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Photo de André Desrochers

L'ironie a le vent dans les pales

Laissez-moi vous raconter une petite anecdote. En juin dernier, un oiseau rarissime, le martinet épineux (Hirundapus caudacutus) est mort frappé par une pale d’éolienne en Écosse. Le tout s’est produit devant une horde d’ornithologues incrédules qui avaient fait des centaines de kilomètres pour observer cette espèce. Gisant au sol sur le ventre dans une photo publiée par le Guardian, quotidien vedette des cœurs sensibles du green and pleasant land, l’oiseau faisait pitié à voir.

Je n’ai pu retenir un sourire devant l’ironie de ce fait divers. Voyez-vous, au Royaume-Uni, on prête un culte surréaliste à la fois aux oiseaux, surtout les rares, et à la sauvegarde de la planète, fièrement représentée ici par l’éolienne. Doublement ironique cette collision entre deux symboles, car elle a eu lieu dans un pays qui a longtemps présidé à l’exploitation de colonies lointaines, et dont la quasi-totalité du territoire a été déboisée, remodelée, puis remodelée encore pour devenir un vaste jardin manucuré destiné aux masses humaines qui s’infiltrent de partout.

Bien sûr, il s’agissait d’une mort d’oiseau parmi tant d’autres, causée par ces hachoirs à viande nouveau genre qui poussent un peu partout. Voici, filmé en direct, le même genre d’événement, cette fois avec un vautour.
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Pas surprenant que les éoliennes tuent des bêtes ailées, puisqu’elles trônent souvent sur des terres ou des mers truffées d’oiseaux et de chauves-souris, en migration ou résidents. Mais de combien de morts parle-t-on? Plutôt difficile d’évaluer précisément, les victimes pouvant facilement passer inaperçues (tombées plus loin que le lieu de l’impact, déplacées et consommées par des prédateurs, etc.). On peut pourtant estimer que des centaines de milliers d’animaux sont happés chaque année en Amérique du Nord, de la modeste pipistrelle, une chauve-souris, à la grue blanche d’Amérique, magnifique espèce qui peine à survivre depuis 100 ans. Comme quoi certaines victimes sont plus égales que d’autres, pour paraphraser Orwell.

Bah, une goutte d’eau dans l’océan, direz-vous, sachant que ces animaux se comptent par milliards juste en Amérique du Nord, surtout si votre clan idéologique a décidé que les éoliennes sont une bonne idée. Mais tout de même, il n’en faut pas plus pour que de nombreux ornithologues et amateurs de chauves-souris s’indignent devant l’avènement de ces vire-vent géants. Amusant tout de même de nous voir (nous, les ornithologues) pleins d’indignation face à cette énergie «propre» qui devrait faire notre bonheur, car sauver la planète, c’est sauver les oiseaux. Vous me suivez?

Amusant aussi de voir Barack Obama promouvoir ces meurtriers en série des oiseaux. Car voyez-vous, pour compliquer les choses, ces éoliennes ont plus de vent que jamais dans les pales, grâce à leur nouvelle mission: sauver la planète de la catastrophe climatique mondiale annoncée (bien que je cherche encore les «réfugiés climatiques» tant annoncés). Voilà, les éoliennes viendront à notre rescousse dans nos efforts pour contrer le CO2, devenu récemment un polluant atmosphérique, dixit Barack Obama.

Alors on fait quoi? On tue des oiseaux par milliers pour donner un peu d’air frais à la planète? On place la magnifique grue blanche d’Amérique littéralement dans le couloir de la mort? Elle qui a été jusqu’à présent un success story1 de la biologie de la conservation. Bien non, direz-vous, il faut juste placer ces majestueux monstres aux bons endroits: loin des regards, loin de notre cour, loin des oiseaux et surtout, loin de notre compte de taxes… Franchement étourdissant. Et puis, je ne vous dis pas, si on commence à pondérer les impacts macroéconomiques relatifs de l’éolienne, de l’hydroélectricité, du nucléaire et du pétrole… De quoi faire tourner les derviches de l’opinion pendant des décennies, au même rythme que les pales de nos vire-vent sauveurs de planète.

Les ornithologues continueront de dénoncer le triste spectacle des oiseaux gisant au pied des éoliennes, et je compatis, car je ne vois plus les éoliennes comme une panacée. Mais mon intuition me dit que les macabres découvertes au pied de ces monstres métalliques et les études d’impact environnemental subtilement chargées de jugements de valeur ne suffiront probablement pas pour freiner l’essor des éoliennes. Je miserais plutôt sur la faiblesse des arguments économiques et environnementaux, du moins pour les mégaprojets, surtout dans un Québec qui regorge de potentiel hydroélectrique.

1 Cette espèce a vu son effectif baisser à 21 individus en 1941, puis remonter à quelques centaines depuis. Le principal corridor migratoire de cette espèce est en pleine zone optimale de développement d’éoliennes, dans le midwest américain.

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  1. Publié le 30 août 2013 | Par Patrick Thouin

    Et si vous utilisiez plutôt votre énergie à trouver des réponses, des solutions. Vous êtes chercheur, non?
    - Et si on étudiait les oiseaux pour mieux comprendre pourquoi ils sont happés.
    - Et si on peignait de couleurs les pales pour les rendre plus visible.
    - Et si on évitait les couloirs de migration.
    - Ou si on installait des structures détournant ces couloirs de migration.

    On a fabriqué des passes à saumon pour faire des barrages, pourquoi ce serait si différent pour l'éolien.
  2. Publié le 22 août 2013 | Par André Desrochers

    @Christophe - En effet, on dit que les chats tuent davantage d'oiseaux si on les compare aux éoliennes. Mais ce serait intéressant de comparer les espèces tuées, les chats étant surtout en ville et en banlieue, les éoliennes étant dans une variété de paysages plutôt naturels.

    Quant au potentiel des éoliennes, vous semblez réagir à des choses que je n'ai pas dites. Plutôt que servir des «arguments idéologiques» (concept nouveau pour moi), je veux simplement susciter un questionnement chez le lecteur. Pour ce qui est du «potentiel» hydroélectrique, vous avez raison de me corriger, notre vaste potentiel ayant déjà été exploité. Mais il semble que nous soyons encore loin de la nécessité de développer des sources d'énergie de remplacement pour pallier à un hypothétique manque d'énergie.
  3. Publié le 22 août 2013 | Par Christophe Sibuet Watters

    Vous avez raison de mentionner que les éoliennes peuvent tuer des oiseaux. Mais il faut mettre ceci en contexte. Cet été, j'ai eu le plaisir de lire un article très drôle sur le rôle des chats dans la mortalité aviaire aux États-Unis -c'était le ton de l'article qui était drôle, et non le fond! Or, cet article publiait une comparaison de la mortalité en fonction des sources de mortalité. La référence de cette comparaison était le journal Nature. Par contre, je n'arrive ni à mettre la main sur une version électronique de l'article en question, ni sur l'origine de la source de la comparaison graphique qui y était publiée, mais cela ressemble à ceci:

    http://www.sibleyguides.com/conservation/causes-of-bird-mortality/

    De plus, je reproche à votre article d'entretenir la confusion au sujet de l'apport de l'énergie éolienne au mix énergétique d'un pays. Ces temps-ci au Québec règne l'opinion que 10 cents / kWh, c'est beaucoup trop payer pour de l'énergie quand les centrales hydrauliques nous en donnent à 3 cents / kWh. C'est vraiment un argument idéologique contre lequel il mérite plus de se battre que de le retransmettre. Voyez-vous, l'énergie éolienne est très peu subventionnée par rapport à de nombreuses autres sources d'énergie et, globalement, en terme d'énergie (mesurée en joules), elle reste plus abordable que l'essence, par exemple. De plus, tout nouveau développement énergétique, quel qu'il soit (fossile, hydraulique, nucléaire) coûtera au moins 10 cents / kWh, sinon plus. Enfin, il est complètement faux de prétendre que l'énergie éolienne génère de l'énergie inutile. C'est terrible de lire encore ça de nos jours, alors que certaines régions d'Europe ou certains pays produisent aujourd'hui de 25 à 70% de leur énergie électrique via l'énergie éolienne, et que quand le vent souffle, parfois, toute l'énergie électrique consommée vient du vent. Plutôt que de continuer à promouvoir les vieux modèles énergétiques, basés sur une utilisation des ressources de la planètes comme des consommables immédiats, je vous incite à vous intéresser au nouveau paradigme qui consiste à utiliser des ressources renouvelables dès qu'on le peut, le vent en premier, car c'est enfin une énergie domestiquée.

    J'aimerais savoir sur quelle référence vous vous basez quand vous écrivez que le Québec «regorge de potentiel hydroélectrique». J'ai plutôt lu le contraire, à savoir qu'il ne restait plus grand chose à harnacher. Par contre, je peux vous garantir que le Québec regorge de potentiel éolien, ça oui !