Une science qui résonne
La recherche scientifique en musique s'efforce de repousser les limites de l'art pour mettre la création musicale au service de l'humain.
Propos recueillis par Mélanie Larouche
On a longtemps cru qu’art et science s’opposaient. Et s’il en était tout autrement? Lier les deux, en musique par exemple, permet de mieux comprendre l’utilité de cette forme d’art pour la société.
Professeure à la Faculté de musique de l’Université Laval, Sophie Stévance 1 a mis en place des méthodes de recherche qui interpellent différentes spécialités afin de mettre en lumière tout le potentiel de la musique pour agir favorablement sur les humains. Musicienne de formation, elle œuvre à la mise en place des conditions favorables à l’atteinte de cet objectif, qu’il s’agisse de création, de performances sportives ou d’outil thérapeutique.
Depuis quand s’intéresse-t-on à la musique comme objet de recherche?
La musicologie remonte à la fin du 19e siècle. Traditionnellement, cette science s’intéressait surtout à l’histoire de la musique. C’est un de ses aspects importants, car questionner l’histoire dans différents domaines permet de mieux comprendre l’évolution d’une société. Cela dit, aujourd’hui, la musicologie est bien plus que cela. C’est une discipline qui va plus loin, elle est plus vaste et plus inclusive. C’est pour cette raison que l’on parle désormais de recherche en musique.
Sur quoi porte la recherche en musique et à quoi peut-elle servir?
En tant que chercheurs en musique, nous travaillons avec l’idée de mieux saisir l’humain dans son entier, de même que la société, et cela par une meilleure compréhension de la musique. Nous voulons soutenir les artistes, mais aussi l’ensemble de la population, tout en participant à l’avancement des connaissances. Comment consomme-t-on la musique? En quoi est-elle si importante dans nos vies? La musique est partout, dans les stades, les ascenseurs, les supermarchés. Elle va des berceuses aux hymnes nationaux en passant par les chants traditionnels. Chacun de nous préfère différents genres et styles musicaux. Dans cette optique, je cherche par mes travaux à mettre en valeur ce en quoi la musique peut être utile pour mieux comprendre les gens sur la base de leurs relations avec cette forme d’art. Or, dans cette démarche, la recherche-création s’avère fort utile.
Qu’est-ce que la recherche-création exactement?
C’est une approche novatrice qui combine les pratiques distinctes de la création et de la recherche. La conjugaison de ces deux modèles nous permet d’atteindre des objectifs que l’on ne pourrait obtenir avec une démarche traditionnelle. En musique, par exemple, l’idée est d’observer et d’analyser les interactions entre la recherche (musicologie) et la création (pratique musicale) et ce qu’elles font émerger comme «savoir» et comme «faire».
De plus, parce que cette méthode est éminemment collaborative, elle nous permet d’aller chercher des expertises diverses pour arriver à nos fins. Ainsi, pour mieux comprendre mon objet de recherche, je fais appel à des collaborateurs comme des sociologues, des psychologues et même des ingénieurs. Je fais interagir d’autres compétences, je réunis des méthodes qui proviennent d’autres disciplines pour avoir une vision à 360o de la musique prise dans son sens le plus large possible. J’ai besoin de ces autres méthodes, certaines en sciences humaines et sociales, d’autres plus empiriques, pour mener des projets qui vont permettre de mieux comprendre les phénomènes humains observés.
1 Sophie Stévence est également directrice du Groupe de recherche-création en musique (GRECEM), membre du comité d’administration de la Société de musique des universités canadiennes (MusCan), membre du comité de direction de l’Institut du patrimoine culturel (IPAC) et membre du conseil d’administration et du comité scientifique de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM). ↩
Recherche scientifique et démarche artistique ne s’opposent donc pas?
Au contraire, elles s’alimentent. Prenez le projet de recherche-création que je mène avec mes collègues Serge Lacasse, lui aussi de la Faculté de musique, et Denis Laurendeau, de la Faculté des sciences et de génie, avec l’artiste inuite Tanya Tagaq.
Tanya pratique le chant de gorge traditionnel katajjaq, qu’elle porte sur les scènes pop avant-gardistes. Dans sa pratique artistique, elle utilise beaucoup l’improvisation. Or, l’échange entre l’artiste et le public est important en improvisation. Il favorise l’inspiration et la créativité. Notre recherche tend précisément à mieux comprendre cette dynamique, c’est-à-dire comment le public nourrit l’artiste dans son processus.
Comment procédez-vous pour y arriver?
Nous avons questionné Tanya, nous l’avons fait verbaliser à propos de sa gestuelle, afin d’en apprendre davantage sur son approche. Nous l’avons également observée et enregistrée pendant sa création pour mieux saisir le lien entre ses gestes et sa voix. Pour ce faire, nous avons sollicité l’expertise de Denis Laurendeau, afin de recueillir des données à l’aide de la technologie de capture de mouvement Vicon, qui consiste à installer des capteurs sur le corps de l’artiste pour enregistrer sa gestuelle.
Dans un second temps, nous irons encore plus loin en allant chercher les données de l’échange entre l’artiste et le public. En effet, nous allons recueillir les réactions de l’auditoire par des capteurs (battements cardiaques et mouvements) que chacun portera pendant la prestation sur scène de Tanya. Et avec une application mobile, nous demanderons aux spectateurs d’évaluer l’intensité des émotions qu’ils ressentent. L’éclairage de la salle sera en lien avec ces données, l’artiste pourra alors réagir à ce stimulus.
Il s’agit donc d’une véritable collaboration entre chercheurs et artiste…
Oui, et cette collaboration est précieuse. Elle permet à l’artiste de mieux comprendre sa démarche particulière pour pouvoir par la suite amplifier son mouvement de création et le singulariser encore plus. Car c’est là le propre du créateur: trouver son style et l’affirmer chaque fois davantage en transcendant le réel. Par exemple, notre captation des gestes de Tanya lui permet d’ajouter à sa production artistique puisque nous pouvons projeter sur écran les images de ses mouvements, ce qui lui donne une autre dimension, multimédia. De cette façon, nous poussons la notion d’improvisation à son paroxysme… et même la notion de recherche-création où la collaboration entre recherche et création est telle qu’elle démontre à quel point ces deux modèles interagissent et ont besoin l’un de l’autre pour mieux comprendre le phénomène.
La recherche en musique a-t-elle d’autres applications insoupçonnées?
Nous menons présentement un projet de recherche en lien avec le sport. Nous voulons démontrer comment la musique peut améliorer les performances sportives dans un contexte d’activité physique. Mon collègue Serge Lacasse, qui pratique le tir à l’arc, a composé une musique qui décortique toute la séquence du tir pour en arriver à optimiser ses résultats. Cette musique lui permet d’entrer dans les conditions les plus favorables pour atteindre ce qu’on nomme le flow (qui se traduit par flux, soit l’état suprême de concentration pour être prêt à tirer). Depuis cette initiative, il a remporté des championnats québécois et canadiens. Je ne sais pas s’il y a un lien de cause à effet, mais disons que, pour l’avoir observé, j’ai une forte tendance à le penser.
Cela dit, je me suis moi-même désignée comme objet d’étude en pratiquant depuis deux ans une activité sportive intense communément appelé HIIT (de l’anglais High Intensity Interval Training). Différentes données sont recueillies au cours de mes entraînements, dont mes battements cardiaques et ma progression physique. En partant du constat que les gens sont nombreux à écouter des listes de lecture (playlists) lorsqu’ils s’entraînent, nous voulons créer des musiques adaptées à leurs activités d’entraînement intensif qui répondront à leurs attentes et à leurs besoins de performance. Nous allons stimuler la progression de leur efforts physiques par des rythmes conçus en fonction des battements du cœur et des zones d’intensité à atteindre. Ces musiques seront disponibles en accès libre sur Spotify.
La musique a donc des effets vérifiables sur notre état d’esprit…
En effet. La musique en contexte d’entraînement est motivante, stimulante; elle pousse au dépassement de soi. Jusqu’ici, ces questions avaient en partie été posées par des psychologues du sport, sans pouvoir proposer des musiques adaptées aux besoins des sportifs. En tant que musicologues, et en tant que sportifs, nous pouvons composer et expérimenter ces musiques qui vont répondre au besoin des gens d’améliorer leurs performances sportives, ou simplement les motiver à bouger.
En tant que chercheurs, nous voulons toucher le plus de gens possible et répondre à leurs besoins. En ce sens, la dimension émotive de la musique est très importante. D’ailleurs, elle est déjà utilisée de multiples façons dans la société pour stimuler différents états d’esprit: l’euphorie, la relaxation, le recueillement, etc. En recherche-création, nous cherchons à exploiter cette faculté pour la mettre au service des gens qui vivent aussi de la détresse psychologique. C’est pourquoi mon collègue Serge Lacasse et son équipe travaillent en étroite collaboration avec l’Association québécoise de prévention du suicide pour concevoir des musiques qui agiront favorablement sur le mental des gens, en forte interaction avec les services d’aide.
Vous voyez, c’est ça la recherche en musique: c’est de continuer à trouver de nouvelles approches pour que la musique puisse soutenir le développement harmonieux de la société, de l’humain, sous tous ses aspects et dans toute sa diversité.
Publié le 12 novembre 2018
Publié le 11 décembre 2018 | Par Marie-Rose Baeten
J'ai vu un petit film sur des recherches à Aix-la-Chapelle en Allemagne qui indiquent les progrès faits et visibles sur MRI par ces sons chantés.
Les zones abimées se rétablissent graduellement.
C'est remarquable.
Publié le 17 novembre 2018 | Par marcel Blondeau
Je continue de chercher. Merci de m'y disposer par votre recherche.
Publié le 17 novembre 2018 | Par Hélène Burgoyne
Je joue aussi du clavier et plus rarement du violon 🎻 que j’ai appris à l'âge de 60 ans...
C’est un de mes garçons qui m’a envoyé ces messages ce matin, bravo pour vos recherches !
Hélong
Publié le 17 novembre 2018 | Par Thérèse Cossette
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