Propos d'un écoloquace
Publié le 23 septembre 2014 | Par André Desrochers
La tomate parfaite
En cette saison d’abondance de fruits et de légumes frais de la région, j’aimerais partager un épisode, hélas, trop fréquent dans mon quotidien, et probablement dans le vôtre aussi: celui de la dame qui cherche la tomate parfaite à l’épicerie. Je dis «dame», car je n’ai pas encore eu l’occasion de voir un homme faire cela même si, en principe, ce comportement ne devrait pas être supprimé par le chromosome Y. Vous savez, cette dame, donc, qui prend littéralement chaque fruit dans ses mains et l’examine obsessivement avant de décider si l’objet en question est digne de son panier.
Cette attitude me choque ou du moins me rend perplexe. Je comprends bien qu’un poivron, une banane ou un raisin «sans faille» est bien plus agréable que son voisin maculé ou bossu, mais en même temps, mon sens citoyen m’interpelle quand je suis devant un étalage. Le citoyen en moi dit: «Pense aux autres, pense au gaspillage.» et dirige ma main vers le fruit le plus près. Je me surprends parfois même à aborder l’infatigable cliente, lui faisant remarquer qu’elle ne trouvera pas la tomate parfaite, car elle n’existe pas. Évidemment, une telle remarque ne règle rien, suscitant au mieux un regard vide ou encore la moue fréquente à Sainte-Foy, que ma colorée compagne appelle aussi «sourire par en bas».
Le pire dans tout cela, c’est que, dans de nombreuses occasions, les produits sélectionnés avec soin sur l’étalage finiront tout de même à la poubelle. Vous connaissez peut-être le syndrome du réfrigérateur boulimique, qui fait qu’on oublie les aliments au fond des tablettes jusqu’à ce que certains relents nous rappellent leur existence… Ou encore, comme nous rapportait récemment l’humoriste Louis-José Houde (ici à 1 m 16), le cas de ces fameuses herbes fraîches qu’on nous vend en bouquets et dont on n’utilise finalement que quelques brins pour satisfaire les caprices de la dernière recette de Ricardo.
À cause, entre autres, de cette sélection excessive sur les étalages et d’une insouciance généralisée dans la gestion du contenu de notre réfrigérateur, 1/3 de la production mondiale d’aliments finirait à la poubelle, selon la Food and Agriculture Organization (FAO)1, et 1/3 de ce gaspillage serait dû à la mauvaise apparence des fruits et des légumes concernés. Bien sûr, il existe de grandes différences dans les chiffres selon le pays où l’on vit. La Chine, la Corée et le Japon seraient les plus grands gaspilleurs alimentaires.
Et ce n’est pas tout. Il existe un gaspillage à la source des aliments non prélevés sur le terrain. Toujours selon la FAO, le gaspillage mondial des aliments correspondrait à une superficie cultivée comparable à celle du Canada. Personne ne connaît réellement les conséquences de ce gaspillage sur la biodiversité. Mais on imagine beaucoup plus de perdants que de gagnants, vu l’homogénéisation et la simplification des paysages agro-industriels et vu la quantité de fertilisants et de pesticides qu’on y répand. Dans son rapport, la FAO estime que la consommation d’eau liée à ce gaspillage serait de 250 km3! On pourrait aussi chiffrer ce gaspillage en termes d’énergie consommée inutilement ou en équivalent carbone. Je vous laisse le plaisir de faire le calcul, si vous êtes du genre à tout réduire aux gaz à effet de serre.
Déchétarisme
Bien sûr, le zèle esthétique de la dame de Sainte-Foy au sourire par en bas et la boulimie du réfrigérateur ne font pas que des perdants. De nombreux animaux et fonctions de l’écosystème s’approprient sans doute la manne des aliments laissés pour compte, souvent récupérés pour le compostage ou la production de nourriture pour les animaux. Et pour la consommation humaine aussi, par l’entremise des centaines de banques alimentaires du Québec, par exemple. Plus informellement, depuis la nuit des temps, des humains peu fortunés s’adonnent à la récupération des aliments délaissés.
La pauvreté extrême reculant sans cesse dans le monde2, on pourrait imaginer que cette forme de récupération est en déclin. Pas tout à fait, du moins dans les pays développés: depuis quelques années, la récupération d’aliments «passés date» a pris des allures de mouvement politique, le déchétarisme. Selon une étude menée à Minneapolis, aux États-Unis, près de 1 personne à faible revenu sur 5, surtout des hommes, serait déchétarienne3. Bien sûr, plusieurs de ces personnes pratiquent le déchétarisme par nécessité plutôt que par choix. Quoiqu’il en soit, ces personnes «gratuivores» représentent l’opposé de la cliente zélée de l’épicerie. Elles plongent littéralement dans les conteneurs à déchets afin d’y trouver des joyaux alimentaires délaissés. Et elles le font généralement pour consommation personnelle, pas pour la revente!
Dans son joyeux mépris des conventions, le gratuivore militant fait du choix des produits alimentaires un enjeu politique, donnant ainsi des airs nouveaux et socialement acceptables à cette vieille pratique. Il profite de ce qu’il reste d’inefficacité dans la gestion de la péremption des produits alimentaires d’épicerie, faisant du même coup un pied de nez au consumérisme. Simplicité volontaire, écologisme à outrance, appelez cela comme vous voulez, je trouve ces activistes plutôt sympathiques, pour autant qu’ils ne jugent pas à outrance les consommateurs ordinaires et paresseux comme moi.
Un déchétarien militant me disait récemment qu’il existe une certaine «écologie» de cette activité, impliquant un mélange de compétition et d’échange d’informations entre les utilisateurs, qui se partagent les conteneurs les plus prisés. De leur côté, les commerces fournisseurs ont des attitudes variées envers la récupération, allant de l’empêchement au déchétarisme (par exemple, par l’épandage de poison ou d’ammoniac) à son encouragement.
Bien malin celui qui sait comment évolueront le gaspillage alimentaire et ses à-côtés comme le déchétarisme. On imagine que la tendance sera en déclin, du moins sur une base individuelle, car tout ce gaspillage, du légume délaissé sur le champ au buisson de coriandre qui finit à la poubelle en passant par la dame en quête de la tomate parfaite, engendre des pertes économiques sans doute importantes.
Est-ce que le déclin du gaspillage se fera par une meilleure sensibilisation des consommateurs? Par une réglementation plus stricte de la part de nos gouvernements? Permettez-moi d’en douter. Je miserais plutôt sur la compétition entre les intervenants aux diverses étapes du cycle de vie des aliments, de la graine semée à l’étalage à l’épicerie. Les commerces ont tout intérêt à réduire ces pertes, et ils y travaillent sans doute déjà. Mais il est encore loin le jour où toutes les tomates sur l’étalage seront parfaites, et je ne suis pas sûr, de toute manière, que ce soit souhaitable. D’ici là, je vais me réserver le plaisir d’apostropher régulièrement ces névrosées qui ont les mains partout dans les étalages…
1 www.fao.org/docrep/018/i3347e/i3347e.pdf ↩
2 www.worldbank.org/content/dam/Worldbank/document/State_of_the_poor_paper_April17.pdf ↩
3 Eikenberry, N. and C. Smith. 2005. «Attitudes, beliefs, and prevalence of dumpster diving as a means to obtain food by Midwestern, low-income, urban dwellers». Agriculture and Human Values 22:187-202. ↩
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site internet http://xitio.fr/qui-sommes-nous/lagence-xitio-les-expert-en-trafic-organique/
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http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Glaneurs_et_la_Glaneuse
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