Regards sur la société
Publié le 25 janvier 2017 | Par Simon Langlois
Québec se rapproche de Montréal
Québec est encore largement perçue comme «une ville de fonctionnaires» dans l’imaginaire social. Cette image ne correspond plus vraiment à la réalité: la capitale ressemble de plus en plus à Montréal, du moins sur le plan de la stratification sociale. Ce dernier terme, typique de la sociologie, caractérise la distribution hiérarchisée des diverses professions et des emplois occupés par la population active sur le marché du travail.
La recherche que je mène actuellement sur la stratification sociale révèle ce rapprochement Québec-Montréal. L’État québécois demeure un important employeur dans la capitale, mais le marché du travail y est maintenant très diversifié, comme c’est le cas dans la métropole. Le tissu urbain des 2 villes se ressemble de plus en plus, même si celles-ci demeurent fort différentes à d’autres égards, notamment quant à la composition ethnique et à la composition linguistique de leurs populations. La convergence de leurs structures sociales respectives est cependant à souligner, comme le montrent les données du tableau ci-dessous.
Cette analyse porte sur les 2 grandes Régions métropolitaines de recensement (RMR) de Montréal et de Québec, soit les villes-centres et leurs banlieues immédiates qui incluent les municipalités de la rive sud dans les 2 cas. Ces RMR forment des tissus urbains relativement bien intégrés, comme l’indique la lourde circulation sur les ponts dans les 2 cas aux heures de pointe! Neuf grandes strates sociales sont distinguées dans cette comparaison.
Les échelons supérieurs
Commençons par l’examen des échelons supérieurs de la hiérarchie des emplois, soit ceux des cadres supérieurs (présidents de société, grands propriétaires, recteurs et vice-recteurs d’université, juges, etc.) et des cadres intermédiaires (directeurs de succursale bancaire, par exemple). Ceux-ci sont plus nombreux dans la RMR de Montréal (5,6%) que dans celle de Québec (4,7%). Les grandes entreprises, les institutions culturelles et de haut savoir ou encore les sièges sociaux sont en effet plus présents dans la métropole, ce qui se traduit par une part plus élevée des positions sociales de prestige et de pouvoir.
La capitale tire quand même son épingle du jeu, et une part importante de sa population active entre maintenant dans cette catégorie des hautes positions de pouvoir. Les positions élevées dans la fonction publique dominent à Québec, c’est un fait, mais on y trouve aussi une élite des affaires plus importante qui contribue au rapprochement de la capitale avec la métropole.
Les 2 grandes RMR comptent par ailleurs la même proportion de professionnels (9,8%). Ceux-ci ne se limitent plus seulement aux professions libérales traditionnelles –avocats, médecins, etc.–; s’y trouve maintenant un ensemble varié de nouvelles professions en sciences sociales, en sciences de la santé, en ingénierie, en informatique, en affaires culturelles, etc. Le tissu social de la ville de Québec est, sur ce plan, aussi varié que celui de Montréal.
Québec, ville typique de la classe moyenne
Montréal et Québec se ressemblent par l’importance relative de 2 strates sociales qui constituent le cœur des nouvelles classes moyennes, soit les professionnels intermédiaires et les techniciens. S’y trouvent les enseignants, les infirmières et toute la variété des nouveaux techniciens en informatique, en administration, en nouvelles technologies et en emplois scientifiques diversifiés, soit autant d’emplois caractérisant la modernité avancée.
Ces emplois typiques des nouvelles classes moyennes sont directement issus de la révolution scolaire, puisque la majorité requiert une formation collégiale et une partie d’entre eux une formation universitaire de 1er cycle. Ils constituent ce qu’on peut appeler les fractions supérieures des classes moyennes. Celles-ci ont en effet bien changé au cours du dernier demi-siècle. Dans les années 1950 et 1960, les ouvriers qualifiés et les employés syndiqués des grandes entreprises dominaient dans ce groupement social du centre. Mais avec le déclin des emplois industriels et la baisse du pouvoir de négociation des syndicats, l’accès aux classes moyennes est devenu plus difficile sans la certification des connaissances, c’est-à-dire un diplôme collégial ou universitaire de 1er cycle.
Il ressort de mes données que les fractions supérieures des classes moyennes –celles qui requièrent une scolarisation postsecondaire– dominent davantage dans le tissu social de la région métropolitaine de Québec. Leur part dans l’ensemble est plus marquée, surtout à cause du poids des techniciens en administration travaillant dans la fonction publique québécoise. Mises ensemble, les 2 strates sociales comptent pour 30,1% dans la RMR de Québec et pour 26,5% dans la RMR de Montréal.
Les professionnels intermédiaires et les techniciens constituent de nos jours le cœur des classes moyennes supérieures dans les grandes villes, au Québec comme ailleurs dans le monde développé.
Les employés, fractions inquiètes des classes moyennes urbaines
Il faut cependant souligner qu’une part importante de la population active des RMR de Montréal et de Québec se trouve toujours dans 3 grandes strates sociales, soit les employés de bureau, les employés dans la vente et les employés dans les services. Ces 3 strates sociales ont au total à peu près le même poids dans les 2 milieux urbains (autour de 40%). Soulignons cependant que les employés dans la vente ont une présence un peu plus forte à Montréal, pôle commercial plus important que Québec.
Les personnes travaillant dans ces 3 strates sociales se trouvent aussi en bonne partie au sein des classes moyennes, mais elles éprouvent davantage de difficultés à maintenir la consommation marchande typique de ces dernières, leur niveau de vie et leur style de vie (maison de banlieue, 2 enfants, 2 autos, 1 semaine de vacances dans le sud l’hiver, etc.). C’est dans ce groupement social que se concentrent les inquiétudes maintes fois diagnostiquées au sein des classes moyennes et la peur du déclassement social.
Déclin de la classe ouvrière
La taille de la classe ouvrière a régressé à Québec bien avant Montréal. Il y a plusieurs années, la capitale a vu disparaître bon nombre d’entreprises industrielles dans les secteurs mous (le vêtement, la chaussure, les textiles, par exemple) alors que l’emploi dans des secteurs comme les pâtes et papiers ou les chantiers navals a périclité par la suite. La forte croissance des emplois au sein de la fonction publique québécoise, dans la foulée de la Révolution tranquille, a par ailleurs fait reculer la place relative de la classe ouvrière dans la région de la capitale.
Montréal a aussi connu de son côté un fort déclin des emplois ouvriers dans la seconde moitié du 20e siècle. Cela dit, la classe ouvrière est plus fortement présente à Montréal qu’à Québec, car la métropole compte de grandes industries qui ont mieux résisté à la délocalisation de la production et aux changements technologiques.
En 2011, la part de la classe ouvrière comptait pour 17,6% de l’ensemble de la structure sociale de Montréal et pour 16,1% de celle de Québec.
Sur fond de convergence, les traces du passé subsistent
Bien entendu, les régions métropolitaines de Montréal et de Québec restent différentes par leur taille et, surtout, par la composition ethnique et linguistique de leurs populations respectives.
Par contre, il ressort de cette analyse qu’il existe une assez grande similitude dans la structure sociale qui caractérise la métropole québécoise et la capitale nationale, alors qu’elles étaient passablement différentes sur ce plan jusqu’au milieu du 20e siècle. Il y a nettement une convergence entre les 2 milieux urbains.
Les traces du passé subsistent cependant sur ce fond de convergence. Ainsi, les classes moyennes occupent une grande place dans la capitale, alors que le tissu social de la métropole est davantage contrasté avec, d’un côté, une part plus grande d’ouvriers et, de l’autre, une proportion plus élevée de cadres supérieurs et intermédiaires. Autrement dit, Montréal conserve les traces de son passé industriel tout en demeurant un grand centre financier et administratif, alors que Québec est typiquement une ville dans laquelle les classes moyennes occupent une place centrale.
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