Propos d'un écoloquace
Publié le 29 avril 2014 | Par André Desrochers
Pipeline: qu’en dit le béluga?
Depuis 2 semaines, le dossier du pipeline Énergie Est fait des vagues au Québec. TransCanada, le constructeur de pipelines, a la ville de Cacouna dans sa mire depuis l’automne dernier. Cette compagnie veut y installer un terminal pour exporter l’or noir albertain par bateau-citerne. Encore le pétrole, donc. Les joueurs habituels n’ont pas tardé à prendre position, et nous voilà avec un autre conflit opposant économie et environnement.
Le pour et le contre
N’en déplaise aux idéologues des 2 camps de cette guerre qui voient les choses en monochrome, ce projet, comme les autres, aurait des retombées aussi bien positives que négatives. D’un côté, on pense aux retombées économiques importantes pour le Québec, et particulièrement pour le Bas-Saint-Laurent. Selon une étude de la firme internationale Deloitte, les retombées économiques équivaudraient à une augmentation totale de 35,3 G$ du PIB au cours des 5 prochaines décennies. Le Québec toucherait 18% de ces retombées financières, et 31% des emplois de pointe générés lors de la conversion du réseau de pipelines seraient créés dans la province. Comme l’indique le journaliste Alexandre Shields du Devoir, le Québec deviendrait un «un joueur clé dans la mise en marché des sables bitumineux».
Mais la construction des installations à Cacouna ainsi que les opérations à long terme engendreraient des risques importants pour la population de bélugas du Saint-Laurent. Tard au printemps, ces magnifiques cétacés arrivent de leurs quartiers hivernaux, dans le golfe du Saint-Laurent, pour regagner leur aire estivale, notamment sur la rive sud de l’estuaire. Cacouna est un lieu de prédilection pour les bélugas, les exposant ainsi aux visées des entrepreneurs. Il reste encore bien des mystères à percer en ce qui concerne la population locale de bélugas, mais pas besoin d’être spécialiste pour comprendre que des essais sismiques et d’autres retombées de la construction d’un terminal pétrolier pourraient s’avérer la goutte de trop dans le verre bien rempli des problèmes de cette population en péril.
Le gouvernement, c’est nous
Responsable des ressources et de la biodiversité des eaux marines, Pêches et Océans Canada est évidemment au beau milieu de tout cela, pris entre l’arbre du développement économique et l’écorce de la conservation. À ses côtés, un nouveau gouvernement du Québec qui regarde ailleurs1, appuyant tacitement le projet controversé. Le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) et Nature Québec ont raison d’être furieux devant les contradictions dans les démarches et les propos des gouvernements, qui se sont engagés de nombreuses manières à protéger bélugas et autres espèces en péril.
On a beau se soulever devant les contradictions de nos gouvernements qui ne prennent pas au sérieux les mises en garde de leurs propres institutions scientifiques, il reste que ces gouvernements sont élus par un processus démocratique. Ils représentent la population. On dira que le gouvernement élu ne représente pas une majorité absolue de la population, c’est vrai, mais quand on se compare aux autres États de cette planète, admettons que ce système fonctionne tout de même très bien. Je refuse de croire que la tiédeur de nos gouvernements devant le sort des espèces en péril est juste la conséquence d’un système électoral déficient. Je crois plutôt qu’on a chez les décideurs la duplicité environnementale que la population désire, secrètement ou non.
En fait, je trouve que nos gouvernements sont un excellent miroir de la collectivité. Comme nous, ils sont plein de contradictions, voulant le beurre et l’argent du beurre en prêchant pour l’environnement d’un côté et en le détruisant de l’autre. Sur ce plan, on devrait davantage regarder les gestes, plutôt que les paroles, pour se faire une idée de ce qui motive réellement les gens. Ou poster Guy Nantel dans la rue et faire un «vox pop» avec 2 questions: «Est-ce que la sauvegarde du béluga est importante pour vous?» et «Pour qui avez-vous voté?» La réponse à la première question serait certainement oui. Pour la deuxième, on aurait droit, dans la grande majorité des cas, au Parti libéral, au PQ ou à la CAQ.
Démocratie et sensibilisation
Ma thèse est simple: la majorité des gens n’ont rien à cirer du béluga. Ah oui! On les aime dans les aquariums d’une grande ville et on adore les voir lors d’une croisière à Tadoussac. Certains sont prêts à déchirer leur chemise pour le blanc cétacé. Mais quand vient le temps de délier les cordons de la bourse, je suis convaincu que, pour la majorité, ces animaux en péril se hissent à peine au même rang que de nombreuses autres commodités, comme un pont couvert dans une région, des arrangements de fleurs dans la ville ou un trottoir refait sur la rue où on habite.
J’ai longtemps cru que cette indifférence populaire tenait principalement de la méconnaissance de ces animaux par nos concitoyens. Ne connaissant pas suffisamment les bélugas, dit la théorie, les gens n’auraient pas le réflexe de les protéger. On peut constater en effet que les personnes qui les connaissent le mieux sont aussi celles qui vont les défendre le plus ardemment, mais est-ce qu’on inverse la cause et l’effet ici? Car on pourrait aussi avancer qu’en devenant défenseur des animaux, on finit par apprendre plein de choses sur ces animaux qu’on veut protéger. J’imagine que la causalité est vraie dans les 2 sens, mais je me questionne de plus en plus sur notre foi dans les vertus de la sensibilisation, du moins telle qu’elle a été pratiquée depuis des décennies.
Message bien reçu
Je déteste de plus en plus cette condescendance idéologique: si vous ne pensez pas comme nous, c’est parce que vous n’avez pas compris. C’est sans doute vrai que la population en général «ne comprend pas» que des relevés sismiques et autres opérations de TransCanada pourraient clouer le cercueil des quelque 900 bélugas du Saint-Laurent, mais croyez-vous vraiment qu’enseigner aux masses les subtilités de la conservation du béluga à Cacouna va changer les choses? Derrière les vœux pieux, on doit constater que la population canadienne comprend qu’en votant pour un gouvernement fédéral conservateur, elle choisit la tiédeur, sinon l’hostilité, plutôt que les vrais gestes posés envers l’environnement. En votant très majoritairement pour des partis peu sincères dans leur activisme en environnement (les libéraux, le PQ et la CAQ), la population dit massivement: «C’est bien beau les bélugas, mais…». Si les bottines suivaient les babines, on n’hésiterait pas à creuser la dette accumulée ou à sabrer les revenus des contribuables pour sauver les espèces en péril, et c’est un gouvernement majoritaire de Québec solidaire ou du Parti vert qu’on aurait. Ce n’est pas une question d’ignorance, c’est une question de choix.
Comprenez-moi bien. J’adore le béluga, et j’en ai parlé précédemment dans ce blogue. Mon appréciation de cet animal est certainement un peu plus élevée que celui de la population en général, bien qu’elle ne soit pas infinie (j’aime plus mes enfants et ma blonde, désolé), mais je n’ai plus le goût de cracher sur les gouvernements pour exprimer ma colère ou d’aller dans la rue pour hurler mon désaccord. Cela reviendrait à cracher sur la majorité ou, plus subtilement, à étaler ma condescendance envers la populace. Chacune de ces insultes au gouvernement, chacune de ces leçons de morale dans la rue fait plaisir aux amis de la Cause, mais aliène de nombreux citoyens aussi assurément que le retour de la marée. Des citoyens qui, n’en déplaise aux amateurs du béluga, ont le droit de s’amouracher davantage de Yoan de l’émission La Voix que du cétacé.
Je n’ai pas de solution miracle à proposer pour mobiliser les gens vers une protection accrue de ces majestueux mammifères, si ce n’est de continuer d’aimer les espèces animales sans juger et de manifester sa passion, en toute démocratie. En espérant qu’un jour on cessera de nager à contre-courant de cette majorité indifférente dans son confort.
P.-S. – Ceci est mon dernier billet de la saison, je vous retrouve en septembre et vous souhaite un bel été… Tiens, mettez-donc l’observation de bélugas comme activité à votre agenda!
1 Probablement du côté de ses 3,7 milliards de déficit à combler… ↩
Publié le 30 avril 2014 | Par Carl
Tout d’abord, le Saint-Laurent n’est pas le premier ni le dernier endroit où l’on fait des relevés sismiques. Les effets de ces relevés sont donc assez bien connus et, malheureusement pour les environnementalistes, on ne mentionne pas de catastrophe écologique majeure. Évidemment, ces relevés dérangent les populations présentes dans la région. Sauf que celles-ci n’y répondent pas par une mort imminente, mais tout simplement en faisant ce que nous même ferions: elles quittent temporairement le secteur. Et elles reviennent lorsque les relevés sont terminés. On parle donc ici d’une situation temporaire, pas d’un dérangement permanent. Et encore, les études portent sur des relevés beaucoup plus importants que ce qui sera fait à Cacouna. On ne parle pas ici de relevés qui prendront des mois et se répéteront à chaque année.
Deuxièmement, les bélugas ne sont pas en permanence dans le secteur de Cacouna. Il est donc tout à fait possible d’effectuer les relevés sismiques à des périodes où les bélugas sont tout simplement absents de cette région. L’effet sur les bélugas serait alors évidemment minime, sinon nul. Mais bon, comme les environnementalistes sont opposés au développement d’abord et avant tout pour des raisons purement idéologiques, il ne faut pas non plus s’attendre d’eux qu’ils proposent des compromis raisonnables aux situations qu’ils dénoncent… Les bélugas ne deviennent vraiment qu'un prétexte pour appuyer leur idéologie antidéveloppement.
Troisièmement, il y déjà eu des relevés sismiques dans le golfe du Saint-Laurent, pour le gisement Old Harry. Les environnementalistes avaient, encore là, levés les mêmes objections pour les même raisons. Pourtant, aucun désastre écologique n’a été observé, les baleines fréquentent toujours cette région du fleuve et il y a toujours des homards aux Îles. Évidemment, on ne parle pas beaucoup de ce dernier fait et de cette absence de catastrophe annoncée. C’est beaucoup plus facile et sensationnel de crier au loup que d’admettre que, finalement, il n’y avait pas de loup…
Bref, ça ressemble encore une fois à un cas où les environnementalistes présentent des affirmations gratuites comme des vérités, sans y présenter aucune nuance. Ceci alors que la réalité est tout autre, et moins en accord avec les dogmes verts.