Propos d'un écoloquace
Publié le 13 janvier 2015 | Par André Desrochers
Les Anne Dorval de l’environnement
Vous avez probablement entendu parler de cette prise de bec entre la comédienne Anne Dorval et l’intellectuel Éric Zemmour à l’émission française On n’est pas couché. Ça fait déjà un bout de temps, mais l’incident m’est revenu en tête à la suite de cette débâcle au journal Charlie Hebdo, et je veux vous en parler.
En entendant les commentaires du polémiste Zemmour à propos du mariage gay, Mme Dorval y est allée d’une prestation aussi exaltée que vide de contenu: «Oh mon Dieu! Je suis saisie… Eh là là là là! Je suis consternée, c’est comme revenir en arrière, c’est comme, euh…». Le tout, bien sûr, en se prenant la tête et en haussant les sourcils jusqu’à la racine des cheveux. De quoi convaincre les juges des Academy Awards… Mais aussi de quoi s’attirer, j’imagine, les foudres de mon collègue Normand Baillargeon, auteur du Petit cours d’autodéfense intellectuelle1, illustré par Charb, une des dernières victimes des fanatiques de la religion de la paix.
Cette réaction de Mme Dorval est symptomatique de la pensée unique qui sévit dans l’élite intellectuelle au Québec, pas juste à propos du mariage gay (sur lequel je n’ai pas d’opinion, désolé), mais surtout, et plus pertinemment dans ce billet, à propos de l’environnement. Ce réflexe exclamatif est, à mon avis, une manière subtile de réprimer l’expression de points de vue jugés choquants. Ironique, car cette élite intellectuelle omniprésente dans la twittosphère s’autoproclame depuis quelques jours ambassadrice de la liberté d’expression.
Mais d’où sort ce protototalitarisme intellectuel incapable de tolérer la dissidence? Combien de fois ai-je eu droit à un raidissement cérémonieux de mon interlocuteur en réponse à mes commentaires sur tel ou tel débat à propos de l’environnement? Bon OK, je m’adonne souvent à une certaine forme de pyromanie oratoire, mais tout de même, je ne parviens pas à m’habituer à ces salves d’exclamation insipides du genre «Ben voyons donc!». Trop souvent, ces réactions m’indignent à mon tour et me poussent à m’écrier, me plaçant ainsi dans ce rôle que je critique. Mais, de plus en plus, je me questionne sur le sens profond de ces réactions viscérales et sur ce qu’elles nous apprennent de la colère intérieure des environnementalistes, notamment.
La colère intérieure
Bien sûr, il nous arrive tous de ressentir cette colère qui nous fait sortir de nos gonds. Le triste épisode de Charlie Hebdo l’a mise au grand jour, pour le meilleur et pour le pire. Plus près de mes préoccupations bloguistes, la question des changements climatiques et celle du pétrole mettent aussi, trop souvent, cette colère au grand jour lors de débats.
Pour ma part, je peux retracer les origines de cette rage. D’abord une crainte quand j’étais jeune, issue de reportages et de séries télévisuelles. Comme celle intitulée Vers l’an 2000, diffusée durant les années 70, qui m’avait franchement sacré la trouille avec une vision dystopique de notre avenir sous des apparences de progrès technologique. Plus tard, je devais vivre la hantise durable de cette journée au bord du fleuve à Beauport, où les bulldozers poussaient des roches sur le milieu de vie de tous ces oiseaux aquatiques que j’adorais, ensevelissant à jamais leur résidence.
Cet épisode allait avoir un effet profond sur moi, métamorphosant la peur du lendemain en colère intérieure à assouvir maintenant. Une colère qui m’approchait de l’action, me menant au front des dossiers de l’environnement, de comités en groupes d’action, puis à l’ancienne UQCN, maintenant Nature Québec. Une colère qui m’a fait dévorer les best-sellers du credo environnementaliste. Une colère qui, pour un temps, me valut le sceau d’indigné patenté à la Anne Dorval. Mais une colère qui, à mon insu, m’éloignait subtilement de la pensée critique, la vraie, celle où on met de côté les allégeances et les émotions pour s’ouvrir à des opinions à première vue rébarbatives.
On se calme
C’est difficile de résister à la tentation de sombrer dans l’émotion quand il est question d’environnement. Tellement plus facile de pousser des «Ben voyons donc!», des «Ho!» et des «Ha!» seul devant notre interlocuteur ou encore devant tout le monde, notamment sur la mère de toutes les plateformes de mémérage, Twitter. Je tombe dans le panneau à l’occasion (pas sur Twitter, que j’évite avec obstination), mais de plus en plus, je fais l’effort conscient de recourir aux faits et à la logique, pas à mes démons intérieurs. Cela peut sembler prétentieux, mais je le fais vraiment, en toute humilité.
Il faut bien sûr beaucoup de discipline et d’introspection pour garder son calme lors de débats aussi existentiels que ceux sur l’environnement. C’est plus facile pour certains que pour d’autres. Mais pour tous, la manière la plus efficace d’y parvenir est, à mon avis, de s’alimenter à des sources diverses et, surtout, contradictoires. Une chose qui me frappe dans les écrits des intellectuels, comme ceux d’Éric Zemmour2 qu’Anne Dorval a tant vilipendé, c’est qu’ils citent une variété de points de vue, ne se contentant pas de répéter ad nauseam le credo de leur «camp». Ils présentent le point de vue de l’Autre, en détail, pour mieux en dévoiler les failles qu’ils y voient.
Dans le dossier des changements climatiques, chaque côté accuse l’autre de faire de la citation sélective (cherry picking) des faits. Ils ont raison, en général. On pourrait étendre l’accusation aux arguments, chaque partie semblant avoir recours à un arsenal limité et prévisible de ces derniers, comme s’ils étaient empilés dans 2 casiers: un «pour» et un «contre». Ainsi, on accuse les sceptiques comme moi d’être à la solde du secteur pétrolier, en citant les frères Koch, etc. Ou pire encore, d’être antiscience et «terraflatiste»3. À l’inverse, les sceptiques accusent trop souvent les alarmistes d’être à la solde d’une conspiration mondialototalitaire, en prenant les délires de Naomi Klein en exemple. Bien sûr, ce genre de commentaires ne fait que braquer les gens, ce qui est bien triste et totalement évitable, surtout dans le dossier des changements climatiques, où les sources de données et les articles scientifiques n’attendent qu’à être mis de l’avant dans l’exercice de débats respectant l’intelligence de chacun.
Les rudiments
Pour ne pas sombrer dans le «dorvalisme» lors de discussions, je me permets de vous rappeler quelques rudiments de l’art du débat, à ma manière:
- Ne vous exclamez pas
- Soyez créatifs
- Sortez de votre zone de confort, pour apprendre
- Utilisez des sources qui font consensus
- Ne vous prenez pas trop au sérieux
- Soyez transparents quant à vos démons intérieurs, si vous les connaissez
- Ne réfutez pas des choses qui n’ont pas été dites (écoutez)
Bref, faites tout le contraire de ce qu’a fait Mme Dorval sur le plateau de l’émission On n’est pas couché.
1 Lux Éditeur, 2005, 344 pages. ↩
2 Auteur du best-seller Le suicide français (Albin-Michel, 2014), que je lis en ce moment. Merci Anne Dorval dont la montée de lait m’aura incité à lire ce livre. ↩
3 Néologisme que j’invente à l’instant: croyant à l’hypothèse de la terre plate. ↩
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