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Photo de Simon Langlois

La langue française et les études postsecondaires au Québec

Dans quelle langue –française ou anglaise– les étudiants québécois font-ils leurs études collégiales et universitaires? Le ministère de l’Éducation du Québec vient de rendre public un rapport sur la question plein d’enseignements qui ne manqueront pas d’alimenter le débat1. J’aborderai dans ce billet le choix de la langue d’enseignement au cégep et à l’université par les jeunes Québécois de langue maternelle «tierce» (non française ni anglaise ni autochtone).

Cette question est importante du point de vue de la francisation des immigrants, car c’est au collège et à l’université que les étudiants font l’apprentissage de savoirs marqués par la culture et qu’ils y font des rencontres déterminantes pour le reste de leur vie: choix d’un conjoint, établissement d’un réseau d’amis et de collègues d’études qui sera activé plus tard en toutes sortes d’occasions, etc. Fréquenter le collège et l’université de langue française pendant 5 à 8 ans (selon le choix des programmes d’études) s’avère donc déterminant pour la francisation des jeunes qui n’ont pas le français comme langue maternelle et pour leur intégration à la société québécoise qui entend faire du français la langue commune.

La langue d’enseignement au collégial choisie par les allophones
La loi oblige les jeunes allophones à fréquenter les écoles de langue française, sauf les étudiants de langue maternelle tierce admissibles à fréquenter l’école anglaise (jeunes dont la famille est en séjour temporaire au Québec, par exemple). Le rapport du ministère de l’Éducation souligne que ces jeunes ont étudié en français dans une proportion de 85,4% au secondaire en 2010-2011.

Ayant obtenu leur DEC, ces jeunes ne sont plus tenus par la loi de fréquenter le système scolaire francophone. Au total, 53% des 7261 étudiants allophones nouvellement inscrits à l’enseignement collégial en 2010 ont choisi de poursuivre leurs études en français contre 47% en anglais. La proportion d’étudiants allophones qui ont choisi le français au collégial était de 43,1% en 2000 et de 15% vingt ans plus tôt. Après avoir progressé rapidement pendant les années 1980, le taux de fréquentation des cégeps francophones avait fait du sur place pendant toutes les années 1990 (autour de 43%), mais il est de nouveau remonté, lentement, dans les années 2000. Rappelons que la stagnation des années 1990 avait provoqué un débat public sur l’obligation pour les nouveaux arrivants de faire leurs études collégiales en français.

Le taux de passage au cégep de langue française grimpe cependant à 68% chez les allophones qui ont étudié en français au secondaire en 2010, alors que les jeunes allophones admissibles qui avaient étudié en anglais (autour de 15% du total) ont poursuivi leurs études au collégial dans la même langue presque à 100%. La proportion de 68% est celle qui doit retenir notre attention, car elle caractérise les choix faits par «les enfants de la loi 101», 35 ans après son adoption.

La proportion de 68% caractérisant le choix par les étudiants de langue maternelle tierce d’un collège de langue française est cependant encore faible du point de vue de l’objectif de la francisation des immigrants au Québec, mais il faut reconnaître que ce pourcentage est en croissance et qu’il est nettement supérieur à ceux observés dans les années 1980 et 1990.

La composition linguistique des universités québécoises
La situation observée à l’université est différente et plus complexe du point de vue de la composition linguistique.

Je présente d’abord le portrait d’ensemble du réseau universitaire, qui compte environ 200 000 étudiants aux études dans les établissements de langue française, et 65 000 dans celles de langue anglaise. Au total, 3 étudiants québécois sur 4 fréquentent donc une université de langue française. Dans tout le réseau québécois, il y a 70% de francophones, 15% d’anglophones et 15% d’allophones (langue tierce).

Ces personnes ne sont cependant pas toutes originaires du Québec, car les universités recrutent beaucoup d’étudiants canadiens (hors Québec) et étrangers. Il faut donc en tenir compte dans nos analyses en effectuant certains calculs et recoupements à partir des données compilées par le ministère. Il y avait en effet 198 938 étudiants considérés comme étant des «résidents québécois» en 2010, contre 65 788 non-résidents au moment de l’inscription.

Au total, 83% des résidents québécois fréquentent une université de langue française et 17%, un établissement de langue anglaise. La forte proportion d’étudiants inscrits dans les universités québécoises anglophones rapportée plus haut (environ 25%) ne s’explique donc pas par l’attrait qu’elles représentent pour les résidents du Québec, mais plutôt par la forte présence de non-résidents au sein de ces dernières.

Les choix linguistiques des étudiants de langue maternelle tierce à l’université
Il y a au total 39 655 étudiants de langue maternelle tierce dans le système universitaire québécois. De ce nombre, 36% sont des résidents du Québec et 64% viennent de l’extérieur. Où s’inscrivent ces étudiants? Au total, 57,3% de tous les allophones fréquentent les établissements francophones et cette proportion monte à 60,6% chez les allophones qui résident au Québec. Cette fois encore, ces proportions indiquent une bonne progression de l’attrait que les universités francophones exercent sur les étudiants d’origines diverses, y compris sur les étudiants provenant de l’étranger.

Les étudiants de langue maternelle tierce résidents du Québec choisissent donc d’étudier en français dans une proportion relativement élevée (60,6%), contrairement à une idée répandue que ces derniers préfèrent poursuivre leurs études à l’Université Concordia ou à l’Université McGill.

Le poids démographique des francophones étant considérable au Québec, la proportion que les allophones et les non-résidents représentent au sein des universités francophones est forcément réduite –soit 6,9% en 2000 et 11,4% en 2010–, ce qui est moins le cas dans les universités anglophones où les proportions sont de 24,2% en 2000 et de 26% en 2010. Les étudiants de langue maternelle tierce y ont donc une présence relative plus importante et une visibilité accrue, notamment parce que la population des Anglo-Québécois (langue maternelle anglaise) a diminué depuis 30 ans.

Autrement dit, les universités québécoises de langue française tirent assez bien leur épingle du jeu en recrutant une part grandissante des étudiants de langue maternelle tierce, part qui dépasse maintenant nettement la moitié du total. En chiffres absolus, il y avait 8638 étudiants allophones et résidents du Québec dans les universités de langue française contre 5616 dans les universités de langue anglaise. Les non-résidents de langue tierce sont encore plus nombreux: 14 084 dans les universités de langue française et 11 317 dans les établissements anglophones.

Les francophones québécois attirés par les études universitaires en anglais
Complétons le portrait. Un certain nombre de Québécois francophones font leurs études universitaires en anglais, soit 5,8% de l’ensemble (ou 9498 personnes) et leur présence compte pour 14,6% des 65 000 étudiants du réseau universitaire anglophone. Ils sont donc numériquement plus nombreux au sein des universités de langue anglaise que les allophones résidents québécois (au nombre de 5616).

Dans quelle mesure les francophones venant de l’extérieur du Québec préfèrent-ils fréquenter des universités de langue anglaise au Québec? La question –on le sait– a été soulevée à propos des étudiants français venant étudier au Québec dans le cadre des accords avec la France. Le rapport du ministère de l’Éducation ne donne pas cette statistique précise, mais notre calcul permet d’estimer à 2751 le nombre total de tous les francophones résidents en dehors du Québec inscrits dans l’une ou l’autre université québécoise de langue anglaise (1610 en 2000), ce qui est finalement peu.

Conclusion
Les «enfants de la loi 101» se sont tournés en majorité vers les collèges et universités de langue française et les tendances sont à la hausse depuis les années 2000. L’interprétation de ces statistiques soulève cependant l’éternelle question du verre à moitié plein ou à moitié vide. Certains diront que les taux de fréquentation des établissements postsecondaires de langue française sont trop bas. Mais il importe aussi d’observer la tendance de fond qui, elle, est en hausse, ce qui est un indicateur de progrès dans la francisation des nouveaux arrivants.

Les universités de langue française attirent une bonne part d’étudiants de langue maternelle tierce et d’étudiants non résidents du Québec. Depuis les années 2000, les collèges et universités de langue française au Québec sont en mutation du point de vue de la composition linguistique et ethnique, comme c’est le cas depuis plus longtemps pour les établissements anglophones partout en Amérique du Nord.

1 Le rapport est disponible sur le site du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport au www.mels.gouv.qc.ca/sections/publications/publications/IndicLinguistiquesDomaineEduc2011_p.pdf. Les chiffres cités sont tirés du rapport, mais j’ai aussi effectué certains calculs afin de présenter autrement les données très agrégées ou pour effectuer des distinctions qui ne sont pas faites dans le document.

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  1. Publié le 6 août 2012 | Par Raymond Saint-Arnaud

    Il n’en reste pas moins que 40% des allophones choisissent l'anglais au collégial et à l'université, ce qui n'est pas normal au Québec. Les vrais anglos ne sont qu'autour de 8% au Québec, alors ils attirent 5 fois plus de relève que leur poids numérique.

    Il existe au Québec un scandale systémique et récurrent: alors que la population anglophone du Québec est de moins de 10% de la population totale, les collèges et universités anglophones du Québec reçoivent 26% des subventions gouvernementales. Ce qui revient à dire que les universités francophones ne reçoivent pas la juste part qu'elles devraient avoir. Le Québec finance lui-même son assimilation à l'anglais.

    Pour une question de justice envers la majorité, il est grand temps que le réseau d'enseignement anglophone au Québec ne soit subventionné qu'au prorata de la proportion de véritables anglophones au Québec, et ce, à tous les niveaux: primaire, secondaire, et surtout aux niveaux collégial et universitaire.

    Le temps presse. Presque la moitié des allophones vont au cégep et à l’université en anglais, et commencent ainsi leur vie sociale et adulte en anglais: la meilleure recette pour qu’ils restent anglophones le reste de leurs jours! Alors, avec 55 000 nouveaux immigrants par année, proportionnellement plus que tout autre pays qui n’est même pas menacé de survie, la tendance est très inquiétante pour le peuple québécois. Imaginons la situation dans 10 ou 20 ans si un vigoureux coup de barre n'est pas donné...

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