Regards sur la société
Publié le 15 février 2013 | Par Simon Langlois
Démocratie parlementaire en crise
La démocratie parlementaire se porte mal en ce moment au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde. À bien des égards, ce qui se passe chez nous est un exemple d’une crise plus profonde qui secoue les régimes parlementaires et hypothèque la transition vers le parlementarisme dans les régimes autrefois autoritaires.
Les raisons du cynisme
Plusieurs raisons expliquent la défection envers les parlementaires élus et le cynisme des citoyens. La corruption occupe le devant de la scène ces temps-ci au Québec avec les travaux de la commission Charbonneau. Le monde municipal est éclaboussé par des scandales, et les liens entre les corrupteurs d’un côté et les femmes et les hommes politiques corrompus de l’autre n’aident pas à redorer la fonction d’élu. L’important cependant est de prendre note qu’on peut faire enquête et jeter la lumière sur «les affaires», sans oublier la possibilité de remercier le gouvernement qui ferme les yeux sur –ou profite de– la corruption. Mais des raisons plus profondes expliquent les difficultés actuelles et à venir de la démocratie parlementaire.
Tout d’abord, l’endettement élevé limite la marge de manœuvre des parlements des sociétés développées et la faible croissance économique a réduit les recettes fiscales. Or, les États ont été amenés par le passé à répondre aux demandes croissantes d’intervention dans tous les domaines –réduire la pauvreté, financer l’éducation et la santé, construire des routes, aider la recherche, etc.– en augmentant graduellement les impôts depuis 50 ans tout en s’endettant. Cela est moins possible et il faut désormais arbitrer les demandes qui continuent de croître (les raising expectations, bien documentées par les sociologues) et les revendications en provenance des lobbys de toute sorte et des minorités actives mieux organisées. Impossible d’augmenter toujours plus les taxes alors que les besoins ressentis s’accroissent, que la population vieillit (plus de dépenses en santé), que les étudiants réclament la gratuité scolaire, que les chercheurs crient famine et que les routes exigent d’être réparées… Il faudra donc faire des choix, et les parlements et les conseils municipaux doivent rester des lieux privilégiés pour le faire.
Une raison plus structurelle explique aussi la déception des électeurs dans les mois qui suivent l’élection d’un vainqueur. Le jeu électoral amène les politiciens en campagne électorale à promettre bien plus qu’ils ne peuvent livrer une fois élus. Ce fut le cas du président Obama lors de son premier mandat. «Yes we can» laissait entrevoir un monde meilleur pour son pays, mais le président américain a (trop?) dû composer avec la dure réalité de la crise et avec la force de l’opposition. Il en va de même en France à la suite de l’élection du gouvernement socialiste: il n’a pas encore honoré ses promesses. Autre exemple: après avoir été porteur d’espoirs, le printemps arabe a infligé bien des désillusions.
Plus largement, dans un contexte de croissance lente, nous entrons dans une société impliquée dans un jeu à somme nulle: ce qui est accordé à un groupement ou à un projet devra être enlevé à un autre. Les dépenses en santé croissent plus fortement que les sources de revenus de l’État; il faut en conséquence que ce dernier coupe ailleurs pour les financer. Et si l’État choisit d’augmenter les impôts des plus riches pour financer la santé (voir le dernier budget du gouvernement Marois), il ne pourra pas s’engager à la même hauteur dans d’autres missions, comme la lutte à la pauvreté, l’aide à la recherche, le développement des régions, et il coupera dans de petits programmes (comme ceux qui sont gérés par l’Association internationale des études québécoises que je connais bien) et qui sont en dehors de l’écran radar des grands médias. En période de forte croissance, l’État pouvait en donner un peu à tout le monde. Ce n’est plus le cas. Il faut faire de l’arbitrage, d’où l’entrée en jeu des lobbys de toutes sortes et des minorités actives qui réclament la «démocratie directe» ou «la démocratie citoyenne».
L’attrait de la démocratie directe
Dans ce contexte, la table est mise pour l’action directe des groupes de citoyens et des minorités actives qui vont faire pression sur les gouvernements en place et les partis politiques. Aux États-Unis, le Parti républicain est ainsi devenu l’otage d’une minorité bien organisée (le Tea Party). Dans ce contexte, elle a orienté l’action du Parti républicain dans la promotion d’intérêts particuliers radicaux, une tendance qui a compté dans l’explication de ses insuccès électoraux au niveau national (la présidence) et dans celle de ses succès dans les milieux où cette minorité est concentrée et peut remporter des sièges.
Au Québec, l’expression «démocratie citoyenne» traduit bien cette montée des minorités actives, bien organisées. Si l’État ne peut plus répondre aussi favorablement aux demandes les plus pressantes, les porte-parole des minorités citoyennes crient dans les médias et les lobbys s’activent en coulisse… Les minorités agissantes critiquent certaines actions du gouvernement comme si celui-ci n’était plus soudainement au service des citoyens. Faut-il rappeler que les élus sont précisément choisis par les citoyens dans des votes démocratiques, ce qui n’est pas aussi clair dans le cas de nombreux porte-parole autoproclamés des groupes d’intérêt et des minorités actives.
Pour des idées claires
Dans son récent livre Croire et savoir. Penser le politique, le moral et le religieux (2012), Raymond Boudon avance une raison plus fondamentale susceptible d’expliquer le désabusement des populations. «De bonnes institutions ne peuvent pas grand-chose si les idées sont confuses. Tocqueville avait insisté sur le thème que les institutions ne peuvent rien sans les mœurs, c’est-à-dire que de bonnes institutions sont impuissantes si les idées véhiculées par les élites responsables de leur fonctionnement sont incertaines» (p. 12). Il faut donc que les assemblées parlementaires et les conseils municipaux redeviennent des lieux respectés où se feront les débats et, surtout, où se prendront les décisions en fonction du bien public. Les gouvernants devront bien entendu être sensibles aux demandes qui viennent de la rue et aux attentes des citoyens qui les ont élus, mais ils devront aussi «avoir les idées claires» et, pour ce faire, les connaissances scientifiques (permettez que je prêche pour ma paroisse professionnelle d’universitaire!) les aideront dans cette démarche.
Le Sommet sur l’enseignement supérieur au Québec sera fascinant à observer. Divers groupes d’intérêt y défendront leurs positions, allant des associations étudiantes avec leurs points de vue diversifiés, aux recteurs de nos universités et aux syndicats jusqu’aux experts invités, mais les citoyens que nous sommes s’attendent à ce que nos élites aient les idées claires, pensent au bien commun et respectent le fait que, in fine, les choix devront être faits par ceux que les citoyens ont élus.
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