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Photo de Simon Langlois

Radiographie sociale de Montréal

La stratification sociale de la ville de Montréal est typique de la modernité avancée, et les classes sociales de la métropole ont profondément changé dans la 2e moitié du 20e siècle. La classe ouvrière n’y occupe plus une place centrale alors qu’une grande variété d’emplois et de professions caractéristiques de l’ère postindustrielle est apparue, exigeant un diplôme acquis dans le système d’enseignement postsecondaire largement développé dans les villes.

Montreal

Les statuts sociaux et les rapports de classes changent plus rapidement dans les villes, entraînant le reste de la société. Par leur taille, elles sont en effet de véritables laboratoires pour l’étude de la stratification sociale. Sur ce plan, Montréal présente des particularités uniques. La présence d’une importante minorité anglophone soulève la question des différences linguistiques au sein des classes sociales. Par ailleurs, Montréal est une ville très diversifiée sur le plan ethnique parce que la grande majorité des immigrants québécois s’y sont installés, ce qui en fait un milieu privilégié pour étudier la stratification sociale selon l’origine culturelle. C’est là un angle nouveau qui s’impose dans les travaux sur cette question partout dans le monde développé.

Ce premier billet portera sur la structure sociale d’ensemble de Montréal. Le prochain examinera la stratification sociale selon le sexe des personnes actives sur le territoire montréalais. Les suivants aborderont la stratification selon la langue, puis selon l’ethnicité. Ces billets donneront une sorte de radiographie sociale, une vue d’ensemble des statuts sociaux, dans la ville qui célèbre son 375e anniversaire de fondation.

Le tissu urbain montréalais
Il importe d’abord de bien délimiter la population étudiée. Les limites de la ville de Montréal ont maintes fois changé depuis 1642. Au fil des années, Montréal est devenue le centre d’un vaste espace urbain qui s’étend en dehors de l’île et regroupe plusieurs villes en étroite interdépendance. La ville centre et les banlieues proches forment en fait un seul tissu urbain dont les éléments sont en interaction sur les plans du travail, de la consommation, de la vie quotidienne et de la sociabilité.

Pour les spécialistes, ce grand espace urbain constitue la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal. Celle-ci compte aujourd’hui 4,1 millions d’habitants, soit 51% de la population du Québec. Les deux tiers de ses habitants résident à Montréal et dans les autres villes de l’île, ainsi qu’à Laval et à Longueuil. Le territoire de la RMR s’étend sur la rive nord du Saint-Laurent jusqu’à Saint-Jérôme. Dans ce billet, nous parlerons indistinctement de Montréal et de la RMR de Montréal pour désigner notre unité d’analyse.

Les strates sociales
Les lecteurs familiers avec mes billets précédents reconnaîtront l’approche que j’ai proposée pour caractériser la structure sociale à partir des données des recensements. Voici les 9 strates sociales, aussi appelées classes sociales pour des raisons expliquées dans l’un de mes billet1:

  1. Cadres supérieurs
  2. Cadres intermédiaires et directeurs
  3. Professions libérales et autres
  4. Professions intermédiaires
  5. Techniciens
  6. Employés de bureau
  7. Employés dans la vente
  8. Employés dans les services
  9. Ouvriers et cols bleus

Le tableau qui suit donne la distribution des personnes actives pour chacune des strates sociales de la région montréalaise et son évolution entre 1991 et 2011 (dernière année disponible).

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L’économie du savoir, cœur de la modernité avancée de Montréal
La stratification sociale de la RMR de Montréal possède les traits d’une société postindustrielle et d’une société inscrite dans la modernité avancée. Elle est bien différente de la stratification typique de la société industrielle d’autrefois au sein de laquelle dominaient les emplois du monde ouvrier. La nouvelle stratification sociale reflète d’abord l’importance de l’économie du savoir.

En effet, environ 42% des emplois qui se trouvent dans les 5 premières strates sociales que nous avons dégagées exigent un diplôme postsecondaire (collégial ou universitaire), comparativement à 30% en 1991. C’est le cas pour les cadres supérieurs, les cadres intermédiaires, les professionnels, les professions intermédiaires et les techniciens.

La croissance des effectifs dans ces 5 grandes strates sociales a été rendue possible par le développement considérable du système d’éducation québécois. Plus on monte au sein de la hiérarchie des strates, plus le diplôme prend de l’importance. Ainsi, le diplôme universitaire est généralement requis pour les membres des professions intermédiaires, des professions libérales et autres ainsi que pour les cadres intermédiaires et supérieurs, alors que l’accès à la strate des techniciens exige un diplôme d’études collégiales dans la majorité des cas.

La démocratisation de la fréquentation scolaire a joué un rôle important en favorisant la mobilité sociale ascendante d’un grand nombre de fils et de filles d’origines modestes. Donnons un exemple: la création de la Caisse de dépôt et de placements du Québec dans les années 1960 a ouvert de nouvelles possibilités de carrière à des techniciens en administration, à divers types de professionnels (en finances, en droit, en comptabilité, en gestion, etc.) et à de hauts dirigeants grâce à leurs diplômes. De même, la mise en place de cette institution et sa croissance ont été rendues possibles par le développement du système d’éducation québécois qui a produit les diplômés requis.

Nouvelle hiérarchie organisationnelle
Une autre observation tirée de ces données est l’avènement d’une nouvelle hiérarchie organisationnelle au sein de la société québécoise. La croissance des organisations est en effet un trait typique de la modernité avancée. Bien entendu, les organisations existent depuis longtemps, et Max Weber (1864-1920) avait déjà bien perçu qu’elles occuperaient une place de plus en plus centrale dans l’économie et le système social. En témoignent, au Québec, la forte croissance des appareils de l’État, la création des universités et des collèges, la mise en place des hôpitaux, la montée des banques et des diverses institutions financières, le développement des grandes sociétés privées (CGI, Bombardier, etc.) et parapubliques (Hydro-Québec, etc.), l’établissement de grandes coopératives, l’extension de la fonction publique dans les villes ou encore la croissance des industries culturelles (nouveaux médias, Cirque du Soleil, etc.).

Les grandes organisations ne survivraient pas sans l’apport des connaissances des diplômés qui y travaillent. Les types d’emplois se sont multipliés au sein des organisations qui continuent d’engager des employés et des travailleurs manuels, certes, mais aussi un nombre toujours croissant de cadres moyens, de gestionnaires, de techniciens, de nouveaux professionnels, sans oublier les hauts dirigeants. La montée de la bureaucratie et des organisations a ainsi contribué à la mutation macrosociale des classes et des statuts sociaux.

Examinons de plus près les données sur Montréal. La strate des cadres supérieurs comprend les dirigeants des grandes entreprises, les hauts cadres administratifs, les propriétaires de grandes entreprises, etc. On peut estimer à environ 45 532 le nombre de cadres supérieurs (dont 27,4% de femmes), et cette classe représente 2,4% du total des personnes actives en 2011 contre 2% 20 ans plus tôt.

La strate des cadres intermédiaires est numériquement plus importante, avec 3,2% du total des positions sociales. La part des femmes est plus élevée dans cette strate avec 45,3% du total, et elles sont plus proches de la parité avec les hommes aux échelons intermédiaires des organisations (nous analyserons plus en détail les rapports de genre dans un prochain billet). Cette strate sociale comprend les directeurs de service dans les entreprises privées et les différents appareils étatiques, les administrateurs ou encore les propriétaires et les chefs d’entreprise de taille moyenne. En regroupant les 2 premières strates, on observe que 5,6% des personnes actives à Montréal sont impliquées dans la gestion et l’encadrement à un niveau élevé de responsabilité.

La diversité des professionnels
La 3e strate sociale regroupe tous les professionnels, et son poids compte pour 9,8% dans l’ensemble. Cette strate s’est beaucoup diversifiée à la suite du développement du système universitaire et elle comprend les professions libérales, les professions en sciences pures et appliquées, les professions en sciences sociales et en sciences humaines, les professions du secteur culturel et des communications ainsi que les professeurs d’université.

Cette strate sociale joue un rôle central dans l’économie du savoir. Les professionnels travaillent dans les centres de recherche, dans les organisations, dans l’enseignement, dans l’administration. Ils animent la vie culturelle et offrent des services spécialisés et de haut niveau en santé, en éducation et en services divers aux personnes et aux entreprises.

Les classes moyennes au cœur de la cité
Plusieurs strates sociales forment le noyau dur des nouvelles classes moyennes qui, loin d’être en déclin à Montréal, ont fortement augmenté leurs effectifs.

Tout d’abord, un bon nombre d’emplois typiques des classes moyennes se trouve classé sous le chapeau des professions intermédiaires, qui exigent un diplôme postsecondaire. Celles-ci comprennent les infirmières, les enseignants du primaire et du secondaire, les employés spécialisés en administration et en gestion des ressources humaines, le personnel spécialisé en services sociaux, par exemple. La place occupée par cette strate compte pour 8,5% au sein de la structure sociale de Montréal et elle est dominée par les femmes. Les professions intermédiaires en administration y sont en progression, ce qui comprend les adjoints de direction, les agents de programmes, les spécialistes des services aux entreprises, etc.

La montée des techniciens dans différents secteurs d’activité –la santé, l’informatique, les communications, le travail de bureau ou l’administration, sans oublier l’industrie et le secteur de la construction– constitue un changement majeur dans la stratification sociale, et ces techniciens ont fortement contribué à la croissance des classes moyennes. Ils représentent maintenant la 1re strate sociale en importance à Montréal avec 341 490 personnes en 2011, devant les ouvriers.

Classes populaires, classe ouvrière
Ceci dit, la ville compte aussi plusieurs strates sociales typiques de la longue période d’industrialisation. Montréal a conservé un bon nombre d’ouvriers et de travailleurs manuels et s’y trouve aussi une forte présence d’employés dans la vente et les services qui forment le noyau des classes populaires montréalaises. La taille d’une grande métropole entraîne avec elle la création de milliers d’emplois et de positions exigés par une organisation sociale complexe et une division du travail plus poussée que dans les petites villes ou en milieu rural. Pensons seulement à l’organisation des transports au sein de la ville. Dès le début du siècle dernier, le sociologue Max Weber avait souligné, avec raison, l’importance de la consommation marchande et du commerce qui a fait des villes des lieux de convergence et de rencontre de populations diversifiées, entraînant par conséquent la création d’emplois inexistants ailleurs.

Les années 1950 à 1980 ont été celles d’un âge d’or pour les emplois de bureau, majoritairement occupés par des femmes. À cette époque, les organisations bureaucratiques exigeaient un grand nombre de personnes affectées au travail de bureau. Avec l’avènement de l’informatique et de la bureautique, des milliers de postes de secrétaires et de dactylos ont disparu en quelques années. Ainsi, l’importance relative de la strate des employés de bureau à Montréal a décliné, passant de 18% du total en 1991 à 12,1% en 2011, une diminution considérable en 20 ans.

Le grand Montréal est un important lieu de consommation marchande et de services. Les employés dans la vente et dans les services aux personnes –typiques du mode de vie urbain– y sont nombreux, comptant pour 15,2% et 13, 1% des postes dans la structure sociale d’ensemble, ce qui représente en les combinant un peu moins de 30% du total. Leur importance relative a peu changé au cours des 20 dernières années. Cela s’explique par le fait que la société de consommation marchande est bien implantée à Montréal depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Il en va de même pour les emplois dans les services personnels, dont la croissance a été influencée par l’arrivée des femmes sur le marché du travail dans le dernier tiers du 20e siècle.

Déclin de la classe ouvrière
L’un des changements les plus marquants dans la structure sociale montréalaise est la poursuite du déclin de la classe ouvrière et la forte diminution des emplois de cols bleus. En 20 ans seulement, le poids de cette classe est passé de 24,3% à 17,6% de l’ensemble sur le territoire de la RMR de Montréal. Mais on aurait tort de conclure trop rapidement à sa disparition, car celle-ci reste numériquement très importante, le nombre de ses membres passant de 400 107 personnes en 1991 à 322 518 en 2011.

La figure typique du travailleur de la classe ouvrière est celle de l’ouvrier dans les usines d’assemblage et de transformation. C’est encore la catégorie la plus nombreuse à Montréal dans le monde ouvrier (86 000  travailleurs en 2011), mais sa part a diminué, tout comme celle des manœuvres et des ouvriers non qualifiés.

Dans cette strate, 2 catégories socioprofessionnelles ont nettement gagné en importance, soit celle des métiers de la construction et celle des métiers liés aux transports. La croissance de la population et le développement urbain ont en effet entraîné un essor important de l’industrie de la construction, nécessitant du coup l’ajout d’une plus grande force ouvrière dans divers métiers spécialisés (charpentiers, peintres, menuisiers, électriciens, etc.) et l’apport d’un plus grand nombre de manœuvres sur les chantiers. De même, la délocalisation de la production industrielle des biens durables et des biens de consommation courante à l’extérieur du pays a eu un effet direct sur la croissance très forte de l’industrie du transport dont les effectifs ont augmenté. Cette hausse s’explique aussi par le développement des transports en commun, qui a nécessité davantage d’employés. La croissance du parc automobile a eu une forte incidence sur l’emploi en milieu ouvrier, entraînant une hausse du nombre de mécaniciens et autres métiers affectés à la réparation mécanique et à l’entretien des véhicules de tous types.

La nouvelle stratification sociale
La croissance des effectifs dans les diverses classes sociales supérieures a donné à la structure sociale montréalaise un caractère ouvert vers le haut au fil des dernières décennies. La taille des classes moyennes s’est accrue et s’est diversifiée avec la croissance de nouveaux types d’emplois typiques d’un grand milieu urbain.

Une bonne part des employés de bureau, des employés dans la vente et dans les services ainsi que des ouvriers font aussi partie des classes moyennes. Mais dans leur cas, les revenus tirés du marché (salaires et rémunérations des travailleurs autonomes) sont sous pression, ce qui a alimenté les craintes de déclassement et les inquiétudes en leur sein. Les employés de bureau, les employés dans la vente et dans les services ainsi que les ouvriers –qui ont constitué le cœur historique des classes moyennes depuis leur émergence dans la seconde moitié du 20e siècle– ont plus de difficultés à maintenir leur niveau de vie et à satisfaire les besoins nouveaux qui caractérisent le mode de vie typique au centre (voyage dans le Sud l’hiver, autos neuves, maison de banlieue, etc.). Les 2 revenus, dans la majorité de ces ménages, compensent en partie la faible croissance des revenus individuels dans ces catégories d’emplois.

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Ce billet est le 1er d’une série. Pour lire les autres:

2. Les femmes changent le visage de Montréal

3. Structure sociale de Montréal: des traces du clivage linguistique

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  1. Publié le 6 mars 2017 | Par Rémy Auclair

    Très intéressant votre billet. Au risque de me répéter, il aurait été très intéressant de traiter du clivage indépendants/salariés. Une partie substantielle de la population active montréalaise doit également être composée de travailleurs indépendants. Avec l'imposition de la Classification nationale des professions de Statistique Canada, il devient très difficile de traiter de cette réalité.

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