Regards sur la société
Publié le 25 mai 2012 | Par Simon Langlois
Comprendre le mouvement étudiant québécois
Le mouvement étudiant québécois est bien plus qu’un conflit autour de la hausse des droits de scolarité. Il exprime aussi les inquiétudes d’autres segments de la population. Les jeunes ont l’énergie et la volonté de manifester sur des enjeux qui les touchent de près, certes, mais qui reflètent aussi des préoccupations plus larges.
L’inquiétude de la classe moyenne
Les universités québécoises sont fréquentées en très forte majorité par des jeunes provenant des classes moyennes issues de la Révolution tranquille. Les familles riches sont peu nombreuses au Québec, on le sait, et de toute façon elles ont les moyens de payer des droits de scolarité plus élevés. Les enfants des familles pauvres fréquentent moins l’Université, et ce, d’abord pour des raisons culturelles et pas seulement économiques, comme l’a montré Ross Finnie dans ses travaux.
Les parents de ces jeunes comprennent l’importance du diplôme qui leur a ouvert l’accès à de bons emplois et qui a favorisé l’importante mobilité sociale, individuelle mais aussi collective, qu’a connue le Québec [voir le billet Portrait d’une mutation sociale, 3 mai 2012]. Ils ont valorisé l’éducation dans la socialisation de leurs enfants et ils ont alimenté des attentes élevées chez les jeunes.
Par contre, une partie de cette classe moyenne a vu sa situation socioéconomique se détériorer depuis au moins 15 ans si on se fie aux revenus de marchés. Les paiements de transferts et la fiscalité l’ont maintenue à flot, comme je l’ai montré dans un autre billet, et l’État-providence québécois joue un rôle central dans l’accès au niveau de vie de la classe moyenne. Le virage vers la tarification ainsi que l’augmentation des droits de scolarité risquent de les toucher durement dans les prochaines années. L’État-providence québécois n’est pas en voie de démantèlement, mais sa mutation inquiète les ménages et les jeunes. Or les perceptions sont importantes. «Quand les gens perçoivent une situation comme réelle, elle est réelle dans ses conséquences», avance le théorème du sociologue W. I. Thomas.
Tous ces facteurs contribuent à la montée bien réelle des inquiétudes chez les jeunes et chez leurs parents, et les incitent à descendre dans la rue (où les casseurs les rejoignent, mais c’est une autre histoire).
La loi 78 n’a pas arrangé les choses. Elle comporte des articles très durs et largement dénoncés. Elle «porte atteinte à nombre de droits fondamentaux» (selon Louis-Philippe Lampron1) et sa contestation renforce et alimente le conflit entourant les hausses appréhendées. L’autoritarisme étatique n’est plus dans l’air du temps…
Un véritable mouvement social
Mais pourquoi les contestations ont-elles débouché sur un véritable mouvement social de large envergure? Un nouveau radicalisme a émergé ces dernières années, dans lequel s’inscrit le mouvement «Occupy Wall Street» et celui des indignés. Bon nombre de personnes s’indignent en effet des salaires faramineux et des primes que se versent les CEO des grandes compagnies, s’indignent devant la financiarisation, contestent les délocalisations ravageuses en vue de maximiser les profits. Le plus souvent, ces enjeux étaient restés abstraits ou éloignés, localisés dans certains secteurs (l’industrie du bois) ou dans des milieux particuliers. La corruption étalée sur la place publique et le gaspillage de fonds publics (l’ilôt Voyageur de l’UQAM, le fiasco de la Gaspésia) avaient alimenté le cynisme, mais la contestation publique se limitait principalement aux militants bien politisés.
La proposition de hausser les droits de scolarité a changé la donne. Elle a cristallisé la critique sociale autour d’un enjeu cette fois bien précis et palpable qui touche de près les étudiants des collèges et des universités. Il suffit parfois d’un rien pour lancer un vaste mouvement qui a des causes latentes. Rappelons que le mouvement Mai 68 avait débuté en France par la revendication des étudiants de Nanterre de pouvoir aller rendre visite aux filles dans le dortoir de leur campus. Les jeunes d’aujourd’hui ont bien perçu que les inégalités socioéconomiques croissantes les toucheraient eux, personnellement, de manière marquée. L’indignation devant les injustices devenait tout d’un coup bien concrète.
Enjeux élargis
La contestation de la hausse des droits de scolarité ne peut pas être séparée d’autres grands débats sociaux que la jeunesse a l’art de mettre sur la table tous les trente ou quarante ans, comme le montrent éloquemment l’histoire québécoise et ce qui se passe dans d’autres pays. Les jeunes font facilement le lien entre la hausse qui leur est demandée et les allégations de corruption dans la sphère publique (contrats de construction, collusions de toutes sortes) et le gaspillage de fonds publics mal gérés.
Plus largement, les étudiants nous rappellent que le financement des universités doit être mis en balance avec celui d’autres initiatives étatiques comme la construction de coûteuses routes vers le Nord au profit de compagnies privées, l’achat de F-35 à coûts de milliards de dollars. Quand on met en balance ce que rapportera les 325$ demandés en plus par année aux étudiants pour leur éducation universitaire avec les coûts du gaspillage et les coûts des autres «projets» gouvernementaux, ne faut-il pas se surprendre qu’ils protestent vigoureusement?
… mais une société divisée
La division de la société québécoise est cependant manifeste. Une partie des étudiants a refusé de s’engager dans le boycott des cours. Un clivage selon des lignes linguistiques est même apparu au Québec (les institutions anglophones ont été très peu touchées par le mouvement). Des segments de la population approuvent la hausse proposée. La société québécoise est divisée sur la question des droits de scolarité comme sur bien d’autres questions débattues tous les jours (les sables bitumineux, le financement des retraites et j’en passe).
La loi 78 a été la pire des réponses à apporter à la recherche d’une solution à la question qui divise. Au lieu de répondre aux revendications étudiantes par une véritable discussion sur les choix budgétaires de l’État, le gouvernement a choisi la solution autoritaire d’imposer son point de vue. Le «gouvernement par la rue» n’est pas la solution ni la voie autoritaire d’un gouvernement déconnecté.
1 La vie après la loi 78, Au fil des événements, 24 mai 2012, vol. 47 no 31. ↩
Publié le 6 août 2012 | Par Simon Langlois
Publié le 4 août 2012 | Par Guy Belanger
SVP laissez-moi savoir votre avis sur ma proposition.
Publié le 13 juin 2012 | Par Rémy Auclair
Vous dites «On ne peut pas laisser le néo-libéralisme détruire les acquis de la société québécoise.»
Mais qu’est-ce que le néolibéralisme a détruit au Québec?
On entend et on lit souvent ce genre de propos annonçant cette fameuse conspiration libérale, mais lorsqu’on scrute la réalité de plus près, lorsque l’on examine par exemple l’évolution des dépenses totales des programmes du gouvernement du Québec depuis le début des années 2000, force est de constater que cette conspiration n’a pas eu lieu.
En 2003, les dépenses totales des programmes de l'État québécois représentaient 19,6% du PIB. En 2011, cette proportion atteint plus de 25%. En 2003, la part des secteurs public et parapublic dans l'emploi total atteignait 24%, et, en 2011, cette part était toujours de 24%.
Nous sommes bien loin du fameux démantèlement de l’État-providence québécois.
Publié le 7 juin 2012 | Par Raymond Saint-Arnaud
On ne peut pas laisser le néo-libéralisme détruire les acquis de la société québécoise.
Mais il faudrait changer le système électoral, car l'actuel est dépassé et pourri.
Il faut mettre en place au Québec un mode d’élection uninominal à deux tours associé à un certain degré de représentation proportionnelle.
Un tel système électoral serait éminemment démocratique, contrairement à l’absurde et dépassé système britannique de bi-partisme et de gouvernement-opposition.
Nous aurions alors un gouvernement réellement représentatif de la majorité de la population, soit au moins 50% plus 1.
Publié le 26 mai 2012 | Par Michel Després
Concernant le clivage des universités, effectivement, il semble y avoir là une différence que je serais curieux d'approfondir.
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