4 enjeux du commerce électronique
Devant l’incontournable expansion du commerce en ligne, quels grands défis attendent les consommateurs et les commerçants?
Par Mélanie Darveau et Brigitte Trudel
Les achats en ligne grimpent en popularité. Ils révolutionnent la manière de consommer et de faire des affaires. Entre risques et perspectives d’avenir, des chercheurs de l’Université explorent les pistes de cette économie en plein essor
1- Acheter sans argent
Acheter sans un sou dans les poches. Déjà, le crédit avait ouvert la voie à une consommation facilitée de biens et de services. Le commerce électronique est venu démultiplier cette tendance. Comment? D’abord en délocalisant le magasinage. Avec un ordinateur branché sur Internet, l’activité s’est d’abord pratiquée de chez soi. S’ajoute désormais une diversité de plateformes mobiles, tels les téléphones ou les tablettes, depuis lesquelles acheter. «La polyvalence des modes de paiement et des applications téléchargeables accentue la présence du commerce numérique», constate Sehl Mellouli, directeur du Département de systèmes d’information organisationnels1. Le chercheur cite une enquête du CEFRIO qui révèle qu’en moyenne, chaque mois de l’année 2015, le tiers des adultes québécois (32,2%) a acheté en ligne, ce qui représente 3,8% de plus qu’en 2014. Par ailleurs, 28,5% de ces achats se sont effectués à partir de téléphones mobiles.
Cela dit, même si la tendance croît au Québec, la province accuse un retard assez important en comparaison de l’Europe et des États-Unis, précise Sehl Mellouli. Et du point de vue du consommateur, des défis demeurent au regard de la sécurité, notamment le stockage des données d’achat qui menacent la confidentialité (voir point 3). «La confiance envers le commerçant est également plus difficile à obtenir sur le Web car, bien souvent, on ne sait pas à qui on a affaire», ajoute le professeur.
Par ailleurs, l’émergence des monnaies virtuelles, ou cryptomonnaies, pourrait non seulement révolutionner le commerce en ligne, mais bouleverser le fonctionnement des finances dans le monde, prévient Sehl Mellouli. En quoi consiste ce mode de paiement? Il s’agit d’une monnaie qui se gagne ou s’achète sur le Web, mais qui n’a pas cours légal dans le monde réel.
La plus courante, le bitcoin, a été créée en 2009 par un inventeur inconnu. «Le bitcoin gagne rapidement en popularité parce que, au contraire des autres modes de paiement en ligne, son fonctionnement, sur la base d’une technologie nommée «chaîne de blocs», le rend très sécuritaire, précise le professeur. De plus, comme il repose sur un réseau informatique décentralisé, il fonctionne par autorégulation.» Autrement dit, les échanges de biens et de services se font sans taxes, sans intermédiaires et de façon anonyme. C’est le propre des cryptomonnaies. Et c’est précisément ce qui inquiète les institutions financières: «Une flambée des monnaies virtuelles remettrait en cause l’existence même de la banque centrale, prévient Sehl Mellouli. On leur reproche aussi leur volatilité et leurs finalités d’utilisation qui, c’est vrai, ne sont pas toujours claires. Malgré cela, elles sont en voie d’émerger et leur multiplication est un passage incontournable de l’avenir du commerce électronique.»
1 Sehl Mellouli est aussi directeur du Centre de recherche sur les communautés intelligentes (CeRCI). ↩
2- Et les non-connectés?
Le commerce électronique est peut-être en pleine expansion, mais tous les citoyens n’ont pas accès au Web. Ce phénomène s’appelle «fracture numérique». On estime qu’une personne sur cinq au Québec n’est pas branchée, indique Stéphane Roche, professeur au Département des sciences géomatiques2. Cela dit, parmi les gens qui accèdent à une connexion, certains dépendent du réseau public, des bibliothèques, par exemple. Quand il s’agit de faire des achats en ligne, cela peut faire une différence, car l’option apparaît moins sécuritaire.
La fracture numérique se manifeste aussi par une capacité inégale entre les individus d’utiliser ce genre de support. «Acheter en ligne implique des notions de lecture et de compréhension avec lesquelles tout le monde n’est pas à l’aise. Les personnes moins habiles risquent les erreurs de transaction», note Stéphane Roche.
Le professeur mentionne une autre forme de fracture, celle-là plus subtile. Elle concerne les algorithmes dont se servent les Amazon, réseaux sociaux et consorts pour compiler les données de furetage des internautes sur la Toile. Ces plateformes leur offrent ensuite des produits et des services sur la base de ce qu’elles considèrent comme leurs envies d’achat. Résultat? «Les utilisateurs sont cantonnés dans une offre réduite, comme si les rayons du commerce où ils magasinent rétrécissaient», illustre Stéphane Roche. L’offre diminuant, les possibilités de comparer les produits diminuent également, ce qui bloque le consommateur dans son accès à des options parfois plus judicieuses.
Les commerçants aussi s’en trouvent pénalisés, surtout les plus petits joueurs. «Eux qui, en théorie, devraient pouvoir concurrencer la planète entière grâce au commerce électronique voient leur champ d’action limité. Les algorithmes leur retirent une bonne part de visibilité.»
2 Stéphane Roche est également membre de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société (Institut EDS) et de l’Institut Technologies de l’information et Sociétés (ITIS). ↩
3- Éviter les mauvaises surprises
Les transactions numériques sont monnaie courante, mais les opinions divergent quant à leur sécurité. Où en sommes-nous en matière de protection légale du consommateur quand vient le temps de magasiner en ligne?
Charlaine Bouchard, notaire et professeure à la Faculté de droit3, est catégorique: le consommateur n’est pas bien protégé. «En 2006, il y a eu une importante réforme de la Loi sur la protection du consommateur qui encadrait, entre autres, les achats en ligne, mais on se rend compte aujourd’hui que ces changements sont insuffisants, et pour différentes raisons.»
Tout d’abord, dit-elle, la formulation actuelle des contrats d’achat en ligne, qui comptent parfois une dizaine de pages, est alambiquée et ne permet pas aux consommateurs de donner un consentement éclairé. La plupart font défiler le texte sur leur écran et cliquent «J’accepte» au bas du document, sans vraiment lire ou comprendre les conditions d’achat.
Deuxième risque au commerce numérique: la publicité ciblée, qui porte atteinte à la vie privée du consommateur. En plus d’être très envahissante, elle utilise ses données personnelles afin de lui proposer des produits susceptibles de l’intéresser. Bien que la loi stipule que les organismes qui recueillent ces informations doivent le faire avec le consentement du consommateur, c’est souvent à son insu qu’ils agissent!
En troisième lieu, les différents modes de paiement en ligne n’offrent pas tous le même niveau de sécurité. Pour l’instant, c’est la carte de crédit qui représente l’option la plus sûre grâce, entre autres, à la rétrofacturation. Cet outil de protection permet d’annuler une transaction si le commerçant n’en respecte pas les conditions. C’est alors l’émetteur de la carte de crédit (Visa, par exemple) qui remboursera le consommateur.
Finalement, le consommateur a peu de recours s’il est lésé à la suite d’un achat en ligne. La simple idée d’entamer des procédures judiciaires dans un système engorgé et coûteux suffit souvent à décourager les acheteurs. Selon Charlaine Bouchard, «il faut créer un tribunal d’arbitrage en ligne où le règlement des litiges se ferait par écrit, de manière rapide et peu coûteuse. Certains prototypes existent, mais l’État et l’Office de la protection du consommateur doivent se pencher sérieusement sur la question».
La professeure offre une autre piste de solution: «Le législateur doit encadrer la formation des contrats et les réduire à quelques paragraphes en insistant sur les éléments essentiels et en mettant en exergue les instruments de protection du consommateur comme la rétrofacturation».
3 Charlaine Bouchard est aussi chercheuse au Centre d’études en droit économique (CEDE) et membre du comité scientifique de la revue en ligne Bulletin de droit économique. ↩
4- Des commerces qui osent
Magasiner une paire de jeans ou un ordinateur dans la chaleur de son foyer, confortablement installé, un verre de vin à la main. C’est la possibilité qu’offre le commerce en ligne, et dont profitent de plus en plus de gens. Selon une étude du CEFRIO, 57% des adultes québécois ont acheté en ligne en 2016, pour un total de 8,5G$, une tendance qui n’est pas près de s’essouffler. Dans ce contexte, les plus petits commerces ont-ils avantage à prendre le virage numérique?
«Absolument», croit Yan Cimon, professeur au Département de management4, et pour diverses raisons. Parce que les consommateurs ont pris l’habitude de s’informer sur les produits et de comparer les prix en ligne avant d’acheter, même lorsque cet achat se fait en boutique. Parce que l’offre de magasinage en ligne est grandissante, qu’on pense à Amazon, mais également aux magasins à grande surface et aux chaînes de boutiques qui sont nombreux à offrir cette option. Et, fait non négligeable, parce que les consommateurs sont de plus en plus à l’aise avec les technologies et confiants envers les plateformes de paiement.
La procédure? Cibler les besoins de sa clientèle et définir une offre de produits nichée, miser sur l’expérience en boutique et privilégier une stratégie omnicanal, qui consiste en une optimisation des différents canaux de distribution (boutique, site Web, application mobile, etc.). Des exemples à suivre? Nespresso, qui offre des dégustations de cafés dans ses boutiques au design léché tout en permettant la commande de ses capsules en ligne ou la boutique Kanuk de Montréal qui, en misant sur la vente en ligne, a réduit son inventaire en magasin et y a installé une chambre froide où les clients peuvent tester les manteaux d’hiver à longueur d’année.
«Une bonne utilisation des outils numériques peut, paradoxalement, augmenter l’achalandage en magasin, fait remarquer Yan Cimon. Beaucoup de petits commerçants le savent, mais peu osent prendre ce virage ou ne le font pas de manière efficace. Il importe donc de les encourager à passer à l’action et de les outiller pour y arriver.»
4 Yan Cimon est également directeur du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT). ↩
Publié le 22 novembre 2017
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