Les plantes au secours de l’environnement
Pour mieux gérer la crise écologique qui secoue la planète, pourrait-on s'inspirer du génie des végétaux?
Par Nathalie Kinnard
Les enjeux environnementaux qui menacent nos ressources sont nombreux. Par exemple, devant l’explosion démographique, l’être humain doit repenser l’agriculture. D’ici 2050, nous serons entre 9,1 et 9,8 milliards d’habitants. Pour nourrir ces 2,5 milliards de nouvelles bouches, on se doit d’augmenter notre production alimentaire de 25%. Un défi d’autant plus difficile qu’il faut, en même temps, protéger nos réserves d’eau douce et continuer de réduire notre dépendance aux pesticides et aux engrais chimiques. Est-il possible de produire davantage sans épuiser nos terres et drainer nos cours d’eau? Oui, en exploitant les propriétés des plantes et des micro-organismes du sol, pensent différents experts du campus.
Les mycorhizes: les stars de l’agriculture de demain
Pour J.-André Fortin, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt1, l’avenir d’une agriculture durable passe indéniablement par les mycorhizes. Ces champignons microscopiques s’associent aux racines des plantes depuis 400 millions d’années. Ils ont aidé les végétaux marins à développer rapidement leurs racines pour s’adapter au milieu terrestre. Les deux partis, champignons et racines, tirent avantage de cette symbiose: les champignons mycorhiziens amènent des nutriments essentiels aux végétaux en échange de quoi ces derniers leur fournissent du sucre issu du processus de photosynthèse. «C’est comme cela que se nourrissent les plantes dans la nature, mais l’être humain fait comme si cette association n’existait pas!», s’indigne le professeur Fortin. Plus encore, les producteurs gavent leurs cultures d’engrais et de pesticides chimiques qui nuisent à la bonne relation entre les végétaux et les champignons. Se sentant inutiles, les champignons rompent en quelque sorte leur mariage.
Pourtant, les mycorhizes ont fait leurs preuves. «À l’île d’Orléans, les producteurs de pommes de terre se faisaient souvent refuser leurs produits à cause de la gale, une maladie qui en affecte l’esthétique et donc le potentiel de vente, raconte J.-André Fortin. Depuis qu’ils ajoutent des mycorhizes aux champs, ils ont sauvé leur entreprise.» Parmi les agriculteurs canadiens qui appliquent des champignons mycorhiziens à diverses cultures, on observe par ailleurs, ajoute le chercheur, des augmentations constantes de rendement allant de 10 à 30% selon les cultures et les sols. Comme les mycorhizes protègent les plantes de plusieurs maladies et d’insectes pathogènes, le professeur Fortin croit fermement qu’en misant sur le pouvoir de cette symbiose, le secteur agricole pourrait diminuer de 50% le recours aux pesticides. «Les mycorhizes sont l’espoir de la nouvelle révolution verte, celle de l’agriculture durable et écologique», affirme-t-il.
1 J.-André Fortin est aussi chercheur au Centre d’étude de la forêt. ↩
Les bactéries à la rescousse
Cela dit, parmi les nutriments essentiels aux végétaux, il y a le phosphore, primordial pour le processus de photosynthèse. Présent dans le sol, mais peu soluble sous sa forme naturelle, il est difficile d’accès pour les plantes, ce qui est moins commode dans le cas de cultures à grande échelle. Pour maximiser les productions, on utilise donc du phosphore transformé en industrie à grands coups d’acide sulfurique, d’énergie, d’eau et d’argent. Malgré cela, une fois ajouté au sol, ce phosphore obtenu chimiquement réagit avec le calcium et l’aluminium présents dans la terre. Résultat, il devient inutilisable par les plantes dans un taux de 90%. Les surplus s’accumulent et peuvent se retrouver dans les cours d’eau où ils favorisent, notamment, la prolifération d’algues.
Or, en poussant plus loin leur compréhension de la symbiose entre les champignons mycorhiziens et les racines des plantes, une équipe de chercheurs, dont font partie J.- André Fortin et Hani Antoun, professeur au Département des sols et de génie agroalimentaire2, a détecté une particularité qui pourrait bien contribuer à résoudre ce problème.
Bonifier les sols
En fait, les scientifiques ont découvert un troisième partenaire au couple champignons-racines. «Les racines des plantes ont besoin des champignons mycorhiziens pour obtenir de nombreux nutriments, mais on a remarqué que ces champignons sont incapables de soutirer le phosphore du sol», explique M. Antoun. Par contre, des bactéries qui vivent sur la surface des mycorhizes sécrètent des acides organiques qui rendent le phosphore du sol plus soluble donc plus disponible aux plantes. L’idée s’est imposée d’elle-même: pourquoi ne pas ajouter des bactéries aux champs, comme on le fait déjà avec les mycorhizes?
Les chercheurs pensent qu’en développant des biofertilisants à partir de cette association tripartite, on pourra diminuer considérablement l’ajout de phosphore industriel en culture. Dans les terres pauvres en phosphore, on pourra troquer le phosphore chimique contre de la roche phosphatée finement moulue –l’apatite– et l’accompagner de ces nouveaux biofertilisants. «On amène ainsi l’usine à la plante, illustre Hani Antoun. Les bactéries vont dissoudre l’apatite et rendre le phosphore disponible». L’apatite a longtemps été considérée comme une mauvaise source de phosphore pour les plantes parce qu’elle est difficile à solubiliser. Mais en l’associant aux mycorhizes et aux bonnes bactéries, les chercheurs pensent qu’on peut obtenir les mêmes rendements agricoles qu’avec les engrais industriels.
Plus encore, signale le professeur Antoun, miser sur le développement de biofertilisants basés sur ce ménage à trois aidera les plantes à se nourrir du phosphore non assimilable déjà accumulé dans les sols. Une bonne nouvelle pour les cours d’eau et pour l’environnement.
Un autre produit bénéfique pour les sols, mais d’une tout autre provenance, se trouve également sous la loupe des chercheurs. Le biocharbon est un type de charbon issu de la combustion chimique de la biomasse forestière ou agricole dans un environnement où l’oxygène est limité ou absent. «On s’y intéresse pour ses capacités à améliorer les propriétés du sol, notamment la rétention de l’eau, à favoriser une meilleure production agricole et à fixer une partie du gaz carbonique dans la terre», précise M. Antoun. Selon lui, le biocharbon deviendra un amendement de sol à la mode dans les prochaines années.
2 Hani Antoun est également chercheur au Centre de recherche en innovation sur les végétaux et au Centre SÈVE. ↩
Contrôler la soif des plantes
À propos de l’eau, la gestion de sa consommation représente un des grands défis d’avenir des agriculteurs. «Actuellement, l’agriculture utilise 70% de l’eau douce consommée sur la planète. Si on ne fait rien, avec nos besoins alimentaires grandissants, cette proportion grimpera entre 93 et 95% d’ici 2050», révèle Jean Caron, professeur au Département des sols et de génie agroalimentaire3.
Avec son collègue Charles Goulet, professeur au Département de phytologie4, le chercheur a analysé une piste intéressante pour une irrigation efficace et soucieuse de l’environnement: le bon voisinage des espèces végétales. «Lorsqu’on fait pousser des plants qui aiment l’eau avec d’autres qui préfèrent un sol plus sec, aucun d’eux n’est satisfait de l’arrosage, précise Jean Caron. Les végétaux ne s’acclimatent pas vraiment à une situation trop humide ou trop sèche, et leur croissance en souffre.»
Le chercheur fait le parallèle avec les êtres humains. Dans un même appartement, il est presque impossible de faire cohabiter une personne qui apprécie une pièce chauffée à 25 °C avec une autre qui préfère un thermostat à 18 °C. Charles Goulet a démontré qu’il existe des associations efficaces qui permettent d’économiser eau et argent tout en ayant une plus grande productivité. Par exemple, en pépinière, les hémérocalles ne devraient pas côtoyer les sédums, car ils ont des besoins en eau très différents. Les calamagrostis poussent très bien aux côtés des physocarpes alors qu’avec du cèdre, ils souffrent.
Parmi les autres stratégies d’avenir pour préserver l’eau, Jean Caron mentionne l’étude des aquaporines. Ce sont des protéines qui maintiennent, en quelque sorte, l’humidité dans les cellules des végétaux. En comprenant comment elles opèrent, le chercheur pense qu’il sera peut-être possible un jour de créer des plantes avec une génétique moins gourmande en eau. Du maïs encore plus tolérant à la sécheresse serait bienvenu dans le centre des États-Unis où les sources d’eau souterraine s’épuisent lentement.
3 Jean Caron est aussi titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRSNG-Hortau en irrigation de précision et membre du Centre SÈVE et de CentrEau. ↩
4 Charles Goulet est également membre du Centre de recherche en innovation sur les végétaux et du Centre SÈVE. ↩
Les armes cachées des végétaux
Comme l’être humain, les plantes ont développé des moyens de défense pour assurer leur croissance et leur survie. Par exemple, elles produisent des molécules qui attirent les pollinisateurs et qui repoussent les insectes nuisibles.
Grâce à la génomique (l’étude du génome, incluant les gènes), il est aujourd’hui possible d’identifier rapidement ces armes secrètes pour pouvoir ensuite les exploiter. «On croisera une variété de tomate résistante au froid et à la sécheresse avec une tomate savoureuse pour créer un nouveau cultivar savoureux et résistant au froid et à la sécheresse», illustre Charles Goulet. Les molécules de défense naturelle des plantes peuvent également être valorisées pour faire chuter l’utilisation de produits chimiques et préserver l’environnement. «On les reproduit pour confectionner une sorte de vaccin, appelé “biostimulant” ou “stimulateur de défenses”, qui va stimuler le système immunitaire des plantes pour qu’elles deviennent résistantes à des maladies ou à des insectes pathogènes», signale Richard Bélanger, professeur au Département de phytologie5.
Comme le rappelle le chercheur, l’homme a toujours exploité les propriétés des plantes pour ses besoins. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est qu’on peut faire le tout plus rapidement, de façon précise et avec de nouveaux objectifs. C’est ainsi qu’il sonde le code génétique du soya pour adapter cette culture, normalement mieux servie par des climats plus doux, aux conditions climatiques et agricoles canadiennes.
Richard Bélanger fait partie du projet SoyaGen qui a identifié une douzaine de gènes favorisant la résistance à des agents pathogènes. Ces gènes deviendront des marqueurs qui permettront aux producteurs de cibler rapidement les variétés de soya à croiser.
Bref, selon plusieurs scientifiques, l’agriculture du futur exploitera des effets pesticides et fertilisants indirects en stimulant les propriétés de défense et de résistance naturelles des plantes, et non en continuant de lâcher d’énormes quantités de produits toxiques dans l’environnement. Heureusement pour nous, «les plantes ont un grand potentiel qu’on commence tout juste à découvrir», fait valoir Charles Goulet.
5 Richard Bélanger est aussi membre du Centre de recherche en innovation sur les végétaux, du Centre SÈVE et du réseau Innovagrains. ↩
Publié le 18 avril 2018
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