ou d’utilisation frauduleuse, illégale, non autorisée ou malhonnête des biens ou des documents légaux de la personne, d’absence d’information ou de mésinformation financière ou légale.
Dans quelle mesure le phénomène est-il répandu?
La plus récente étude populationnelle réalisée au Canada pour mesurer la maltraitance envers les aînés remonte à la fin des années 1990. Elle se penchait sur le cas de ceux vivant à domicile, estimant que 7% d’entre eux étaient victimes de maltraitance de la part de leurs proches ou des gens de leur entourage. En chiffres actuels, ce taux représenterait pas moins de 105 000 aînés maltraités au Québec en une seule année, et c’est sans compter ceux vivant en établissement.
Et les abus financiers en tant que tels ?
Les statistiques de 2016 de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) démontrent qu’ils font l’objet de la grande majorité des dossiers de maltraitance envers les aînés. D’ailleurs, le Plan d’action gouvernemental 2017-2022 fait de cet aspect son principal cheval de bataille. Près de 20% des mesures qu’il présente concernent la maltraitance financière.
Enfin, plus près de nous, la Ligne Aide Abus Aînés (Ligne AAA), une ligne provinciale d’écoute et de référence spécialisée dans la maltraitance envers les aînés, a traité près de 29 000 appels depuis sa création en 2010. Selon ses statistiques, 32,7% des situations concernent la maltraitance matérielle ou financière.
Qui abuse financièrement des aînés et quelles sont leurs astuces?
Dans près de 50% des cas, les abus sont perpétrés par des membres de la famille proche. Ce crime est aussi souvent commis par d’autres types de relations: des amis, des voisins, des professionnels, des préposés ou des intervenants.
Les demandes d’argent sous forme de petits dons sont très courantes. Cependant, tant que cela demeure consensuel, et non de l’ordre de l’obligation, c’est tout à fait acceptable. Mais la manipulation et les menaces sont malheureusement fréquentes de la part de membres de la famille ou des proches. Et les gens qui en sont témoins hésitent souvent à intervenir. Ils ne veulent pas envenimer une situation ou mettre fin à des relations qui n’existeraient pas sans la générosité de l’aîné.
Il peut être difficile de tracer une ligne entre l’acceptable et l’inacceptable dans certaines situations, surtout lorsque l’aîné concerné y consent de son gré. Il est permis d’être généreux envers certaines personnes, et rien n’oblige à être équitable; il n’y a pas de loi pour cela! Et si cette générosité entraîne des visites régulières, plusieurs aînés s’en contentent. Mais privilégier ainsi une personne peut éveiller les soupçons ou la jalousie de l’entourage, et la situation peut faire boule de neige.
Et concernant la fraude de la part d’étrangers?
Les fraudes téléphoniques sont très fréquentes. Trop de personnes âgées ont été victimes de cette arnaque, et plusieurs n’ont pas porté plainte, par honte ou par peur du jugement. La pratique est simple: les arnaqueurs se font passer pour un petit-fils ou une petite-fille, ils semblent pressés et paniqués, ils disent avoir besoin d’argent rapidement pour sortir de prison ou se dépêtrer d’une situation urgente. Ils font parler la personne aînée et lui demandent de garder le secret pour sauver la face. Les fraudes sur Internet et les sollicitations par des vendeurs itinérants sont aussi des astuces courantes. Bref, les malfaiteurs exploitent la sensibilité, la méconnaissance et la vulnérabilité des gens.
Quels sont les recours possibles en cas de maltraitance?
Pour l’appuyer dans sa lutte contre la maltraitance envers les aînés, le gouvernement a fait le choix de tabler sur la collaboration de plusieurs milieux professionnels. Adoptée en mai dernier, la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les ainés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité rend maintenant obligatoire le signalement de la maltraitance par tout prestataire de services de santé et de services sociaux et tout professionnel, au sens du Code des professions, pour les personnes hébergées en CHSLD et pour les personnes sous tutelle, curatelle ou dont le mandat de protection a été homologué, quel que soit le lieu où elles résident.
Cette mesure exclut cependant les avocats et les notaires. Ceux-ci sont toujours tenus d’obtenir le consentement de leurs clients soupçonnés de maltraitance s’ils veulent dénoncer ou intervenir d’une quelconque façon face à une situation dont ils sont témoins. Sans cela, ils ne peuvent agir que comme conseillers. Il faut comprendre qu’il est très important de respecter l’autonomie décisionnelle de la personne. Il faut éviter à tout prix de faire de l’âgisme, qui consiste à discriminer la personne sur la base de son âge. La Loi prévoit toutefois la possibilité de lever la confidentialité ou le secret professionnel lorsqu’il y a risque sérieux de mort ou de blessures graves.
Et les institutions financières, ont-elles un rôle à jouer?
Les institutions financières doivent s’ouvrir à cette réalité. Elles ont une politique de non-ingérence, mais doivent faire attention à ne pas faire d’aveuglement volontaire. La Loi les interpelle afin qu’elles fassent preuve d’une plus grande vigilance et mettent en place une politique et des procédures pour lutter contre l’abus financier des aînés.
Cela dit, puisque l’adoption de la Loi est récente, l’ensemble des professionnels et des réseaux concernés sont encore en train de s’organiser pour respecter les mesures qu’elle met de l’avant. Les ordres professionnels établissent les lignes directrices de son application. Les établissements de santé et les résidences pour aînés rédigent des procédures d’intervention et élaborent un cadre réglementaire clair. Ils devront également avoir une politique de lutte contre la maltraitance explicitement énoncée, affichée et diffusée.
Outre la loi, y a-t-il d’autres moyens de se protéger contre cette forme d’abus?
Avant même que la Loi ne soit adoptée, les gens pouvaient faire appel à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Une équipe d’enquête travaille exclusivement sur les crimes envers les personnes âgées. Il est possible de s’adresser au Tribunal des droits de la personne pour récupérer des sommes obtenues indument par un tiers ou même recevoir des compensations financières pour dommages moraux et dommages punitifs.
Enfin, depuis mai dernier, le commissaire aux plaintes et à la qualité des services est chargé d’intervenir lorsque des cas de maltraitance à l’égard de personnes dans un établissement du réseau de la santé lui sont exposés. Concernant ceux envers des personnes vivant à domicile, ce sont les policiers qu’il faut contacter. Dans tous les cas, les dénonciateurs sont protégés par l’anonymat et la confidentialité.
Comment peut-on prévenir la maltraitance envers les aînés?
Déjà, en 2010, le premier plan d’action gouvernemental contribuait à briser le tabou de la maltraitance envers les aînés. Par la suite, les publicités télévisées ont été très efficaces, chaque campagne entraînant une recrudescence des appels à la Ligne Aide Abus Aînés. À l’instar de la protection de la jeunesse ou même de la violence conjugale, ce sont les lois qui ont permis de changer les mentalités. La Loi oblige maintenant à intervenir et à dénoncer les abus envers les aînés. Néanmoins, la sensibilisation demeure la clé du succès dans ce genre de luttes. Les gens doivent savoir que, malheureusement, la maltraitance envers les personnes âgées, ça existe. Les différents aspects de cette problématique méritent d’être étudiés et connus. Et tout le monde doit se sentir concerné.
Publié le 22 novembre 2017
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