Regards sur la société
Publié le 7 mars 2017 | Par Simon Langlois
Les femmes changent le visage de Montréal
Je poursuis mon analyse de la stratification sociale dans la grande région de Montréal en considérant la place que les femmes y occupent. Soulignons qu’elles ont toujours joué un grand rôle à Montréal depuis l’arrivée de Jeanne Mance et de Marguerite Bourgeoys, au 17e siècle.
La féminisation de l’emploi est l’un des traits les plus marquants de la mutation du tissu social de Montréal, où le nombre de femmes actives en 2011 (918 595) est presqu’à égalité avec le nombre d’hommes (978 575). J’examinerai d’abord comment les femmes se distribuent entre les diverses strates sociales. Suivra ensuite l’examen du taux de présence féminine dans ces dernières.
Des femmes dans toutes les strates sociales
Les femmes sont réparties assez également au sein des différentes strates sociales en 2011 (dernières données disponibles), ce qui n’était pas le cas lors de leur entrée massive sur le marché du travail: vers la fin des années 1960-1970, elles se concentraient dans des secteurs d’activité comme l’enseignement, la santé, la vente ou les services aux personnes.
La diversité des positions sociales que les femmes occupent s’est accentuée entre les années 1991 et 2011 dans la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal. Au total, 6 grandes strates sociales sur les 9 distinguées se partagent chacune entre 9,5% et 18% environ des effectifs féminins (2e colonne du tableau). La présence des femmes s’est accrue dans les échelons moyens et élevés de la hiérarchie sociale, parallèlement à la régression de leur présence dans les emplois de bureau et chez les ouvrières.
Au total, la proportion de femmes dans la population active de Montréal a augmenté de 22% entre 1991 et 2011 –passant de 754 800 à 918 595 personnes–, mais cette augmentation a été nettement plus forte chez les cadres supérieurs (92%), chez les cadres intermédiaires (59%), chez les professionnels (103%) et chez les techniciens (106%). Les avancées des femmes sur le marché du travail se sont largement concentrées dans de bons emplois qui requièrent en grande majorité un diplôme collégial ou universitaire plutôt que dans les secteurs plus traditionnels dans lesquels les femmes travaillaient auparavant.
Les techniciennes dominent
La strate sociale dominante chez les Montréalaises est désormais celle des techniciennes, dont le poids est passé de 11% en 1991 à 18,7% en 2011, suivie de près par celle des employées de bureau qui, de son côté, a diminué en proportion, passant de 30,3% en 1991 à 18,1% du total en 2011. Un changement sur une aussi courte période est notable. Le travail de bureau a en effet profondément changé avec le déclin des postes en secrétariat et la croissance des postes de techniciennes en administration et en bureautique. De même, les femmes occupent de très nombreux postes dans diverses techniques, notamment en santé et en services aux personnes.
Les femmes montréalaises continuent d’être fortement représentées chez les professionnelles intermédiaires (infirmières, enseignantes, etc.), dont l’importance relative est passée de 9,7% du total à 12,7% entre 1971 et 2011.
Par ailleurs, depuis 1991, les femmes sont restées présentes dans les mêmes proportions au sein de 2 strates sociales, soit les employées dans la vente et les employées dans les services (entre 15% et 16% environ sur toute la période). Enfin, la présence des femmes au sein de la classe ouvrière a fortement décliné, passant de 10,2% du total en 1991 à seulement 5,5% 20 ans plus tard.
Revenus, pouvoir et prestige en hausse
Considérons maintenant le taux de féminisation dans les diverses strates sociales. La présence des femmes est moins forte chez les cadres supérieurs (27,4% de femmes) en 2011, mais elle a fait des progrès indéniables chez les cadres intermédiaires où les taux sont plus élevés et proches de la parité avec les hommes (45,3%) chez les professionnels (47,1%), chez les professionnels intermédiaires (72,2%) et chez les techniciens (50,3%).
La féminisation notable des programmes d’études à l’université et dans les collèges a joué un rôle important dans l’accès des femmes aux positions sociales supérieures. Elle leur a ouvert les portes d’emplois au sommet de la hiérarchie sociale leur conférant de meilleurs revenus, plus de pouvoir et davantage de prestige. Les femmes ont ainsi complètement modifié le paysage de la stratification sociale. À l’exception de la strate sociale des cadres supérieurs et de celle des ouvriers, les femmes ont atteint la parité avec les hommes dans les 7 autres strates que nous avons distinguées, dominant 2 d’entre elles (les professionnels intermédiaires et les employés de bureau). Elles sont devenues une composante très importante des classes moyennes.
Il faut cependant préciser que les femmes sont encore sous-représentées dans de larges secteurs d’emplois au sein de ces 9 strates sociales (chez les ingénieurs ou les informaticiens, par exemple). Par ailleurs, il existe toujours des catégories socioprofessionnelles très féminisées (l’enseignement, la garde d’enfants) et d’autres à dominante masculine (en milieu ouvrier, par exemple).
Une analyse plus fine révèle la persistance et les traces de la division sexuelle du travail, mais cette dernière prend maintenant place au sein même des classes sociales, les femmes n’étant plus confinées à certaines d’entre elles comme par le passé. C’est là un changement remarquable. L’analyse de cette division du travail que nous avons proposée dans des billets précédents1 portant sur la stratification sociale dans l’ensemble du Québec s’applique sans nul doute à Montréal.
Une exception: le sommet de la hiérarchie sociale
Malgré de grands progrès, les femmes sont toujours moins représentées au sommet de la pyramide sociale. Au total 4,3% d’entre elles se trouvent dans les 2 strates sociales les plus élevées contre 6,7% des hommes. Il faut toutefois noter une nette tendance à la féminisation au sein de ces 2 dernières. Les femmes comptent en effet pour 27,4% des cadres supérieurs contre 19,1% en 1991. En revanche, la progression de leur présence a été beaucoup plus forte chez les cadres intermédiaires et dans les postes de direction, où elles représentent 45,3% du total (contre 32,1 % en 1991). Les femmes sont donc devenues des rouages importants dans les fonctions de direction au sein des organisations, mais elles n’ont pas encore atteint la parité avec les hommes au sommet de ces dernières. Quelques éléments explicatifs ont été proposés dans des billets précédents, en particulier dans Pourquoi si peu de femmes chez les cadres supérieurs?
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Prochain billet: Fin du clivage linguistique dans la stratification sociale montréalaise
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Ce billet est le 2e d’une série sur la mutation sociale de la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal de 1971 à 2011. Pour lire le premier billet:
1. Radiographie sociale de Montréal
1 Voir le billet Structuration sociale: place aux femmes et les autres billets de la série sur la mutation sociale radicale du Québec. ↩
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