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Photo de André Desrochers

Calculs sur le dos d’une enveloppe

Un rapport de la société Audubon sur l’avenir prochain des oiseaux d’Amérique du Nord en lien avec la catastrophe climatique annoncée est sorti en grande pompe, il y a quelques jours. Si vous lisez le moindrement la presse électronique, vous êtes probablement tombé sur un article présentant ce rapport. Rapport, dis-je? Enfin, un communiqué de presse, un beau site Web, mais le «rapport» en question demeure introuvable. Peu importe, le site d’Audubon nous avertit: 314 Species on the Brink. Le tout, bien sûr, avec une image alarmiste montrant un grand chevalier (oiseau de rivage) marchant sur un sol argileux écaillé qui ferait paraître la Somalie comme un éden1.

SiteAudubon

Des limites à pousser l’enveloppe climatique
Pushing the envelope,comme dit l’expression populaire anglophone. Ou «repousser les limites». L’expression prend ici tout son sens, car le petit dernier de la société Audubon se base sur des modèles dits «d’enveloppe climatique». Les scientifiques de ce groupe de pression ont utilisé les données provenant de 3 décennies d’observations provenant du Christmas Bird Count et du Breeding Bird Survey ainsi que des données climatiques actuelles pour définir les «conditions climatiques favorables» dont chaque espèce d’oiseau a supposément besoin pour survivre. Mettons.

Ce type d’exercice futile de modélisation est devenu populaire avec la parution d’un article de Thomas et collaborateurs2 dans la revue Nature, en 2004. Basé sur des données concernant 1103 espèces végétales et animales, cet article annonçait la disparition prochaine d’environ un quart de ces espèces, selon le scénario climatique choisi. On attend toujours… Qu’importe, cet article a inspiré une pléthore d’autres études du même genre, lançant moult chercheurs dans la houleuse science du climat, dont le prérequis d’entrée semble se limiter à une adhésion indéfectible au dogme futuro-dystopique.

Malheureusement pour Thomas et ses disciples, cette approche a été sérieusement remise en question depuis; par la réalité, notamment. Par exemple, des chercheurs européens ont montré que, 68% du temps, cette méthode ne s’avère pas plus efficace que de tirer à pile ou face lorsque confrontée à de réelles données sur les oiseaux d’Europe3.

Il existe sans doute un grand nombre d’études empiriques critiques de l’approche choisie par Audubon, mais, de toute manière, on a nul besoin de données empiriques pour discréditer la méthode sous-jacente aux études du genre. En effet, ces exercices ne peuvent présenter, a priori, un portrait juste de la réalité, car ils négligent de nombreux éléments évidents: compétition interspécifique, adaptation phénotypique, adaptation darwinienne à court terme, changements dans la tenure des terres, et j’en passe. Ces phénomènes interagissent probablement entre eux, et de manière non linéaire dois-je bien sûr ajouter en bon écologiste. Continuer d’utiliser ces modèles d’enveloppe climatique relève de la naïveté, de l’incompétence ou d’autre chose que je ne peux nommer dans les blogues de Contact.

Comme si ce n’était pas suffisamment ridicule, on a relié, pour faire les prévisions, ces modèles d’enveloppe climatique aux fameux «scénarios climatiques» du GIEC, qui sont aussi complètement dans les patates4. Sans parler du fait qu’on doute de plus en plus de l’attribution de tout ce tralala climatique aux humains (à moins de fermer les yeux devant les recherches et les données récentes).

Méthode naïve jumelée à des modèles climatiques dysfonctionnels: tout ce qu’il faut pour miner encore plus la crédibilité de la communauté des chercheurs en écologie et de la science en général, la population n’ayant pas toujours le temps de faire les distinctions appropriées.

Complaisance médiatique
Dans les salles de presse,  tout le monde se hâte de twitter et de retwitter tout et n’importe quoi. Alors quand arrive un communiqué comme celui d’Audubon, avec des déclarations fracassantes, c’est bien sûr la course à qui publiera le scoop le plus vite. Et tant pis pour les nuances. Pris entre la Cause et la Science se trouve le pauvre scientifique pressé de faire connaître ses travaux à coups de communiqués de presse, avant même que le processus critique réel auprès des pairs (formellement désignés ou non) n’ait eu le temps de se faire.

Ainsi, les gens se font dire: «La catastrophe s’en vient!» par des journalistes couvrant l’environnement qui ont mieux à faire que d’enquêter un peu sur la véracité des choses avancées dans les communiqués. Ensuite, la population lance la serviette, se disant: «Et puis merde, je n’y peux plus rien, tout va sauter de toute manière» pour, quelques années plus tard, se rendre compte qu’il n’y avait pas tant de problèmes, et qu’on a crié au loup.

Je vois peu d’avantages au fait de vieillir, mais cela m’aura au moins permis de passer à travers quelques cycles de «criage au loup» au moyen de slogans et de campagnes médiatiques qui ont longtemps terrorisé la population au sujet de l’environnement. Fort heureusement, les gens semblent être devenus moins crédules avec le temps. Personnellement, j’ai développé des anticorps contre ces attaques non fondées.

Cessons de regarder ailleurs
Ce qui me préoccupe le plus dans tout cela, c’est la morale sous-jacente à ce brouhaha lancé par les agitateurs d’Audubon. Ce qu’on doit lire entre les lignes, c’est que nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour sauver nos oiseaux. Remarquez que réduire nos émissions est une excellente idée, car cela signifie réduire notre consommation générale. Je tente tant bien que mal de réduire la mienne en me privant d’un tas de bébelles dont je n’ai pas vraiment besoin. Comme une automobile. Mais il semble de moins en moins plausible que la réduction des GES par des traités internationaux se produise. De toute manière, l’impact des émissions humaines de GES sur les changements climatiques récents soulève de plus en plus de doutes, n’en déplaise à ceux qui nient les tendances récentes.

Mais hélas, pendant qu’on essaie, dans le monde, de régler le pseudo-problème des émissions de gaz à effet de serre au rythme de 1 milliard US$ par jour, on tourne le dos à des problèmes plus réels et immédiats auxquels les oiseaux sont confrontés quotidiennement. Par exemple, les grandes monocultures agricoles, la déforestation tropicale ou le dérangement par les humains des sites migratoires de bécasseaux. Dans un article publié dans le magazine Science, BirdLife International nous dit que la gestion efficace de tous les sites terrestres d’importance de la planète pour la conservation des oiseaux coûterait 65,1 milliards US$ par an, soit 65,1 jours de tentative de réduction des émissions de GES…

Alors si vous me demandez ce qu’on peut faire, rapido, pour sauver les oiseaux, je vous répondrai qu’on devrait prendre une partie de l’argent consacré à lutter contre les GES et l’utiliser pour régler les vrais problèmes qui affectent les oiseaux.

1 Le sol desséché en écailles est devenu un cliché visuel des changements climatiques. Tellement 2000!

2 Thomas, et al. 2004. «Extinction risk from climate change». Nature 427: 145-148.

3 Beale et al. 2008. «Opening the climate envelope reveals no macroscale associations with climate in European birds». Proceedings of the National Academy of Sciences 105: 14908-14912.

4 La figure 1.4 du dernier rapport du GIEC est un extraordinaire exercice de camouflage. Je vous invite à voir les tendances illustrées par d’autres sources.

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