Propos d'un écoloquace
Publié le 10 décembre 2013 | Par André Desrochers
Corrélation = cause: erreur!
Cum hoc ergo propter hoc. Non, mon autocorrecteur ne fait pas défaut! Je viens tout juste d’apprendre que c’est la manière latine d’exprimer la fausseté selon laquelle s’il y a corrélation, il y a cause. Merci Wikipédia! Bien sûr, on nous enseigne très tôt à l’école que c’est faux: si 2 choses coïncident, il ne faut pas conclure que l’une cause l’autre. Et pourtant, cette erreur de logique (sophisme, si vous préférez) semble impossible à éradiquer de la tête des gens. J’imagine que notre propension à voir des relations de cause à effet partout a des origines évolutives. Sans être anthropologue, je suppose aisément que les australopithèques avaient intérêt à voir un lien de causalité entre la présence d’un grand prédateur dans les environs et la disparition mystérieuse de certains membres du clan.
Mais comme d’autres aspects de notre héritage évolutif, cette tendance à voir des causes partout peut finir par faire un tort énorme à nos sociétés. Pensez juste aux partis politiques qui s’approprient la cause des bonnes nouvelles tout en attribuant au parti précédent les tendances socioéconomiques peu reluisantes, le tout sans aucune démonstration scientifique. Cette semaine, je porte donc le chapeau du prof de statistiques et mitraille, juste pour vous, quelques illustrations divertissantes du phénomène que j’ai vues passer ces dernières semaines.
L’eau monte
C’est fou le nombre de choses qui ont augmenté depuis ma naissance… Le niveau des océans, le PIB, le Dow Jones, les écureuils noirs, la consommation de chips au vinaigre, les cônes orange, la température, les selfies, le nombre de lames sur les rasoirs, les crapauds à 2 têtes, le tour de taille des Américains, les indignés, les burqas, le CO2 dans l’air et j’en passe, bien sûr. Et malgré la première phrase de ce paragraphe, non, cela ne serait pas dû à ma naissance! Vous aurez compris, avec raison, que la plupart de ces phénomènes sont probablement causés par l’augmentation de l’empreinte humaine sur cette planète.
Prenez les aliments
Là où le bât blesse, c’est quand on choisit 2 tendances, qu’on les aligne et qu’on claironne qu’une cause l’autre. Je ne suis pas plus diététicien qu’anthropologue, mais n’en déplaise à ma collègue blogueuse Simone Lemieux et aux autres scientifiques de la nutrition que je respecte, je me suis toujours méfié des chroniques nutrition grand public. Elles mériteraient selon moi la palme du cum hoc ergo propter hoc. Un jour, il faut se nourrir de brocoli pour réduire les cernes sous les yeux, puis on se fait dire la semaine suivante (j’exagère à peine) qu’il faut finalement mettre la pédale douce sur cet aliment, car il causerait la diverticulose. Plus sérieusement, je vous invite à lire un texte récent que ma blonde m’a fait découvrir, démolissant à son grand dam le best-seller1 d’un cardiologue sur les méfaits du blé.
Ou le climat
Un autre exemple est celui du lien entre l’augmentation du CO2 dans l’air et la hausse des températures. Le lien est plutôt ténu actuellement (le CO2 monte toujours, mais la température atmosphérique ne suit plus depuis 15-20 ans). N’empêche, combien de fois ai-je lu ou entendu que la hausse récente de ces 2 mesures démontre une relation de cause à effet béton? Cette logique me rappelle la blague des pastafaristes, illustrée ci-dessous, qui se moquent ouvertement des croyances religieuses. Je sais que dans le cas du climat, la «démonstration» apportée par les personnes qui croient à l’hypothèse anthropique va plus loin que cela, mais les médias font souvent l’économie de ce genre de subtilités et, trop souvent, la population avale tout cela allégrement.
La science du culte du cargo
Le légendaire et défunt Richard Feynman, une de mes idoles, prononçait en 1974 un discours remarquable sur la cargo cult science. Pour résumer, il racontait l’histoire d’un peuple insulaire du Pacifique à qui l’armée américaine avait livré des denrées par avion durant la Seconde Guerre mondiale. Voulant reproduire l’apparition de cette manne apportée par les militaires dont il ne connaissait rien, le peuple en question s’est mis à fabriquer des imitations d’avions et des poupées identiques aux soldats qu’ils avaient vus (casques d’écoute en bouts de bois, antennes en bambou, etc). La scène était parfaitement imitée, mais aucune denrée n’arrivait. Feynman voyait dans cela un avertissement aux scientifiques de ne pas sauter aux conclusions sans comprendre les aspects fondamentaux d’un phénomène (ici l’arrivée nécessaire d’un avion), de toujours remettre en question les résultats scientifiques. Il mitraillait du même coup les sciences dont les fondements théoriques sont souvent faibles (marketing, politique, psychoéducation, etc.2).
Je ne peux appuyer mon affirmation sur des chiffres (honte à moi, direz-vous!), mais j’ai l’impression que la pseudo-science augmente actuellement plus vite que le nombre de nids de poule à Montréal. Pas surprenant, vu la croissance du nombre de scientifiques bons et moins bons et surtout, des outils d’analyse puissants à la portée de ceux-ci. Pas plus surprenant que de trouver de la tôle froissée après avoir offert des Ferrari à une masse croissante d’apprentis au volant. Je m’égare. Donc, il est devenu facile maintenant de torturer vos données avec des outils d’analyse exploratoire jusqu’à ce qu’elles produisent le résultat qui correspond à vos attentes, à votre idéologie et surtout, à celle de vos bailleurs de fonds ou de vos éditeurs de revues scientifiques. Cela est particulièrement vrai en écologie, où la complexité des phénomènes a de quoi étourdir le plus concentré des scientifiques, ouvrant de nombreuses brèches dans la digue de la pensée magique. Tout n’est pas perdu cependant, des techniques avancées permettant de plus en plus d’éliminer de nombreux effets confondants dans les systèmes complexes3.
Retour aux sources
Comme je ne peux me contenter de tirer dans toutes les directions sans offrir quelque chose de positif, je termine en offrant humblement ce conseil aux utilisateurs et aux créateurs du savoir : remettez TOUT en question, surtout l’autorité apparente des sources, et construisez VOTRE pensée! Et aux créateurs de la science : dépoussiérez vos notes de cours de cégep et redécouvrez les mérites de la méthode scientifique, basée sur les expériences reproduites, randomisées et avec manipulation de la cause soupçonnée, si possible. C’est tout simple quand on y pense, c’est juste une question de rigueur.
1 Davis, W. 2012. Wheat Belly. Collins, Toronto. ↩
2 L’écologie était probablement encore sous son écran radar! Si vous vous intéressez à la démolition des sophismes de la science molle, une parution récente pourrait vous intéresser: Baillargeon, N. 2013. Légendes pédagogiques, l’autodéfense intellectuelle en éducation. Poètes de brousse. ↩
3 Pour les amateurs de statistiques, pensons aux équations structurelles. ↩
Publié le 26 décembre 2013 | Par Valérie Levée
Dans ce billet, je partage en bonne partie votre point de vue mais le vocabulaire de votre dernier paragraphe me questionne. Vous parlez de «créateurs du savoir» et de «créateurs de la science». La science est-elle quelque chose qui se crée?
Publié le 18 décembre 2013 | Par Hélène Tardif
Par ailleurs, dans votre «Retour aux sources», j'irais plus loin. Je crois que le doute est le principal incitatif à la découverte. Sans doute, sans questionnement, pas de progrès. C'est ce que j'ai retenu de plus utile de ma formation. Doutez de tout: des nouvelles dans le journal, des enseignements de vos professeurs, des prévisions boursières, des promesses de nos politiciens, des conclusions de vos livres scolaires, des conseils des experts. Lorsque vous aurez rassemblé les connaissances vous permettant de vous faire votre propre opinion, vous aurez fait l'acte le plus humain et le plus utile qui soit: développer votre pensée et votre jugement. Vous saurez alors pourquoi vous croyez en quelque chose.
Publié le 18 décembre 2013 | Par Terry Girard
Publié le 16 décembre 2013 | Par André Desrochers
Tout à fait d'accord avec vos nuances. La critique du livre Wheat Belly se trouve ici: http://demeter.uqar.ca/Triticum/index.php/Accueil
Au plaisir de vous relire.
Publié le 15 décembre 2013 | Par Simone Lemieux
Merci pour ce clin d'œil!
Bien sûr le domaine de la recherche en nutrition n'échappe pas aux interprétations erronées provenant d'études corrélationnelles. Cependant, je ne crois pas que ce soit principalement cela qui puisse expliquer les messages contradictoires véhiculés quant aux effets des aliments sur la santé. Pour que des résultats soient réellement contradictoires, il faudrait répéter une étude d'intervention nutritionnelle dans des conditions identiques (même population à l'étude, même devis expérimental, même intervention nutritionnelle, mêmes variables dépendantes étudiées, etc.) et obtenir des résultats différents. C'est rarement ce genre de comparaison qui alimente le discours voulant qu'un aliment passe facilement de héros à zéro! En fait, on compare trop souvent les résultats provenant d'études très différentes sur bien des points.
Concernant le livre Wheat belly, je sais qu'il a fait l'objet de plusieurs articles/commentaires/critiques.J'aimerais bien avoir la référence de l'article dont tu parles. Merci!
Publié le 11 décembre 2013 | Par André Desrochers
Merci de communiquer vos doutes, mais je ne vois pas quelle partie de mon argumentaire repose sur l'analyse des scientifiques du GIEC. Je ne vois pas le sophisme ni le double discours (2 choses différentes). Je vous invite à préciser votre critique, et je tenterai d'y répondre plus spécifiquement.
En attendant, j'en profite pour préciser que les chercheurs alimentant le GIEC sont contraints de faire des inférences douteuses sur l'origine des fluctuations récentes des températures atmosphériques et autres phénomènes comme les volumes de glace, n'ayant bien sûr pas le loisir de 1- manipuler les sources de GES, 2- ni de randomiser ces manipulations et 3- et encore moins de les reproduire. Or, il faudrait que ces 3 conditions soient respectées pour parler formellement de causalité.
Publié le 11 décembre 2013 | Par Pierre Racine
Publié le 10 décembre 2013 | Par Gabriel Normandeau