Regards sur la société
Publié le 15 janvier 2013 | Par Simon Langlois
Une vie de plus en plus compliquée
La vie quotidienne contemporaine est devenue complexe, prenante, exigeante, stressante même. Nous avons tous l’impression de manquer de temps pour faire tout ce que nous avons à faire et pour concilier les divers aspects de nos vies: travailler, se déplacer, s’occuper de ses enfants, s’entraîner, soigner un proche, voir ses amis, consulter son médecin, faire son ménage, cuisiner, laver ses vêtements, se divertir, étudier, lire, chercher l’âme sœur, visiter ses parents, aller au chalet, gérer ses courriels, lire ses textos, clavarder, écouter la télé et… consommer une quantité croissante d’objets et de services.
Cette énumération est incomplète et chacun pourra ajouter à la liste d’autres activités qui font pression sur sa vie. Le magazine L’actualité vient de publier un intéressant dossier sur la question: «Et si on se simplifiait la vie?». On y apprend que les entreprises travaillent à simplifier l’usage des objets –pensons aux écrans tactiles des appareils électroniques–, mais aussi «que la vie se complexifie à la vitesse grand V». Deux tendances qui vont en sens inverse. Les journalistes Annick Poitras et Mélanie Saint-Hilaire citent quelques-uns de mes propos, mais je voudrais profiter de ce billet pour développer davantage ma pensée sur cet important enjeu qui nous touche tous.
Je distinguerai les facteurs exogènes et endogènes, ce qui nous est extérieur et ce qui résulte de nos choix de vie. Du côté extérieur, il y a l’offre des entreprises. Par exemple, l’arrivée d’Internet et des appareils de communication ont changé nos manières d’établir des relations sociales. Du côté endogène, l’achat d’une maison en banlieue ou d’un chalet à la campagne implique une mobilité dans l’espace et un emploi du temps différents de l’emploi du temps ou de la mobilité de la personne qui reste locataire au centre-ville.
La simplicité des objets
Les objets incorporent une compétence technique, un savoir programmé. L’écran tactile est extraordinaire, car c’est le doigt qui commande tout. La reconnaissance de la voix humaine par les ordinateurs a aussi énormément progressé. Cela n’est pas sans poser de nouveaux problèmes, car des robots parlants peuvent maintenant nous téléphoner et nous dire où aller voter, ou encore où ne pas (!) aller voter comme ce fut le cas lors de la dernière élection fédérale. Autre exemple: la manière de faire des sondages a changé radicalement puisque tout se fait maintenant sur un site Internet, avec une grande fiabilité. On attend cependant encore la simplification de l’usage de la télévision et des télécommandes!
Si les objets ont tendance à se simplifier, leur multiplication contribue par contre à rendre la vie plus compliquée.
La complexité du choix
Le dossier de L’actualité insiste avec raison sur l’augmentation des possibilités de choix, qui brouillent les repères. Il est devenu difficile de se retrouver dans les gammes offertes, les modèles disponibles et les niveaux de qualité des objets et des services. Certaines grandes chaînes (Macy’s aux É.-U.) ont même ouvert des magasins plus petits limitant l’offre de produits afin de faciliter la vie de l’acheteur. L’achat d’un téléphone mobile et le choix d’un serveur requièrent le recours à une expertise-conseil. L’offre de bons vins s’est aussi accrue avec l’arrivée de nouveaux pays producteurs et les maisons d’édition publient des milliers de romans parmi lesquels il est difficile de se retrouver. L’offre télévisuelle a aussi explosé: séries américaines, téléromans nationaux, films, reportages, émissions d’informations, canaux spécialisés.
La sollicitation des possibles
Une autre dimension doit être soulignée: celle de la multiplication des activités potentielles qui s’offrent à nous. La sollicitation extérieure est devenue pléthorique, surabondante. À partir des années 1980, l’Internet a ouvert un nouveau champ de possibles pour le divertissement, l’éducation, l’information, le travail, la sociabilité. Les manières d’occuper les temps libres se sont aussi multipliées: chalet, bateau, séjour dans un gîte, visite culturelle dans une autre ville, voyage annuel à New York, vacances dans le sud, ski en hiver, pêche en été, etc. Comme notre mode de vie est sédentaire et que notre alimentation est riche, il est recommandé de nous entraîner dans des fitness centers spécialisés. La majorité des individus ne fréquentent plus l’Église, mais les groupes d’entraide, les sectes ou encore les psychologues ont pris le relais pour soigner le mal être d’un nombre important de personnes. La majorité des étudiants travaillent en parallèle à leurs études. Étudier n’est plus seulement un mode de vie à temps complet et la participation au marché du travail commence tôt.
Exigences nouvelles des choix de vie
Les choix de vie sont aussi source de complexité et impliquent des exigences nouvelles. Nous avons moins d’enfants qu’autrefois, mais les enfants d’aujourd’hui exigent davantage de leurs parents: suivi plus serré des apprentissages scolaires, activités sportives et culturelles, hockey à l’aréna le samedi, etc. L’État diffuse même une publicité nous enjoignant de lire avec notre enfant en bas âge. L’augmentation de l’espérance de vie oblige les enfants adultes à avoir des relations de sociabilité et des relations d’aide avec des parents vieillissants sur une plus longue période. Le divorce et les recompositions d’unions conjugales compliquent les relations de sociabilité et les relations familiales. D’autres choix de vie ont aussi des conséquences sur la qualité de la vie. Établir sa famille plus loin en banlieue impliquera une augmentation du temps passé dans les transports et sur les autoroutes.
Deux contraintes: l’argent et le temps
Il ressort de l’énumération faite plus haut que la diversité grandissante des possibles nous oblige à faire des choix, parfois difficiles. On ne peut pas tout faire ni être partout. Mais outre l’abondance des possibles, deux autres facteurs interviennent et sont source de frustration: le manque d’argent et le manque de temps. Il y a plus de choses à faire, mais l’argent est compté et le temps est contraint.
Une partie des classes moyennes est marquée par la croissance des aspirations à consommer, mais elle doit faire face à la stagnation de ses revenus de marché, ce qui ne manquera pas d’entraîner une hausse du sentiment de privation. Mais c’est surtout le manque de temps qui va de plus en plus s’imposer comme contraignant, au point où il n’est pas rare d’entendre des retraités avancer qu’ils… manquent de temps! En effet, le revenu discrétionnaire (celui qu’on peut dépenser une fois satisfaits les besoins de base) continue d’augmenter, mais le temps disponible restera limité, puisque la journée n’aura toujours que 24 heures.
Les sociologues et les économistes ont montré que la manière de gérer le temps devra désormais être prise en compte comme nouvelle source d’inégalité devant la consommation et dans l’analyse des activités quotidiennes. Les plus riches pourront en effet «acheter du temps» jusqu’à un certain point (faire faire le ménage, acheter des plats cuisinés, etc.). Le dicton d’autrefois deviendra plus pertinent que jamais: le temps, c’est de l’argent.
J’explorerai plus avant dans les semaines à venir certaines idées et affirmations trop rapidement esquissées dans ce billet. Comment la communication entre les personnes change-t-elle dans ce nouvel environnement? La complexité décrite plus haut n’a-t-elle pas aussi des côtés positifs? Quelle est l’empreinte écologique de la multiplication des objets qui nous entourent? Qu’en est-il du sentiment de bien-être?
Haut de page
Publié le 4 février 2013 | Par Simon Langlois
Publié le 3 février 2013 | Par Michel Després
Je ne sais pas si vous allez aborder le sujet plus en détail dans les semaines à venir, mais les récentes études sur le temps et surtout la géographie du temps (voir notamment les travaux de Robert Hassan et Nigel Trift) soulignent une autre dimension cruciale, mais souvent omise, dans les questions de gestion du temps «Le temps, ce n'est pas seulement de l'argent, c'est aussi de l'espace!». La notion d'espace-temps fait son chemin en sociologie, surtout par rapport aux questions d'urbanisme. Quelques chercheurs travaillant sur le territoire se rendent compte à ce sujet qu'une des variable majeure expliquant les problèmes de gestion du temps d'individus est leur localisation résidentielle, et les distances qu'ils doivent parcourir quotidiennement pour effectuer leur activités (travail, épicerie, école des jeunes, etc.). Par exemple, plusieurs familles vivant en banlieues périphériques sont devenues entièrement dépendantes de l'automobile et passent une partie impressionnante de leur journée simplement en transit d'un lieu à l'autre, surtout si ces familles ont des enfants pour lesquels les parents doivent faire le «taxi».
Plusieurs innovations technologiques, notamment les appareils mobiles comme les téléphones intelligents, cherchent à transformer ces temps de transit «morts», où par exemple une personne ne fait que conduire d'un point A à un point B, en des temps «substances» pouvant être utilisés pour travailler, communiquer, jouer, etc. Tout temps d'attente peut ainsi potentiellement devenir «rempli» pour quelqu'un équipé d'un appareil mobile, ce qui peut considérablement changer la façon qu'ont les individus d'organiser leur «budget-temps», notamment en permettant à ceux-ci de fragmenter leurs activités en périodes de 15 minutes tout au long de la journée. Je m'intéresse notamment aux effets, positifs et néfastes, de ces «mutations tranquilles» du mode de vie dans le cadre de ma maîtrise. Donc, tout futur billet portant sur ce sujet m'intéressera.
Merci pour votre bon travail, M. Langlois. Je ne commente pas souvent, mais j'apprécie toujours de lire vos billets.
Publié le 22 janvier 2013 | Par Josée Nadeau
Publié le 15 janvier 2013 | Par Valérie
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet