4 pistes de recherche pour vaincre l’alzheimer
L’alzheimer est encore aujourd'hui une maladie incurable. Mais de l'immunothérapie à la détection précoce, des solutions se dessinent.
Par Serge Beaucher
«Alzheimer», un mot qui fait presque aussi peur que «cancer». Avec raison! On n’en meurt pas rapidement, mais la longue dégénérescence du cerveau qu’entraîne la maladie est ô combien atroce pour qui en souffre. Perte de mémoire d’abord bénigne, puis de plus en plus incapacitante, jusqu’à ne plus pouvoir parler, ne plus reconnaître personne, ne plus savoir marcher, ni manger, pour finir grabataire, incapable de respirer, dans une profonde absence à soi et au monde.
On ne connaît pas encore précisément les causes de cette dégénérescence, mais on sait que la maladie se caractérise toujours par un enchevêtrement neurofibrillaire dans le cerveau et par des dépôts de protéines qui se forment graduellement autour des neurones, créant des «plaques séniles» contre lesquelles les défenses immunitaires s’avèrent impuissantes. Mais il y a de l’espoir. Partout, des chercheurs s’activent pour trouver des remèdes à cette maladie qui n’est pas une condition obligatoire de la vieillesse. À l’Université Laval, quatre équipes de pointe explorent des avenues tout à fait prometteuses… à long terme.
1- Combattre l’alzheimer par l’immunothérapie
Quand Serge Rivest a proposé au monde scientifique sa théorie sur la possibilité de combattre l’alzheimer à l’aide des cellules immunitaires produites par le malade lui-même, en 2006, il a été accueilli par un scepticisme général. Les microglies, ces cellules immunitaires du système nerveux, contribuent davantage au problème qu’à la solution, croyait-on. On faisait valoir qu’en essayant d’éliminer les dépôts de protéines amyloïdes dans le cerveau –les plaques séniles caractéristiques de la maladie d’Alzheimer–, les microglies provoquent plutôt une inflammation qui fait mourir les neurones.
«Une décennie plus tard, 9 articles scientifiques sur 10 nous donnent raison», se réjouit le professeur du Département de médecine moléculaire et directeur du Centre de recherche du CHU de Québec1. Avec son équipe, Serge Rivest a démontré que si les microglies du cerveau restent effectivement impuissantes à éliminer les plaques séniles formées par les protéines amyloïdes, d’autres microglies sont à même d’y parvenir: celles provenant de cellules souches de la moelle osseuse qui ont migré vers le cerveau. Pour peu qu’on leur apporte de l’aide en augmentant leur production dans l’organisme ainsi que leur efficacité, par un renfort de certains de leurs enzymes et de leurs récepteurs par exemple.
D’autres ressources immunitaires
M. Rivest et ses collaborateurs empruntent aussi une autre voie pour attaquer l’alzheimer à l’aide des propres ressources immunitaires d’une personne: les monocytes de surveillance, des globules blancs qui parcourent les vaisseaux sanguins pour «mettre la dent» sur l’amyloïde vasculaire qui s’y trouve. «Cette amyloïde, qui n’était pas très étudiée auparavant, joue un rôle plus important qu’on croyait dans la maladie, notamment en nuisant à l’oxygénation du cerveau, raconte le chercheur. Avec la microscopie intravitale (réalisée à l’intérieur d’un animal vivant), nous constatons de visu ce rôle néfaste et celui des monocytes qui attaquent les protéines toxiques dans les vaisseaux cérébraux.» Chez les personnes atteintes d’alzheimer, ces monocytes de surveillance sont moins efficaces. Il s’agirait donc, pour les chercheurs, de trouver des façons de les multiplier pour, peut-être, améliorer l’état des patients.
À partir des microglies et des monocytes renforcés, il serait donc possible d’aider les mécanismes de défense naturels du corps à combattre la formation de plaques séniles. Dans ses laboratoires et avec la collaboration de compagnies pharmaceutiques, l’équipe Rivest explore différentes avenues pour synthétiser des molécules capables de jouer ce rôle, dans le but de mettre au point un traitement ou un vaccin qui préviendrait l’alzheimer. Les tests effectués jusqu’à maintenant donnent des résultats encourageants, comme ceux d’autres équipes à travers le monde, d’ailleurs. Mais on est loin du compte, avoue Serge Rivest: «Il faudra encore beaucoup de recherche pour avoir le dessus sur l’alzheimer.»
1 Pour plus d’informations: Centre de recherche du CHU de Québec. ↩
2- Enrayer l’alzheimer par la thérapie génique
Un nouveau champ d’études ouvre des voies inattendues vers la résolution de l’énigme alzheimer. «Environ 90% de la recherche sur cette maladie est focalisée sur les plaques amyloïdes qui se forment autour des neurones et sur les enchevêtrements neurofibrillaires constitués de la protéine tau», explique Sébastien Hébert, professeur au Département de psychiatrie et de neurosciences et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec. Or, selon lui, ces deux lésions du cerveau ne parviennent pas à elles seules à provoquer la mort des neurones et la démence. Un troisième acteur est nécessaire: les microARN, des courtes molécules d’acide ribonucléique découvertes voilà 15 ans à peine chez l’humain. Contrairement au reste de l’ARN de l’organisme, ces micromolécules ne synthétisent pas de protéines, mais elles jouent un rôle régulateur dans l’expression des gènes –notamment de gènes clés dans le fonctionnement cérébral normal. Tout dérèglement des microARN entraîne donc un dérèglement des protéines cibles.
D’où le lien qu’ont établi des chercheurs avec des maladies associées à la production de protéines, comme le cancer ou… l’alzheimer. L’équipe de Sébastien Hébert est présentement la seule au Canada à travailler sur les microARN en lien avec cette maladie du cerveau. Elle a notamment observé que, chez des gens atteints d’alzheimer, les quantités de microARN dans l’organisme sont anormales, parfois en excès, parfois en déficit. Restait à savoir à quelle étape intervient ce dérèglement: en amont ou en aval de la production des plaques amyloïdes et des enchevêtrements neurofibrillaires? Est-ce une cause ou une conséquence de la maladie? Les deux, suggèrent les travaux de Sébastien Hébert. Et, avec son équipe, le chercheur entend intervenir aux deux niveaux, amont et aval.
Ralentir la dégénérescence
Par une thérapie génique, il s’agirait de remplacer les microARN défectueux ou manquants. Sur des souris transgéniques exprimant des caractéristiques de la maladie, l’équipe a réussi à synthétiser et à injecter, directement dans le cerveau, des microARN perdus. Il en a résulté une amélioration de la pathologie et de la mémoire des sujets. Avec des humains, il serait possible de livrer au cerveau les microARN bricolés en laboratoire par une ponction lombaire dans le liquide rachidien, comme l’ont montré des essais menés sur des singes.
Le groupe de recherche s’est associé, l’hiver dernier, avec une entreprise de biotechnologie pour le développement et la commercialisation de traitements de l’alzheimer ciblant les microARN. S’ils commençaient demain, les tests avec des humains pourraient durer de quatre à cinq ans et il faudrait ensuite compter une dizaine d’années pour la commercialisation. Les traitements pourraient peut-être stabiliser la maladie déjà installée ou empêcher qu’elle dégénère, selon Sébastien Hébert. «Mais l’idéal, dit-il, serait un diagnostic précoce pour qu’on puisse effectuer la correction avant que des dommages irréversibles aient commencé à se produire dans le cerveau.»
3- Détecter précocement l’alzheimer pour ralentir son développement
Diagnostiquer la maladie d’Alzheimer chez une personne ne va pas de soi. Les symptômes observés peuvent être caractéristiques de différentes formes de démence ou d’autres pathologies, et il faut parfois recourir à l’imagerie médicale pour exclure ces autres possibilités. Le professeur Simon Duchesne, lui, voudrait qu’on se serve de l’imagerie, non pas pour écarter des causes possibles, mais pour cibler directement ce qui peut être de l’alzheimer, au moyen de biomarqueurs dans le cerveau. Les recherches menées avec ses collaborateurs du Département de radiologie et médecine nucléaire et de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec2 montrent qu’on pourrait diminuer de moitié le taux d’erreur des diagnostics (de l’ordre de 20% actuellement) tout en offrant la possibilité de détection précoce, soit une quinzaine d’années avant même l’apparition des symptômes. «Si nous pouvions détecter aussi longtemps d’avance des anomalies indicatrices d’alzheimer dans le cerveau, dit-il, nous serions dès lors à même d’intervenir avec de bien meilleures chances d’enrayer le développement de la maladie.»
Les marqueurs que cherche M. Duchesne ont trait à la taille et à l’apparence de certaines parties du cerveau, lesquelles diffèrent entre des personnes saines et des personnes touchées par l’alzheimer ou d’autres maladies neurodégénératives. Pour déceler ces différences, il a fallu monter une immense banque de quelque 40 000 images cérébrales obtenues par résonance magnétique (IRM) et fournies par diverses équipes de recherche en Amérique du Nord et en Europe.
Près de 3000 de ces images proviennent de cerveaux d’adultes en bonne santé, permettant de déterminer les variations normales selon l’âge, le sexe et le volume crânien et servant de point de comparaison avec les images de cerveaux qu’on sait atteints. «À partir des différences constatées, nous avons créé un modèle numérique capable de quantifier automatiquement l’écart d’un cerveau par rapport à la norme selon les variables individuelles», explique Simon Duchesne. Ce résultat chiffré ne permet pas à lui seul de poser un diagnostic, mais lorsque transmis au médecin par le radiologiste, il vient en appui à l’analyse des symptômes sur le plan cognitif.
La technologie est déjà disponible auprès d’une entreprise cofondée par Simon Duchesne3, qui travaille maintenant aussi avec un autre type d’imagerie: la tomographie par émission de positons, laquelle permet de scruter une molécule précise et donc de voir directement les dépôts de protéines amyloïdes caractéristiques de l’alzheimer. «C’est une nouvelle facette de nos travaux pour nous rapprocher du but, à savoir détecter la maladie dès ses premières manifestations dans le cerveau.»
2 Simon Duchesne est aussi membre du Consortium pour l’identification précoce de la maladie d’Alzheimer – Québec (CIMA-Q). ↩
3 Le Consortium d’imagerie en neurosciences et santé mentale de Québec (CINQ), dont il est également le directeur scientifique. ↩
4- Jouer sur les facteurs qui favorisent la maladie
Il n’est pas encore possible de modifier les composantes génétiques d’une pathologie comme l’alzheimer, mais les facteurs environnementaux impliqués, eux, sont modifiables. En connaissant mieux ces facteurs, on peut développer des stratégies pour minimiser les risques. Voilà ce qui motive le professeur Frédéric Calon dans ses recherches à la Faculté de pharmacie, à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) et au Centre de recherche du CHU de Québec4.
Avec les membres de son équipe, le chercheur s’intéresse notamment aux oméga-3, ces acides gras très présents dans la matière cérébrale, dont une carence peut se répercuter sur la santé. Les travaux du groupe ont montré, par des tests avec des souris, que les oméga-3 contribuent au bon fonctionnement d’une région cérébrale importante pour la mémoire et peuvent avoir plusieurs résultats bénéfiques pour le cerveau. «Je ne suis pas sûr qu’ils puissent inverser le processus d’un alzheimer déjà installé, convient Frédéric Calon, mais ils ont possiblement un effet protecteur lorsque intégrés à l’alimentation avant le déclenchement de la maladie.» À l’inverse, comme l’ont aussi démontré les études du groupe, un régime riche en gras saturés, à l’occidentale, favoriserait le développement de la maladie en augmentant la concentration de protéines amyloïdes et de protéines tau dans le cerveau, deux facteurs associés à la démence.
Également liés au mode de vie, l’obésité et le diabète constituent d’autres facteurs environnementaux impliqués dans la maladie d’Alzheimer, qui favorisent eux aussi la production de protéines amyloïdes et de protéines tau. Le diabète et l’alzheimer se nourrissent même l’un l’autre, ont constaté les membres de l’équipe: chez la souris, l’accumulation d’amyloïde est accompagnée d’une résistance à l’insuline –caractéristique du diabète– et un défaut de production d’insuline par le pancréas favorise une accumulation d’amyloïde.
Une petite laine
L’une des découvertes récentes de l’équipe Calon a trait à la thermorégulation. Avec le vieillissement vient une baisse du métabolisme, donc une diminution de la température corporelle. Les études du groupe, sur des souris toujours, ont révélé qu’une réduction de la température ambiante suffisamment importante pour diminuer la température corporelle peut accélérer les manifestations de la maladie, tandis qu’une température plus élevée peut, au contraire, avoir un effet bénéfique. Les solutions sont faciles à imaginer: exercice, habillement plus chaud, simple réglage du thermostat, mais aussi médicaments qui stimulent le mécanisme thermorégulateur du corps.
Beaucoup d’avenues restent à explorer pour surmonter cette maladie que les chercheurs attaquent de tous côtés. Les pistes génétiques sont encourageantes, mais celles des facteurs environnementaux le sont tout autant, estime Frédéric Calon. «Vraisemblablement, dit-il, on pourra un jour mieux traiter l’alzheimer. Reste qu’il faudra toujours d’abord tenter de l’éviter par un meilleur contrôle des facteurs externes.»
4 Pour plus d’informations: Centre de recherche du CHU de Québec et INAF ↩
Publié le 16 novembre 2016
Publié le 6 novembre 2020 | Par Kevin
Publié le 21 novembre 2016 | Par Frederic Calon
La prévalence globale de l’alzheimer augmente principalement à cause de l’âge de la population, car les études récentes indiquent plutôt une incidence qui diminue, sans doute à cause d’une meilleure prise en charge des risques cardiovasculaires (hypertension, cholestérol-LDL, diabètes…) et d’autres facteurs de risque.
L’idéal pour les oméga-3 est de viser au moins 500 mg par jour. On peut généralement atteindre ce but en mangeant 2-3 portions de poisson par semaine ou en utilisant des huiles végétales avec omega-3. Des suppléments peuvent aussi aider à compléter.
Publié le 19 novembre 2016 | Par Murray Henley
Quant à la cause fondamentale de l'alzheimer, elle serait liée à une déficience en cholestérol, une molécule essentielle à la régénérescence cellulaire...
Curieusement, la maladie d'Alzheimer est en forte augmentation depuis que les prescriptions de statines se sont généralisées pour réduire le cholestérol...
Publié le 19 novembre 2016 | Par Éric Tremblay
Merci,
Éric Tremblay
Publié le 18 novembre 2016 | Par Liliane
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