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Photo de André Desrochers

Population humaine: jusqu’où aller?

Publié en mai dernier, le dernier best-seller du romancier Dan Brown a fait jaser la blogosphère. Intitulé Inferno, son roman raconte les périls de la croissance de la population humaine en passant par une intrigue se jouant principalement à Florence, en Italie. Je ne l’ai pas lu, mais il me donne une belle occasion de parler de cette question incontournable: combien devrions-nous être d’humains sur Terre?

Foule

État de la situation
Je vais vous épargner l’éternel graphique d’accroissement de la population humaine en fonction des siècles, que vous avez sans doute vu lorsque vous étiez au secondaire ou au cégep. Graphique illustrant une courbe de la variété «bâton de hockey» à peu près aussi horrifiante qu’une photo de Marilyn Manson montrée sans avertissement. Disons simplement qu’en commençant la rédaction de ce billet, la population humaine était estimée à 7 179 003 4651 et qu’autour de 40 000 humains se sont ajoutés le temps que je termine. Et je n’ai même pas fait de pause pour dîner! 40 000 cerveaux ou 40 000 bouches de plus selon les points de vue, voilà qui résume bien le débat sur l’accroissement de la population humaine.

Malthus avait raison
Au 19e siècle, l’économiste britannique Thomas Malthus avait jeté les bases de la réflexion sur l’accroissement de la population. Deux, quatre, huit, seize… Exponentiel, cet accroissement devait tôt ou tard créer une famine puisque les moyens de production alimentaire croissent de manière plus linéaire, donc beaucoup plus lentement.

C’est vrai qu’avec une technologie préindustrielle telle que vécue par Malthus, la Terre n’aurait pu abriter que quelques centaines de millions d’humains et, très vite, l’humanité se serait retrouvée dans la même situation qu’une population de bactéries dans une boîte de Petri. Si, en théorie, Malthus avait fondamentalement raison, en pratique, il avait grossièrement sous-estimé la capacité d’adaptation et d’innovation des humains, tout comme nous continuons de sous-estimer celle des organismes vivants en général2.

Crier au loup
Le malthusianisme et le retard de sa réalisation ont suffi pour faire gonfler ce débat dans les années 60 et jusqu’à ce jour. D’un côté de l’arène, l’écologiste Paul Ehrlich3 et ses acolytes, annonçant inlassablement la catastrophe dans des best-sellers subtilement intitulés The Population Bomb et  The Population Explosion. De l’autre côté, l’économiste Julian Simon4 et ses fidèles, défiant les lois de la thermodynamique en claironnant que tout va bien et qu’il y a de la place pour tout le monde, ad infinitum. Je caricature à peine. Hélas pour Paul Ehrlich, dont j’ai longtemps été un fan fini, ses projections s’avèrent systématiquement fausses, au point où il est devenu la risée des tenants du statu quo (c.-à-d. la croissance de l’entreprise humaine). J’en suis arrivé au point où je ne l’écoute que lorsqu’il parle de sa réelle spécialité: les papillons.

Quantité et qualité
A-t-on raison de se préoccuper de l’accroissement de la population humaine? Sans doute: on se préoccupe bien de la tendance des stocks de morues, des bélugas et des caribous, alors pourquoi pas de nous-mêmes? La Chine l’a fait et y a donné suite. Ses efforts peuvent être critiqués quant à la manière, mais cela a fonctionné. Pour aller plus loin, au niveau global et pour chaque nation, on devrait naturellement se poser la question: «Combien devrions-nous être?» Cette question est, hélas, un des plus grands tabous de l’humanité. Je me souviens que posée trop directement, elle avait failli faire dérailler la conférence du Caire sur la population et le développement en 1994. À ce moment, les représentants des grandes religions avaient largement contribué à réduire cette conférence à l’insignifiance totale, donnant raison au regretté journaliste Christopher Hitchens quand il disait que «la religion empoisonne tout»5.

Mais au-delà de toutes ces considérations, à quoi sert de disserter sur le nombre optimal d’humains si l’on ne tient pas compte d’une question obligatoirement préalable: quel niveau de vie matériel devrait-on juger minimalement acceptable pour un humain? Dans son monumental Tragedy of the commons6, Garrett Hardin avait bien compris cet impératif. Se souvenant des équations différentielles, il savait qu’on ne pourrait pas maximiser deux fonctions en même temps: le nombre d’humains et le bien-être de chacun, qui se traduit inévitablement dans l’empreinte écologique que nous laissons.

Au fil de décennies de discussions avec des personnes généralement intelligentes, j’en suis venu à la conclusion qu’avant de perdre sa salive sur la question de la population, on doit d’abord se demander quel niveau de vie serait jugé minimalement essentiel et souhaitable pour les Terriens?

Car, voyez-vous, si l’humanité entière s’entendait pour dire qu’il est très bien de vivre en toge de lin et en flip-flops dans une hutte ou une tour à condos de 50 étages en renonçant à la consommation de viande, aux voyages et aux autres joies de la modernité, notre planète pourrait sans doute abriter 25 milliards d’humains. Mais juste comme ça, pourquoi voudrions-nous être 25 milliards? Si vous aimez les foules, pourquoi pas, direz-vous. Il y en a de l’espace: les 7,2 milliards d’humains en date d’aujourd’hui pourraient loger sur un terrain de 85 km x 85 km, et même moins en se tassant… rien de bien extravagant. Bon, OK, ajoutons un peu de place pour la bière et les blocs sanitaires, reste que cela laisse beaucoup d’espace libre sur la planète (pour cultiver le riz et le lin évidemment, et au diable les autres espèces).

À l’opposé, si nous étions «juste» 100 millions, il serait probablement possible pour chacun de se rendre au travail en jet, avec un bon T-bone grillé pour agrémenter le quotidien, le tout selon les préceptes du développement durable, comme disait un de mes étudiants. La vie de jet set, quoi!

Avant de déterminer si nous sommes actuellement trop sur terre ou pas, il faudrait donc nous entendre sur ce qu’il faut, matériellement, pour qu’une vie humaine vaille la peine d’être vécue. Il faudrait aussi nous entendre sur l’écart de niveau de consommation jugé tolérable entre riches et pauvres de cette planète. Car l’utopie égalitaire ne se produira pas. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais quelque chose me dit que l’humanité ne s’entendra jamais sur ces questions. Alors on fait quoi? «C’est quand qu’on va où?», comme disait Renaud dans une de ses chansons.

La bonne nouvelle
Sans reléguer les écologistes aux oubliettes, on constate que la science de la croissance démographique humaine est de plus en plus une science sociale. Dans cette communauté, les démographes ont avancé qu’une «transition démographique» pourrait régler le problème de l’accroissement de la population humaine. Ce concept élégant explique la stabilisation d’une population par un déclin du taux de mortalité suivi d’un déclin du taux de natalité, à la suite d’une modernisation de la société (éducation, santé, infrastructures, recul de la tyrannie religieuse, etc.). Les tenants de l’idéologie néo-libérale mettent plutôt l’accent sur la création de la richesse, mais le résultat est le même. La mortalité recule grâce aux avancées technologiques, la natalité recule en raison du choix des parents. La bonne nouvelle, c’est que cette transition démographique n’est pas juste une théorie: elle a réellement lieu et plus rapidement qu’on aurait pensé, avec pour résultat un taux d’accroissement de la population se rapprochant rapidement de la cible (zéro):

World-population

Source: http://www.census.gov/population/international/data/idb/worldgrgraph.php

Tout cela se produit en l’absence de consensus ou de règles contraignantes sur ce qu’est un niveau de vie optimal, ou encore un niveau de population optimal. Moi qui ai longtemps été un défenseur de l’intervention de l’État vis-à-vis la stabilisation de la population, je me retrouve de plus en plus séduit par la philosophie du «laissez-faire». Peut-être qu’au final, les questionnements sur le niveau de vie souhaitable et la taille optimale de la population demeureront des lubies intellectuelles. Qu’en pensez-vous?

 

1 http://www.worldometers.info/world-population/

2 Voir mon billet «Cessons de sous-estimer la faune»

3 Spécialiste des papillons, Université de Standford.

4 Spécialiste en administration des affaires, Université du Maryland. Mort en 1998.

5 Hitchens, C. 2007. God is not great : how religion poisons everything. Éd. Twelve Books, New York.

6 Hardin, G. 1968. The tragedy of the commons. Science 162:1243-1248.

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  1. Publié le 17 janvier 2014 | Par Student

    Je profite de ce billet pour donner mon petit point vue (allons-y). Je pense que l’idée d’un niveau de vie optimal tient un peu du non-sens. L’animal humain semble être un éternel insatisfait par nature. La raison à cela me direz-vous? Il fut un temps où «en vouloir toujours plus» était certainement un mécanisme garant de la survie des individus: posséder un plus gros territoire de chasse, une plus grosse réserve de bois ou un plus gros garde-manger permettait certainement d’assurer la survie en cas de pénurie. Ceux qui se contentaient du minimum ne devaient pas faire long feu. L’humain est également un animal social et je vous rejoins sur ce point, vision d’ailleurs que je partage avec Henri Laborit, selon laquelle toute relation à l’autre, qu’elle soit amicale, amoureuse ou professionnelle, s’établit sous un rapport de dominance (dominant et dominé) permettant l’établissement d’une échelle hiérarchique de dominance, sans doute indispensable au maintien du tissu social au sein d’une population. Cette idée peut paraître réductionniste, mais il suffit d’ouvrir les yeux... La lutte des classes est inhérente à l’espèce humaine. C’est sans doute pour cela que le communisme n’est intrinsèquement pas viable et que le capitalisme se rapproche bien plus de notre propension naturelle à vouloir toujours plus et à dominer l’autre. Bref, ce que j’aimerais surtout évoquer ici –car je m’écarte– c’est que peu importe le nombre d’individus qu’il reste sur cette planète et quand bien même qu’il n’en reste que deux, il y aura toujours un besoin viscéral de dominer l’autre et d’en avoir plus que l’autre (qui est aussi une forme de domination). Je suis donc intimement convaincu que cette constante de l’homo sapiens n’est pas densité dépendante. Dans ces conditions, il devient difficile de définir un niveau de vie optimal. Et puis, même dans un monde hypothétique de 1000 individus se déplaçant en jet privé, qui ira vider les poubelles et entretenir les jets privés? Des robots? Qui entretiendra cette armée de robots dévoués? Une société organisée à besoin de main-d'œuvre, surtout lorsqu’il est question de technologie. C’est une réalité avec laquelle nous devons composer (et nous composons très bien d'ailleurs). On n’échappe pas si facilement aux sacro-saintes lois de la thermodynamique…

    Par contre, je ne suis pas trop d’accord pour faire le lien entre qualité de vie et surpopulation. D’ailleurs, selon Marx (anti-malthusien), «la population excédentaire» de Malthus n’est autre que la main-d'œuvre peu chère dont tire profit le capitalisme. Peut-on pour autant faire le lien entre l’augmentation de la population et l’augmentation de la misère (et donc de la qualité de vie)? J’aurais tendance à dire qu’aujourd’hui, c’est plutôt la répartition inégale des ressources et des richesses qui est le fruit de la pauvreté dans le monde actuel. Il y a également beaucoup plus de naissances dans les pays dont la qualité de vie laisse encore à désirer (selon nos critères), où la main-d’œuvre offerte par la descendance représente le gros du système social sur lequel se repose la famille pour subsister. Nous, nous avons l’état social et la RAMQ. Nous avons beau nous plaindre de notre mal-être existentiel, nous sommes pourtant parmi les mieux lotis. En plus, nous avons le luxe d’être déconnectés (du moins visuellement) de la misère que nous exploitons dans les pays émergents pour garantir notre confort (ce qui nous donne le temps de lire des blogues). D'autres facteurs entrent en jeu: la principale cause de la famine dans le monde, dont souffre d’ailleurs 1 humain sur 7, n’est-elle pas due à la hausse des cours des denrées alimentaires –provoquées par les spéculations boursières– plutôt qu’à une soi-disant «finitude» des ressources, tel que prédit par Malthus? Comme vous l’avez mentionné, Malthus avait sous-estimé les capacités de l’animal humain à sortir du pétrin. Après tout, trouver des solutions pour résoudre nos problèmes (et accessoirement, se sortir de la m..) n’est-il pas le propre de notre espèce?

    Toujours dans le registre du questionnement: les crises énergétiques et environnementales actuelles ne sont-elles pas globalement le résultat des –mauvais– choix politiques antérieurs et actuels? Nous avons encore les moyens de privilégier des sources d’énergie bien plus durables (dans le sens thermodynamique du terme) que les énergies fossiles (non renouvelables), et ce, sans forcément me référer aux éoliennes. Que fait-on des 3 850 zettajoules d'énergie solaire que la terre reçoit chaque année? Rien qu’au Québec, il aurait été concevable de développer davantage les infrastructures ferroviaires (trains à grande vitesse) alimentées à l’hydroélectricité plutôt que faire la part belle au transport routier et aux routes en bitume qui sont à refaire chaque année… On pourra bien sûr critiquer l’impact des barrages hydroélectriques sur l'environnement et les populations autochtones, mais en tant que végétarien et égoïste assumé, j'avoue ne pas trop me soucier de la bio-accumulation du mercure dans la chaîne alimentaire. Par contre, pour moi, voyager confortablement et rapidement dans un transport en commun peu polluant, c’est déjà me rapprocher grandement d’un niveau de vie optimal, mais je suis persuadé qu’un Papou de Nouvelle-Guinée aura une toute autre idée sur la question…
  2. Publié le 25 septembre 2013 | Par Pierre Racine

  3. Publié le 19 septembre 2013 | Par Denis Boulanger

    Plus il y a d'humains,
    moins il y a de nature...

    Denis Boulanger
    Enseignant en sciences des religions
    Géographe en environnement
  4. Publié le 19 septembre 2013 | Par Sébastien

    Merci André pour ce billet très intéressant.

    Je ne connaissais pas ce graphique sur la diminution du taux de croissance. C'est en effet une bonne nouvelle. Quels sont, selon toi, les mécanismes ayant mené à cette diminution?

    Mon inquiétude quant à la croissance de la population est plus sur la capacité de la planète à soutenir à long terme une population de 12 ou 15 milliards d'humains. Une telle population, avec notre consommation actuelle, risque de diminuer la capacité de support de la planète (en fait on le fait déjà, heureusement, on va pouvoir aller exploiter Mars, yeah! ...).

    Aussi je me demande comment va réagir cette courbe de croissance à la lubie qu'a l'homme d'allonger son espérance de vie? Ce ne sera plus la natalité qu'il faudrait contrôler, mais la mortalité. Quand on voit que Google s'attaque à l'immortalité, cela fait frémir... et rappelle le mouvement transhumaniste mentionné dans Inferno (et oui, je lis Dan Brown...).

    Cordialement,
    Sébastien
  5. Publié le 18 septembre 2013 | Par Pat R

    Encore une fois, un texte très intéressant.
    Par contre, à mon humble avis, cette «philosophie du laissez-faire», aussi séduisante soit-elle, pourrait avoir (ou a présentement) des répercussions tellement importantes sur la qualité de vie de milliards d'humains qu'il me semble évident que l'intervention de l'État (ou plutôt des États) serait à préconiser. Malheureusement, cette option pose un éternel problème qui revient sans cesse hanter l'humanité dans ses décisions collectives : «Si mon voisin ne le fait pas, pourquoi moi je le ferais!». Ainsi, même si on arrivait à s'entendre sur un niveau de vie acceptable, il y en aura toujours qui en voudront plus... Finalement, je reviens sur mes paroles: adoptons la «philosophie du laissez-faire» c'est tellement plus simple de même et de toute façon ce n'est sûrement pas nous les Nord-Américains qui allons payer le prix ;)