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Photo de Simon Langlois

Unanimes pour la satisfaction des besoins fondamentaux

Il existe au Québec un très large consensus sur l’idée que, pour qu’une société soit juste, la couverture des besoins fondamentaux –en matière de logement, de nourriture, d’habillement, de santé, d’éducation– doit être assurée pour tous ses membres. Cette idée emporte l’adhésion de plus de 90% des répondants à l’enquête sur le sentiment de justice que nous avons menée (voir le premier billet de cette série). Il en va de même dans d’autres sociétés comparables, bien que les proportions soient parfois moins élevées qu’au Québec, société marquée par un sentiment égalitariste poussé. Ainsi, dans l’enquête française comparable à la nôtre, la réponse à une question identique sur la nécessaire couverture des besoins de base emporte l’adhésion de 85% des participants à l’enquête.  

 

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Optimiser le sort des membres les plus défavorisés 
L’énoncé de la question se lisait comme suit: «Pour qu’une société soit juste, elle doit garantir à chacun la satisfaction de ses besoins de base (nourriture, logement, habillement, santé, éducation, etc.)». Non seulement le degré d’accord avec cette question est-il très élevé, mais notre analyse ne révèle aucune différence dans tous les sous-groupes que nous avons distingués: âge, langue parlée, sexe, revenu, profession, etc. La couverture des besoins de base est donc une norme acquise en matière de justice sociale et son acceptation est généralisée.

Ce résultat empirique est important, car il sert d’indicateur (nous en examinerons d’autres plus tard) d’un large accord sur le fait que la société doit optimiser le sort de ses membres les plus défavorisés et non seulement «créer de la richesse». La création de richesse et le développement sont nécessaires, la chose est généralement admise, mais cette création doit aussi profiter à tous, selon une large majorité, et non seulement au célèbre 1% de la population situé au haut de l’échelle socioéconomique. Bien entendu, cette conclusion générale exigera d’être appuyée, pour être valide, sur d’autres analyses que nous ferons en temps et lieu, mais il importe déjà de souligner l’absence d’opposition à la norme portant sur la satisfaction des besoins de base à assurer pour tous.

Critique de l’utilitarisme classique                                                        
L’utilitarisme classique (auquel se réfèrent souvent mes collègues économistes) est muet sur la répartition du bien-être entre les membres de la société, car ce qui importe dans la formulation radicale de ce postulat est la somme totale de bien-être (mesurée par une moyenne, par exemple) quelle que soit la manière dont elle est répartie. Ainsi, on rapporte presque tous les jours dans les médias bon nombre de tels indicateurs, sous le mode de moyennes –«le taux de croissance économique sera de 2% cette année»–, alors que la distribution devrait aussi être prise en compte. Cette croissance ne profite-t-elle qu’à ceux qui sont en haut? Qu’en est-il des démunis? de la classe moyenne? des familles avec enfants?

Lorsque les gens évaluent la justice, les enquêtes montrent qu’ils ont aussi en tête une référence claire à la distribution de la richesse et non seulement une référence à la quantité totale produite. L’analyse de l’indicateur que nous abordons dans ce billet le confirme.

De la norme à la réalité                                                                                         
S’ils approuvent en très forte majorité la norme de la satisfaction des besoins fondamentaux, les répondants sont par ailleurs beaucoup moins nombreux à estimer qu’elle s’applique en réalité. En effet, seulement un peu plus de la moitié d’entre eux (51,3%) estiment que «au Québec, les besoins de base sont assurés à chacun», selon l’énoncé de la question. Cette fois, des différences entre divers sous-groupes se manifestent. 

Les femmes se montrent plus critiques que les hommes (44% d’accord avec l’énoncé contre 58% chez les hommes). Les différences entre les sexes sont plus prononcées que celles observées entre les autres sous-groupes distingués dans l’enquête et elles persistent toutes choses égales par ailleurs (en contrôlant diverses caractéristiques personnelles). Ce résultat est important et il confirme que les femmes et les hommes n’évaluent pas la justice, tant sur le plan normatif que dans leur perception de la réalité vécue, de la même façon. Les femmes sont plus sensibles aux inégalités, notamment en matière de conditions de vie, de santé et d’éducation, un résultat qui apparaît dans les analyses publiées dans les billets précédents de cette série (1, 2, 3 et 4) et qui se confirmera dans les prochains qui sont en préparation.

Une première explication tient sans doute au fait qu’elles sont davantage impliquées dans la sphère privée (travail domestique, gestion du foyer au quotidien, soin des enfants) et qu’une partie d’entre elles occupe des emplois en lien avec le service aux personnes (infirmières, enseignantes, travailleuses sociales, etc.), ce qui les rend attentives aux inégalités et à la non-satisfaction des besoins. L’enquête française révèle elle aussi d’importantes différences entre les sexes. Il faudra y revenir plus tard dans nos analyses.

Par ailleurs, les répondants à l’enquête font généralement abstraction de leur situation personnelle dans leur évaluation du niveau de satisfaction des besoins de base au sein de la société québécoise. Ainsi, l’âge, le type de ménage ou la langue parlée au foyer ne sont pas discriminants. Quelques exceptions apparaissent cependant dans certains sous-groupes précis, puisque les individus qui en font partie extrapolent et portent un jugement à partir de leur propre situation. C’est le cas notamment des personnes qui ont le statut socioéconomique le plus faible; ainsi, les chômeurs (42%), les personnes dépendantes de l’aide sociale (43%) et celles qui ont la scolarité la plus faible (45%) estiment en moindre proportion que les besoins de base sont couverts. De leur côté, les répondants membres des ménages ayant les revenus les plus élevés (100 000$ et plus) jugent en plus forte proportion que les besoins de base sont couverts (57%). Ces derniers sont donc moins sensibilisés au fait que les besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits de manière généralisée.

Un autre sous-groupe, numériquement restreint cependant, se démarque: les personnes nées en dehors du pays, qui sont d’avis en proportion plus élevée que les besoins de base sont satisfaits au Québec. Pour ce sous-groupe, qui comprend sans doute des individus ayant vécu des problèmes personnels importants dans leur pays d’origine, le Québec parait une société prospère qui prend soin de ses citoyens. Ces personnes, au même titre que les plus démunies ou les plus favorisées, jugent la satisfaction des besoins de base dans la société à travers leurs propres lunettes.

Une représentation générale partagée de la justice                                         
Un résultat général ressort de l’analyse des réponses aux deux questions posées sur la satisfaction des besoins de base. Les Québécois ont une représentation générale et partagée de la couverture des besoins sociaux, importante pour la cohésion sociale. Cela est particulièrement évident sur le plan normatif, sur le plan de l’idéal à atteindre en société. Il y a une sorte d’accord presque unanime à reconnaître l’importance de bien couvrir les besoins de base des individus quels qu’ils soient. Cette représentation partagée et générale guide aussi l’évaluation qui est faite de la situation réelle, mais il existe un accord divisé (une personne sur deux) sur le fait que l’idéal normatif souhaité n’est pas réalisé. Par ailleurs, les personnes susceptibles d’être les plus touchées par une couverture non adéquate des besoins de base sont plus critiques dans leur évaluation –un résultat attendu– alors que les personnes les plus riches perçoivent en moindre proportion que les besoins de base sont non couverts.

Représentation générale partagée de la justice plutôt que stricte expression des intérêts définis dans sa position socioéconomique ou calque de sa situation personnelle: telle est l’hypothèse générale qui se dégage de l’examen des deux indicateurs explorés plus haut. Des exceptions compréhensibles se manifestent, notamment au sein des couches les moins favorisées, quant à l’application réelle de la norme souhaitée par tous, mais il est permis de poser que c’est la représentation sociale commune qui l’emporte. Il faudra bien entendu attendre la suite des analyses portant sur bien d’autres aspects de la justice sociale avant de confirmer ou d’infirmer la justesse de cette conclusion.

La suite dans les prochains billets.

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  1. Publié le 14 août 2013 | Par Ndiamé

    La photo n'est pas représentative du Québec d’aujourd’hui. Elle n'est pas cohérente avec le texte qui incorpore des données portant sur des personnes nées hors du Québec.

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