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Photo de André Desrochers

Le déclin de la revue scientifique

Laissez-moi deviner: le média que vous utilisez pour lire ce billet est un écran. Travaillant dans une faculté de foresterie, je suis aux premières loges pour assister à l’implosion du papier comme média de base de l’écrit. Vous le savez tous, les librairies se battent pour continuer d’exister, étant en compétition avec les grandes surfaces mais aussi, et surtout, avec le livre virtuel, qui ne prend aucun espace et qui peut prendre vie n’importe où sur vos appareils préférés. Dans mon dernier billet, je dressais un portrait de la crise de crédibilité vécue dans le domaine de la publication scientifique. Aujourd’hui, je vous propose une vision de la publication scientifique de demain, basée sur ce qui arrive dans le monde du divertissement culturel en général.

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Une question de capital
Le livre, le journal et le magazine sont là pour rester, probablement. N’empêche que leur part de marché est en déclin par rapport à leurs analogues électroniques. Question de génération. Vivant dans un quartier que les retraités habitent en grand nombre, je vois encore de nombreux journaux sur le pas des portes chaque matin. Mais ailleurs, le papier se fait de plus en plus rare: je vois bien plus d’appareils de lecture électroniques que de livres, de magazines et de journaux quand je me déplace en autobus. Je passe aussi quotidiennement devant un édifice qui abritait jusqu’à tout récemment un club vidéo, et j’écoute ma musique, comme presque tout le monde maintenant, sur un iPod.

Écrits, films, musique: même combat. Qu’ont en commun ces 3 formes de divertissement? Elles sont toutes aux prises avec une crise d’identité liée notamment au fait qu’il n’y a pas si longtemps, pour publier vos écrits, vos vidéos ou votre musique, il fallait avoir accès au capital. Pour faire simple, il fallait une machine très coûteuse pour produire en masse votre œuvre: imprimerie, usine d’impression de CD ou de DVD. Donc, il fallait d’abord vendre votre produit à une entreprise contrôlant cette machine, avant même de pouvoir vendre votre produit à ceux qui comptent vraiment: les consommateurs.

La revue scientifique repensée
Il y a 100 ans, la possibilité de publier des recherches scientifiques, quel que soit le domaine, était le privilège d’une élite. Il fallait avoir établi une crédibilité béton auprès des collègues dans une communauté tissée très serrée. À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux États ont compris que ce serait une bonne idée d’investir massivement dans la recherche scientifique. Ce n’est qu’alors que le principal véhicule de la science, la revue scientifique, a pris un réel essor. Si bien qu’il est maintenant relativement facile pour un professionnel de publier ses recherches, pourvu que celles-ci respectent minimalement les règles de l’art (et l’école de pensée de la revue…). Mais tout de même, jusqu’à tout récemment, il était impératif de passer par les «gardiens» de l’imprimerie, généralement un éditeur et 2 ou 3 réviseurs anonymes sélectionnés arbitrairement par l’éditeur dont l’agenda est surchargé et qui est, par ailleurs, soumis à des pressions éditoriales qui n’ont souvent rien à voir avec la science. Un processus nommé «révision par les pairs».

Le monopole de la revue savante imprimée ne pouvait pas résister à l’arrivée d’Internet et de la bande passante haut-débit. On pourrait dire que l’avènement du format PDF (1990) et d’HTML (1992) est l’analogue écrit du format MP3 (1992) pour la musique. Ainsi donc naquit le concept de la revue entièrement électronique, du moins son usage régulier. Tout comme il n’est plus nécessaire d’aller chez le disquaire pour me procurer le magnifique Reflektor (dernier album d’Arcade Fire), plus besoin d’aller à la bibliothèque du vétuste pavillon Vachon pour lire les articles de ma revue scientifique préférée (bon, ok, le pavillon Vachon se porte mieux maintenant). La commodité du média électronique pour la revue scientifique était destinée à écraser l’archaïque revue papier, et la logique «papier» qui vient avec. Ayant siégé sur quelques comités de rédaction de revues savantes, combien de fois ai-je participé à de lassantes discussions sur le nombre de numéros qu’on devrait publier chaque année, la longueur de la table des matières, etc. Exit ces futilités avec la revue électronique. Exit les concepts de «volume », de «numéro » et même de «page»! Tout comme le concept d’album commence à s’effriter en musique populaire, celui de numéro de revue est en train de mourir de sa belle mort dans le domaine de la publication scientifique.

Bon, vous allez dire que ces changements sont bien superficiels et qu’ils ne changeront pas le processus de la publication scientifique. Pourtant, ce processus est de plus en plus corrompu, laissant passer des torchons même dans les meilleures revues et bloquant, sans doute régulièrement, l’entrée d’excellentes contributions (j’en discute dans mon dernier billet). Et je ne parle même pas des tout nouveaux joueurs, les revues prédatrices cash for papers1. Eh bien non! Le processus de la publication scientifique tel qu’on le connaît ne va probablement pas résister aux possibilités offertes par le Web 2.0. On assiste déjà à une petite révolution avec les revues dites interactive open access2.  Avec ces revues, fini le temps où seule une poignée de personnes avait le privilège de décider du sort et de la mouture finale (sans appel) d’un article. La communauté scientifique entière peut y aller de son grain de sel et proposer des modifications à l’article original. Le produit final en ressort plus raffiné.

Allons plus loin encore. Maintenant qu’il ne coûte pratiquement rien de créer un document, de le mettre en page professionnellement et de le diffuser au monde entier, vous croyez que les revues avec comités de lecture vont conserver leur monopole? De mon côté, j’espère que non, même si les défenseurs de l’orthodoxie vont sans doute se mobiliser contre cette menace à leur emprise sur l’évolution des idées. Il est grand temps que les chercheurs, quelles que soient leurs affiliations, aient la possibilité de publier pour tous le résultat de leurs recherches, sans passer par quelque revue que ce soit, offrant à chacun la possibilité d’y aller de ses commentaires et de ses suggestions. Vivement une transition du traditionnel article scientifique vers un format apparenté à un billet de blogue libre d’évoluer, se distinguant tout de même par la rigueur scientifique (base conceptuelle et empirique, possibilité de reproduction et hypothèses falsifiables, c.-à-d. qui peuvent être réfutées par expérimentation). Avec tous les outils offerts par Google, il serait aisé de trier le bon grain de l’ivraie en trouvant les recherches de grande portée. La fréquence de citation de ces «articles» dans d’autres sites Web serait une mesure envisageable de leur validité et certainement de leur influence. Voilà l’«opportunité» à laquelle je faisais allusion dans mon dernier billet. Il y aura de nombreuses ficelles à attacher, bien sûr. Mais je vois là une superbe occasion de sortir le processus de publication scientifique du honteux glissement actuel. Une occasion de contourner les comités de lecture au jugement parfois douteux et d’offrir la science à tous, pour tous.

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1 Voir l’article intéressant à ce propos: Bohannon, J. 2013. «Who’s afraid of peer review?», Science 342: 60-65. Cet exercice de journalisme d’enquête ne compare malheureusement pas la performance des revues scientifiques “papier” avec celle des revues “open source”, mais met tout de même le doigt sur un développement très troublant dans le monde de la publication scientifique.

2 Par exemple, l’European Geosciences Union offre de telles revues: http://www.egu.eu/publications/open-access-journals/.

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  1. Publié le 11 décembre 2013 | Par André Desrochers

    @Christophe S

    Vous avez bien raison de soulever des doutes sur les outils et les réelles motivations de Google. Mais les autres possibilités ne sont pas forcément animées par la vertu non plus. Pensons au populaire Web of Knowledge, produit de Thompson-Reuters (qui produit aussi le logiciel commercial EndNote).
    Je rêve de voir les scientifiques s'affranchir des nombreux filtres de l'information qui existent actuellement, surtout les comités de pairs, trop souvent animés eux aussi par des considérations qui n'ont rien à voir avec la science (prestige, idéologie politique, etc.).
    Voir les déclarations récentes de Randy Schekman (Nobel physiologie, 2013) sur les dérapes du peer review - allant jusqu'à boycotter les magazines Nature et Science.
  2. Publié le 11 décembre 2013 | Par Christophe S

    «Avec tous les outils offerts par Google, il serait aisé de trier le bon grain de l’ivraie en trouvant les recherches de grande portée.»
    Encore faut-il savoir comment tous ces outils de Google fonctionnent, ce que la plupart des utilisateurs ne savent pas. À partir de quelles données Google Scolar calcule l'index de citation? Quelles sont la couverture et les sources de Google Scolar?
    Et les scientifiques ont-ils envie que Google décide quelles recherches sont de grandes portées? Sûrement celles dont son business en tire des bénéfices!
    Les professionnels de la recherche d'information ne croient pas que c'est «aisé de trier le bon grain de l’ivraie» avec Google.
    Cordialement