Regards sur la société
Publié le 8 mars 2018 | Par Simon Langlois
7 effets des hausses salariales chez les médecins
La rémunération des médecins ne soulève pas seulement un important enjeu d’équité salariale au sein de notre société –maintes fois évoqué dans les débats publics–; les hausses de revenus considérables consenties à ces derniers ont aussi d’importantes implications politiques. En voici au moins 7.
1- Déséquilibre au sein du système de santé
Les urgentologues se plaignent que les urgences sont congestionnées (manque de lits, manque d’infirmières). Les médecins spécialistes veulent des salles disponibles plus longtemps pour opérer plus de patients. Mais pour satisfaire ces demandes légitimes et essentielles au bon fonctionnement du système de santé, il faut prévoir des sommes d’argent pour les autres fonctions au sein de l’hôpital (soins postopératoires, infirmières, lits supplémentaires, etc.). Si la part qui va aux médecins augmente trop vite, il reste moins de ressources pour tout le reste. Les patients sont pénalisés, et les conditions de pratique des médecins se détériorent, comme ils sont les premiers à le déplorer.
2- Pressions sur les nouveaux besoins en santé
On sait depuis longtemps que les dépenses publiques dans le domaine de la santé sont appelées à croître dans les années à venir à cause du vieillissement de la population. Plus de soins à domicile, plus de soins en CHSLD, mais aussi de nouveaux traitements médicaux plus coûteux, des équipements sophistiqués, des hôpitaux neufs à faire fonctionner, etc. Si l’on donne davantage à certains groupes de professionnels, il en restera moins pour financer ces nouveaux besoins croissants en santé.
3- Manque d’équité entre professionnels de l’État
L’État québécois rechigne à donner des augmentations à ses professionnels qui travaillent dans différents ministères, exceptés à ceux du système de la santé. Travailleuses sociales, ingénieurs, informaticiens, administratrices, diététistes, bibliothécaires: leur travail est essentiel au bon fonctionnement de notre société. Après tout, le Québec n’est pas un immense hôpital à gérer. Il est une société complexe qui fait appel aux compétences de divers professionnels au sein de sa fonction publique. Ces derniers méritent aussi leur juste part, mais le gouvernement actuel est moins sensible à leurs demandes légitimes qu’il l’a été pour les revendications des spécialistes en santé.
J’ajouterai: équité entre professionnels diplômés universitaires, certes, mais aussi équité pour l’ensemble des employés de la fonction publique québécoise, il ne faudrait pas l’oublier.
4- Déséquilibre entre les postes budgétaires de l’État
L’équilibre entre les postes budgétaires de l’État est l’un des aspects les plus importants à considérer. La santé, au sens large, accapare déjà plus de 50% des ressources de l’État provincial, en hausse depuis 20 ans pour des raisons connues (besoins croissants, vieillissement de la population, etc.). Or, les autres fonctions d’un État moderne sont importantes elles aussi. L’éducation, la culture, les infrastructures, l’accueil des immigrants, les congés parentaux, la sécurité sociale, les relations internationales, l’administration de la justice, etc. exigent des ressources. Mais le budget de l’État n’est pas illimité et on observe déjà une contraction de la part dévolue dans bon nombre de ces postes budgétaires. Si les dépenses en santé croissent plus vite que l’entrée des revenus, les autres domaines en souffriront forcément. Au-delà des arbitrages normaux, il faudra couper drastiquement dans ces derniers.
En ce moment, la reprise économique et l’embellie budgétaire masquent en partie la détérioration des équilibres budgétaires au sein des fonctions étatiques, mais ce ne sera pas toujours le cas. Pierre Cliche –un ancien cadre supérieur au Conseil du trésor– a livré des analyses éclairantes sur ce déséquilibre inquiétant dans La Presse et Le Soleil. La culture et la sécurité sociale (pour ne retenir que ces 2 domaines) sont des secteurs importants de notre société, mais leurs ministres n’ont manifestement pas autant de poids politique que le ministre de la Santé et des Services sociaux auprès du chef de l’État qui est lui aussi médecin.
Monsieur Philippe Couillard a récemment décoré et félicité l’écrivain Michel Tremblay pour le rayonnement de son œuvre à l’étranger, mais son gouvernement propose de couper dans le financement (déjà maigre et antérieurement réduit! ) de l’Association internationale des études québécoises qui a pourtant joué un rôle essentiel dans la diffusion des œuvres du romancier à l’étranger auprès des professeurs de français intéressés par les études québécoises. M. Tremblay a récemment dénoncé cette incohérence dans les pages de La Presse.
5- Effet d’entraînement au sein de la société québécoise
La parité salariale avec l’Ontario a été un argument clé des médecins lors de leurs négociations, il y a quelques années, avec le ministre François Legault et, par la suite, avec ses successeurs sous les gouvernements Charest et Couillard. D’autres groupes professionnels feront valoir ce même argument dans de prochaines négociations. Les policiers de Montréal et ceux de la SQ ont déjà revendiqué, par le passé, la parité avec leurs collègues de Toronto. Comment le gouvernement et la Ville de Montréal pourront-ils négocier devant le poids de cet argument dans les années à venir? Et ensuite, les policiers de Drummondville, de Québec et d’autres municipalités demanderont-ils la parité avec ceux de Montréal?
6- Vulnérabilité dans les négociations à venir avec le fédéral sur la santé
Un jour prochain, il faudra renégocier les ententes fédérales-provinciales sur la santé. Le gouvernement québécois s’est placé en situation de faiblesse en vue de ces futures négociations. Lorsqu’il fera part des besoins croissants dans le domaine de la santé, ses interlocuteurs lui répliqueront de donner moins aux spécialistes et de mieux gérer ses propres dépenses. Réponse cavalière et démagogique, certes, mais il sera malaisé pour les négociateurs mandatés par l’État de répliquer, car leur gouvernement aura prêté flanc aux remarques caustiques.
7- Contrecoups à la prochaine récession économique
Les hausses consenties aux médecins s’étalent loin dans le temps, et leurs revenus vont augmenter dans les années à venir, d’après l’entente signée. Or, qu’arrivera-t-il lorsque les entrées fiscales courantes de l’État québécois vont diminuer sous l’effet d’un creux économique ou d’une récession? La croissance des revenus de l’État est bonne en ce moment, mais la marge de manœuvre se réduira lors de la prochaine –et inévitable!– crise ou récession économique. Comment ferons-nous face aux obligations négociées sur le long terme avec les médecins spécialistes lorsque les revenus de l’État seront à la baisse? L’État aura-t-il les moyens de relancer l’économie en difficulté alors qu’il a réduit les contributions pour imprévus dans son dernier budget? On sait déjà que les sommes mises de côté seront insuffisantes pour pallier la réduction des revenus fiscaux lors d’une prochaine récession.
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Les citoyens québécois acceptent de payer des taxes et des impôts plus élevés parce qu’ils ont le sentiment d’en bénéficier collectivement et individuellement (services de garde, assurance médicaments, transports et routes, etc.). Mais le contrat social entre l’État et le citoyen payeur de taxes est fragile. Le cynisme, la critique de la corruption ou l’émergence d’un sentiment d’iniquité peuvent facilement éroder l’adhésion à un tel contrat et remettre en question les éléments à la base de la cohésion sociale. Il importe de le rappeler à celles et à ceux qui nous gouvernent.
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