Trous de mémoire: faut-il s’inquiéter?
Fatigue, ménopause, diabète: quand on peut régler ce qui cause les ennuis de mémoire, la mécanique du cerveau se remet en marche...
Propos recueillis par Louise Desautels
Rien de plus frustrant que de posséder une information sans pouvoir la communiquer. Surtout au beau milieu d’une conversation, quand vous avez la parole et que cette information joue soudain à la cachette dans votre cerveau au lieu de se présenter tout naturellement…
Qu’y a-t-il à comprendre de ce genre d’épisode, quand doit-on s’en inquiéter et peut-on rétablir une faculté qui oublie? Autant de questions auxquelles répond Martine Simard1, professeure à l’École de psychologie. La neuropsychologue explique aussi comment on cherche à redonner une certaine capacité d’apprentissage aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Sommes-nous constamment menacés de perdre la mémoire?
Je ne dirais pas cela, la mémoire n’est pas un disque dur au contenu facile à effacer. D’ailleurs, depuis toujours, les humains comptent au quotidien sur leur mémoire pour apprendre de nouvelles choses, pour retenir de l’information, bref pour survivre. Par contre, les performances cognitives (dont la mémoire) varient d’un individu à l’autre, et ce, dès la naissance.
Il faut aussi mentionner que la mémoire de chaque personne connaît de bonnes fluctuations au cours d’une vie, ou même d’une seule année.
Qu’est-ce qui peut faire varier nos performances?
La mémoire est très vulnérable à toute influence: insomnie, inquiétude, alimentation, troubles mentaux, médicaments, abus de drogue. Jamais on ne pourrait demander à une personne qui a subi une intervention chirurgicale il y a trois jours d’apprendre par cœur quelques pages de Victor Hugo: l’anesthésie et la douleur vont interférer avec ses capacités habituelles. On sait aussi qu’une dépression majeure peut gravement affecter la mémoire, puisque le cerveau est alors en état de sous-stimulation.
Les femmes ont-elles des problèmes particuliers de mémoire?
Oui, à cause d’une hormone qui leur est propre, l’œstrogène. Cette hormone a un effet modulateur sur certains neurotransmetteurs, soit les messagers chimiques qui permettent aux neurones de parler entre eux. Et plusieurs neurotransmetteurs affectés par l’œstrogène ont une grande importance pour notre fonctionnement cognitif. En conséquence, lorsqu’il y a des variations de production d’œstrogène pendant le cycle hormonal ou lorsque les ovaires cessent d’en produire à la ménopause, certaines femmes en ressentent les effets sur leur mémoire, entre autres.
1 Martine Simard est également membre de l’Axe de recherche neurosciences cliniques et cognitives de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. ↩
Tout le monde éprouve donc des ennuis avec sa mémoire à certaines périodes de sa vie. Pourtant, c’est en vieillissant que les choses s’aggravent, non?
La mémoire ne s’efface pas au fil des ans, mais il faut mettre plus de temps pour retenir de nouvelles informations, ce qu’on appelle l’encodage. Et il faut mettre plus d’efforts pour avoir accès à ce qu’on sait. À 65 ans, il sera plus difficile qu’à 40 ans de se rappeler spontanément, par exemple, le nom d’une élève de sa classe de 1re année. Par contre, si quelqu’un fournit des indices, le souvenir surgit: son nom de famille commence par la lettre D, elle portait toujours une jupe rouge, etc… La réponse existe encore dans le cerveau, mais y accéder est moins immédiat qu’auparavant. Ça prend un peu plus de patience et de stratégie.
Qui s’inquiète de ses trous de mémoire, après 50 ans?
Il y a deux types de personnes qui consultent pour un déficit de mémoire. D’abord, celles habituées à très bien performer, qui font un métier exigeant en termes d’attention et de mémoire. À l’évaluation, elles se classent dans les normes et même au-dessus, malgré leur propre constat d’une baisse de performance. Leur cas n’est pas inquiétant d’un point de vue clinique: elles n’ont pas de problème de mémoire qu’on pourrait qualifier de pathologique.
La situation est différente pour les personnes du second type: celles qui consultent alors qu’elles sont déjà dans un processus pathologique. Leurs oublis leur causent des problèmes de fonctionnement quotidien. Elles s’attirent des reproches parce qu’elles ont raté des rendez-vous à plusieurs reprises et qu’elles ont encore égaré un outil prêté par un voisin ou un enfant. D’ailleurs, c’est souvent leur entourage qui pousse ces gens à consulter.
Trouvez-vous qu’il faudrait voir un spécialiste plus tôt?
Le signal des proches est souvent le bon. Qu’elle soit jeune ou vieille, toute personne doit s’alarmer à partir du moment où ses oublis perdurent et posent des difficultés dans sa vie de tous les jours: au travail, à la maison ou dans sa famille…
Le processus n’est-il pas irréversible alors?
C’est justement pour cela qu’il ne faut pas hésiter à consulter: tout le monde ne souffre pas de la maladie d’Alzheimer ou d’une autre démence irréversible! Le défi du neuropsychologue consiste justement à distinguer une atteinte pathologique comme l’alzheimer d’un phénomène de vieillissement normal ou d’un cas où les problèmes de mémoire sont attribuables à des causes sur lesquelles on peut agir.
Pour y arriver, on administre plusieurs tests psychométriques.
Lorsque l’écart des résultats par rapport à la norme se confirme, on en cherche d’abord la cause dans l’histoire médicale et dans les habitudes de vie de la personne.
Dans quelles circonstances est-il possible de retrouver la mémoire?
Dans les cas où on peut agir sur la cause des pertes de mémoire. Il est possible qu’un débalancement hormonal dû à une hypothyroïdie non diagnostiquée ou qu’une athérosclérose gênant l’irrigation du cerveau soient en cause, ou encore un manque chronique de sommeil. Plusieurs médicaments peuvent également altérer la mémoire, notamment certains antipsychotiques, mais aussi un simple antihistaminique qui a des effets sédatifs. Dans ces exemples comme dans beaucoup d’autres, si on règle le problème de base, les fonctions cognitives se rétablissent.
Qu’arrive-t-il si les pertes de mémoire ne dépendent pas de facteurs sur lesquels on peut agir?
Lorsqu’on a éliminé tous les autres coupables possibles, un peu à la manière d’un détective, on en vient à un diagnostic de démence. Parfois on en vient même à plusieurs diagnostics qui se chevauchent, comme une médication problématique et une maladie d’Alzheimer, dont les effets sur la cognition s’additionnent. Il n’est pas rare non plus de conclure à une démence mixte, comme alzheimer + démence vasculaire.
Est-ce qu’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer conserve encore une certaine capacité d’apprentissage même si apprendre fait appel à la mémoire?
Nos travaux les plus récents laissent croire qu’il y a encore une certaine plasticité dans le cerveau d’une personne atteinte: si on applique les bonnes techniques, si on fait le bon entraînement structuré, on peut lui permettre de réapprendre des activités procédurales quotidiennes relativement simples, comme utiliser sa «manette» de télé.
Quelles recherches vous mènent à cette conclusion?
À mon laboratoire, nous travaillons depuis une dizaine d’années sur des programmes d’entraînement de la mémoire chez les personnes qui souffrent d’alzheimer. Ce que nous essayons de faire, c’est venir à la rescousse du mécanisme d’encodage de l’information.
De quelle façon procédez-vous?
Pour notre plus récente expérience, nous avons demandé à 20 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et à leurs proches de déterminer une activité simple qui avait une importance dans leur vie de tous les jours. Certains ont voulu réapprendre à se servir de leur télécommande, d’autres de leur boîte vocale; il y a même une dame qui a choisi l’origami. Nous voulions améliorer leur qualité de vie et, peut-être du même coup, diminuer le fardeau de l’aidant. Chaque patient a donc eu, chez lui, une séance de réadaptation d’une heure deux fois par semaine pendant trois semaines, basée sur le principe de l’apprentissage sans erreur.
Sans erreur?
Il s’agit d’une technique qui permet de développer des automatismes sans donner de l’importance aux erreurs commises, puisque celles-ci, dans la maladie d’Alzheimer, vont interférer avec l’apprentissage: le patient peut retenir la mauvaise façon plutôt que la bonne. On essaie de ne pas laisser la personne commettre une erreur pendant la période d’apprentissage. On l’aide plutôt à refaire les bons gestes fois après fois, pour qu’à partir d’un moment, ils puissent être faits sans réfléchir.
Nous misons aussi sur le rappel espacé pour renforcer les capacités de récupération de l’information. Cette stratégie consiste à solliciter une information, une fois celle-ci encodée, à différents intervalles de temps de plus en plus espacés.
Et ça donne de bons résultats?
Oui, ça a bien fonctionné pour l’apprentissage d’une tâche simple. Non seulement les patients réussissaient à utiliser leur télécommande ou leur boîte vocale immédiatement après l’entraînement, mais les acquis s’étaient maintenus lorsque mesurés à nouveau, de trois à six mois après la dernière séance.
C’est formidable!
Oui… Par contre, les mesures de qualité de vie de la personne et du fardeau de l’aidant n’ont pas donné d’aussi bons résultats, c’est resté au même point: ça ne s’est pas détérioré, mais ça ne s’est pas amélioré! On a enregistré deux autres résultats auxquels on ne s’attendait pas. Le premier est une diminution de certains délires, même si les patients recrutés étaient déjà dans un état stable de ce côté. Le second est une augmentation des comportements moteurs aberrants –par exemple la personne commence à marcher de long en large ou s’agite sans raison; peut-être est-ce la conséquence d’une surstimulation, ça reste à vérifier.
Quelle est votre conclusion?
Qu’il faut être très très prudent avant d’appliquer largement des stratégies d’apprentissage structuré avec les personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer. Oui, il reste une certaine plasticité du cerveau, oui on a eu de bons résultats, mais est-ce que tabler là-dessus permet d’améliorer la qualité de vie des patients et de leurs proches? Est-ce que ça vaut la peine que les patients investissent temps et énergie? Ce n’est pas encore certain et nous poursuivons nos travaux pour tester différentes hypothèses. Avec le prochain groupe, à qui nous tenterons d’apprendre plus d’une tâche quotidienne, nous voulons entre autres mesurer l’incidence de ces apprentissages sur leur estime de soi. Bref, tant qu’on n’a pas testé et vérifié, il n’est pas question de transférer ces interventions cognitives dans la pratique.
Ceci dit, il existe bel et bien un potentiel d’amélioration.
Publié le 16 novembre 2016
Publié le 12 janvier 2017 | Par Martine Simard
Je remercie Madeleine, Ruth et Liliane pour leurs commentaires.
D'abord, Madeleine, je suis désolée d'apprendre vos difficultés. Toutefois, je suis rassurée d'apprendre que malgré le fait que vous n'ayez pas de médecin de famille, vous êtes en contact avec votre neurologue.
Une opération au cerveau peut entraîner des troubles cognitifs, dépendamment de l'endroit, dans le cerveau, qui a été visé par l'opération. Votre neurologue vous a dit que l'opération subie au cerveau n'était pas en cause, alors vous pouvez éliminer cette possibilité.
Autre cause possible que vous avez considérée: les médicaments antidépresseurs. La dépression peut causer des troubles cognitifs, mais pas les pilules utilisées pour la traiter.
Il se peut toutefois que vous ayez toujours des symptômes de dépression et que ceux-ci puissent au moins être en partie responsables de vos difficultés d'attention et de mémoire. Il faut vérifier avec le médecin qui vous a prescrit ces antidépresseurs si le dosage est adéquat pour traiter convenablement vos symptômes de dépression.
Si la dépression est hors de cause, et si votre opération au cerveau est hors de cause, il faudrait idéalement que vous subissiez un examen médical complet pour éliminer d'autres causes médicales possibles. En parallèle, vous pouvez consulter en neuropsychologie pour recevoir un bilan complet de vos fonctions cognitives, ce qui pourrait d'une part confirmer que vous avez ou non des problèmes cognitifs. Dans l'affirmative, cela pourrait contribuer à trouver la cause de vos difficultés. Il y a 3 options possibles pour une consultation en neuropsychologie:
1) Consultation privée: vous pouvez trouver un neuropsychologue dans votre région en consultant le site de l'Ordre des psychologues du Québec (www.ordrepsy.qc.ca). Il faudra débourser plusieurs centaines de dollars pour une telle consultation.
2) Si vous habitez près de Montréal, une option à considérer serait la consultation en neuropsychologie dans une clinique universitaire (ce qui est moins onéreux habituellement): les départements de psychologie de l'UQAM et de l'Université de Montréal offrent des services de consultation à la population.
3) Consultation dans un centre hospitalier: votre neurologue (ou un autre médecin) doit alors vous faire une référence pour que vous soyez vue en neuropsychologie. Ce service est alors défrayé par l'assurance maladie du Québec. Toutefois, il se pourrait que vous soyez placée sur une liste d'attente.
Je vous souhaite Madame, la meilleure des chances dans vos démarches. Surtout, ne perdez pas courage.
Publié le 18 décembre 2016 | Par madeleine
Je me nomme Madeleine, j'ai 66 ans et je suis retraitée et ménopausée.
Depuis plusieurs mois, je constate que j'ai des problèmes avec ma mémoire. Oh, tous les gens disent: Moi aussi, etc. Mais, je vous jure que ce n'est vraiment pas normal d'oublier comme cela. Je prends mon temps, écris même des notes.... Ex: ce que je dois faire etc. Mais encore une fois, j'oublie la plupart du temps.
Je me pose de sérieuses questions: j'en ai parlé à mon neurologue, le médecin qui m'a opérée il y a déjà une douzaine d'années et celui-ci me dit que ça n'a pas rapport avec l'opération que j'ai eue au cerveau. C'est dû à un anévrisme. Les séquelles que j'ai maintenant de cette opération sont: équilibre, quand les lumières sont beaucoup trop fortes...
Mais c'est incroyable, je perds et j'ai perdu tellement de choses très importantes depuis au moins la dernière année. Parfois, je me demande si ça pourrait être dû aux médicaments que je prends pour une dépression, mais certains médecins me disent oui et d'autres me disent non.
Ouf, ce n'est vraiment pas facile de vivre jour après jour avec des oublis de mémoire comme cela! Que feriez-vous à ma place? Avez-vous une idée de ce que pourrait être ce problème? Je suis de Vaudreuil (Qc) et, malheureusement, je n'ai pas de médecin de famille encore!
Mais, comme j'aimerais savoir ce que vous feriez à ma place.
Je ne prends pas de drogue ou d'alcool...
Je vous remercie infiniment de me lire et faire vos commentaires à mon sujet dès que vous pouvez.
Publié le 21 novembre 2016 | Par Ruth Lindsay
À la suite de ma lecture, j'ai de la déception... À 39 ans, j'ai eu un cancer du sein, j'ai pris de la médication anti-oestrogène... À 50 ans, j'ai eu un autre cancer du sein et 7 mois de traitement de chimiothérapie plus une autre hormonothérapie... J'avais une très belle mémoire et cela est vrai dans votre article que l'hormone oestrogène y joue pour beaucoup...
Publié le 18 novembre 2016 | Par Liliane
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