Regards sur la société
Publié le 14 janvier 2015 | Par Simon Langlois
Solde migratoire: qu’en est-il vraiment?
Le solde migratoire du Québec avec les autres provinces s’est détérioré ces dernières années, selon un rapport publié en décembre par l’Institut de la statistique du Québec. Cela signifie qu’il y a eu plus de départs de Québécois vers les autres provinces que d’entrées. Certains observateurs ont (trop) rapidement fait un lien entre le vif débat sur la charte des valeurs et la migration en dehors du Québec d’un certain nombre d’immigrants. Or la question est plus complexe et mérite un éclairage plus large. Que signifie cette observation et comment l’interpréter?
Comprendre le solde migratoire
Le solde migratoire est la différence entre le nombre de personnes qui quittent le Québec vers une autre province au cours d’une année donnée, et le nombre en provenance d’une autre province qui s’y établissent. Ainsi, le Québec a perdu 13 100 personnes en 2013 et 8 700 en 2012 dans ses échanges de population avec les autres provinces canadiennes. Il faut remonter à l’année 1998 pour trouver un chiffre un peu plus élevé.
C’est donc dire que le Québec est perdant dans la circulation des personnes migrantes entre les provinces, et que la tendance à l’amélioration qui avait été observée depuis le début des années 2000 serait en train de changer.
Cependant, un autre chiffre mérite de retenir aussi l’attention, soit celui du nombre total de personnes mobiles sur le territoire, c’est-à-dire celles qui quittent le Québec ainsi que celles qui s’y installent en provenance des autres provinces. Ce qui doit retenir l’attention, c’est l’ampleur du phénomène même de la mobilité des personnes et non seulement le solde final.
Québec-Ontario, 2 partenaires très liés
Beaucoup de personnes circulent ou déménagent entre le Québec et l’Ontario depuis toujours. Or, ces mouvements se font dans les 2 sens. Entre 1972 et 2013, on peut estimer à 1 033 402 le nombre de migrants québécois vers l’Ontario, alors que 655 353 personnes ont fait le chemin inverse. Le Québec attire aussi des Ontariens, ne l’oublions pas.
Le gros des pertes de population s’est fait dans les années 1970 et 1980, dans la foulée de l’élection du Parti québécois au pouvoir (1976), de l’adoption des politiques linguistiques et du premier référendum québécois. C’est en 1978 que le solde migratoire total a été le plus négatif, soit 46 429 personnes en moins. Une véritable saignée à l’époque, surtout le fait d’anglophones très critiques envers les mutations sociales alors en cours au sein de la société québécoise.
La migration de citoyens en majorité anglophones est indéniable et elle a été maintes fois analysée et commentée. Mais il faut aussi noter que durant ce quart de siècle mouvementé, le Québec a quand même accueilli 2/3 de million de migrants en provenance de l’Ontario. Cette donnée montre la forte intégration sociale et économique entre les 2 plus grandes provinces canadiennes.
L’échange est inégal, cela est évident, mais ces chiffres montrent que l’analyse ne doit pas porter seulement sur l’examen du solde net. On doit aussi étudier l’ampleur de la circulation des populations entre les 2 provinces. Mis à part la saignée des années 1970 et 1980, les échanges de population entre le Québec et l’Ontario ont été beaucoup moins inégaux dans les dernières décennies, en particulier dans les années 2000, l’avantage restant cependant en faveur de l’Ontario.
L’attrait de l’Ouest canadien
L’Ouest canadien attire les Québécois, notamment l’Alberta et la Colombie-Britannique. Toujours entre 1972 et 2013, 224 479 personnes ont migré vers l’Alberta et le centre du pays, mais 137 489 ont fait le chemin inverse vers le Québec. Les chiffres sont respectivement de 159 616 départs vers la Colombie-Britannique et de 94 079 entrées au Québec depuis la province du pacifique.
L’attrait de l’Ouest canadien est indéniable, mais il reste que les 2/3 environ de tous les trajets de mobilité ont été observés entre le Québec et l’Ontario sur toute la période.
L’accès à l’emploi: LE grand facteur
La recherche d’emploi explique en bonne partie ces grands mouvements de populations entre les 2 provinces, bien plus que les départs à la retraite vers une autre province ou les mouvements ayant pour cause l’idéologie (quitter une province trop taxée, par protestation contre les lois linguistiques, etc.).
L’attrait grandissant de l’Alberta, non seulement pour les Québécois, mais aussi pour les résidents des autres provinces, y compris l’Ontario, va dans le sens de cette hypothèse. Si celle-ci est juste, le ralentissement économique observé en Alberta à la suite de la crise du pétrole de 2014 devrait être suivi d’une baisse de la migration de personnes vers cette province.
Par ailleurs, la détérioration récente du solde migratoire interprovincial observée au Québec est survenue en parallèle avec l’augmentation des pertes d’emploi de 2013 et de 2014, notamment dans les domaines industriels. Cette corrélation va aussi dans le sens de l’hypothèse explicative privilégiant le facteur emploi.
Ce ne sont pas seulement des individus qui migrent de façon isolée. Lorsqu’un homme trouve un emploi dans une entreprise exploitant les sables bitumineux et qu’il décide de s’installer en Alberta en permanence (au lieu de faire du «in and out»), il déménage souvent avec femme et enfants. Donc, l’accès à un seul emploi peut entraîner la migration de 4 personnes, et la conjointe aura quant à elle toutes les chances de se trouver un travail dans un milieu dynamique.
La charte et le débat identitaire
Vient à l’esprit bien évidemment la question identitaire et celle de la charte des valeurs qui a occupé le devant de la scène ces dernières années. Le débat sur cette question et, plus largement, le grattage du bobo identitaire ont-ils fait fuir un certain nombre d’immigrants? Cela n’a pas aidé, c’est sûr, et cela peut sans doute constituer un des facteurs déclenchant la volonté de partir, mais son importance reste à déterminer par des enquêtes ad hoc. Par contre, les difficultés rencontrées lors de l’intégration à la société d’accueil peuvent avoir joué un rôle chez les chômeurs immigrants.
Le taux de chômage des immigrants est en effet nettement plus élevé à Montréal que dans les autres grandes villes canadiennes, et il existe aussi un écart considérable entre le taux de chômage des immigrants et celui des non-immigrants québécois. Or, les immigrants d’arrivée récente constituent une population nettement plus mobile que les résidents de longue date. L’attrait de l’emploi ailleurs au Canada pourrait en ce cas avoir été encore plus marqué s’il était accompagné du sentiment d’être non reconnu ou d’être rejeté.
Le double rôle de la langue française
La connaissance de la langue française joue un double rôle dans le processus de migration. Elle peut d’abord repousser vers ailleurs des personnes ayant de la difficulté à l’apprendre ou à la parler correctement. Les recherches montrent qu’une partie des immigrants intéressés à s’établir au Canada parlant des rudiments d’anglais mais non le français préféreront refaire leur vie en milieu anglophone. C’est un fait connu que le Québec perd ainsi une part des nouveaux arrivants dès la 1re année de leur installation. D’autres sont rebutés d’avoir à apprendre en fait 2 langues pour pouvoir travailler au Québec, compte tenu que l’anglais y est souvent exigé de facto en plus du français (dans l’hôtellerie et le taxi, par exemple).
Mais la seule connaissance de la langue française est aussi un facteur qui décourage la migration vers d’autres provinces. Cela est le cas pour les immigrants allophones qui s’installent en régions francophones au Québec et refont leur vie en français. L’incitation à migrer vers d’autres milieux anglophones risque d’être moins marquée.
Que réserve l’avenir?
Les données sur les migrations entre les provinces portant sur les 10 dernières années ont montré que la société québécoise était en mesure d’attirer et de retenir davantage de migrants interprovinciaux que par le passé à cause d’un marché du travail plus dynamique. La récente hausse du solde migratoire négatif est survenue en contexte de détérioration du nombre total d’emplois et de hausse du taux de chômage. L’emploi –bien plus que les débats teintés d’idéologies– reste par conséquent la clé du retour à un solde migratoire moins fortement négatif.
Publié le 19 janvier 2015 | Par Sylvie Brodeur
Ça a l'air terrible de vivre au Québec. Les immigrants en sont-ils informés avant de s'installer ici?
Respectueusement.
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