La mutation des médias
Noyés dans une mer d'informations pas toujours fiables et présentées en continu sur une multitude de plateformes, médias et citoyens tentent de s'adapter.
Propos recueillis par Mélanie Larouche
Si l’ère du numérique a rendu l’information plus que jamais accessible, elle l’a aussi fait rimer avec profusion. Cette circulation de tonnes de données de tout acabit bouscule les habitudes des consommateurs de médias ainsi que leurs artisans.
Professeure au Département d’information et de communication, Colette Brin1 articule ses travaux autour de ces enjeux. Elle jette un regard éclairé sur la transformation des médias, sur les manières nouvelles de s’informer et sur les défis qui accompagnent tous ces changements.
Comment les Québécois s’informent-ils aujourd’hui?
Selon les données de 2016 du Centre d’études sur les médias, les médias traditionnels, longtemps le premier choix des Québécois pour s’informer, sont relégués au second rang. Maintenant la population choisit en premier lieu les médias numériques dans une proportion de 37%, alors que le pourcentage de ceux qui préfèrent la télévision a baissé à 30%. Le Reuters Institute for the Study of Journalism de l’Université d’Oxford précise toutefois que 86% des gens utilisent encore à cette fin les supports traditionnels en complément aux médias numériques. Évidemment, l’âge est un facteur déterminant quant au choix du support d’information.
Ainsi, 9 usagers sur 10 âgés de moins de 35 ans utilisent d’abord et avant tout leurs ordinateurs, leurs téléphones intelligents ou leurs tablettes pour s’informer. Les personnes plus âgées le font tout de même dans un ratio de 70%, ce qui est encore fort considérable.
Avec le numérique vient l’abondance des sources. Quels sont les effets de cette plus grande accessibilité dans la façon de s’informer?
Autrefois, trier l’ensemble des informations et vérifier leur crédibilité pour présenter les sujets les plus pertinents au public relevaient entièrement des journalistes. Mais aujourd’hui, devant la multitude des données qui peuvent être consultées sur autant de plateformes, ce travail de sélection dépasse leurs seules capacités. En conséquence, les citoyennes et les citoyens sont aussi appelés à juger de l’importance et de la véracité des informations auxquelles ils ont accès. Ce partage est l’un des changements les plus notables qu’a entraîné l’abondance des sources d’information.
Comment les citoyens s’y prennent-ils pour faire ce travail?
Mis devant la surabondance des informations, les gens réagissent en filtrant ou en bloquant certaines sources sur la base de leurs croyances, de leurs valeurs et de leurs convictions personnelles, ce qui introduit des a priori dans leurs explorations.
De plus, il faut distinguer deux types d’informations recherchées par les gens sur Internet. D’une part, l’information d’intérêt général, comme les manchettes et les nouvelles. D’autre part, l’information personnalisée, celle qui nous touche directement, les détails concernant un problème de santé, par exemple. Or, selon le type d’informations qu’ils recherchent, les gens se comportent différemment. Ils s’informeront de manière beaucoup plus superficielle sur des choses qui ne les concernent pas personnellement et, à l’inverse, ils mettront beaucoup plus d’efforts lorsque cela les préoccupe dans leur vie quotidienne.
1 Colette Brin est également directrice du Centre d’études sur les médias. ↩
Est-ce que consacrer plus de temps et d’efforts à faire des recherches garantit une information plus juste?
Malheureusement non, car les idées a priori induites par nos valeurs et nos opinions subsistent. Notez que le niveau d’éducation d’une personne n’est pas non plus une protection contre ces prémisses faussées, bien au contraire: les gens plus instruits ont une plus grande confiance en leurs propres croyances. Bref, il est très difficile de s’orienter dans un environnement de surabondance d’informations. Comme je l’ai mentionné, on peut toujours, pour tenter de s’y retrouver, se fier à des sources qui viennent conforter ses croyances et ses opinions, mais, à travers ça, il se glisse beaucoup de fausses informations qui, elles, renforcent les inquiétudes. Pour se réconforter, on s’accroche alors à ses croyances. C’est un cercle vicieux.
Les gens sont-ils conscients de cette situation?
Oui, de plus en plus. Un récent sondage mené auprès des Canadiens révèle que leur préoccupation à l’égard des fausses nouvelles tend à augmenter depuis 2016, année du premier référendum sur le Brexit en Europe et de l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Ces événements politiques ont été marqués par la circulation de fausses affirmations et d’informations erronées, lesquelles ont suscité de l’intérêt comme de l’inquiétude au sein de la population. Certains acteurs de la chose politique tirent avantage de la désinformation et des fausses nouvelles, qui peuvent les servir au détriment des partis concurrents. Cela peut même faire l’objet d’une stratégie politique. Mais ce qui a le plus ébranlé l’opinion publique lors de ces événements, c’est que les résultats du vote de ces deux campagnes ont déjoué les pronostics des experts. S’ensuivit un sentiment d’urgence d’agir face aux fausses nouvelles.
Ce constat a-t-il des répercussions sur le travail des journalistes?
À l’heure de la surabondance, les gens cherchent des valeurs sûres, des garanties de crédibilité pour s’y retrouver dans la masse de données disponibles. Cela pose un défi de taille pour les journalistes: celui de maintenir la confiance du public. Heureusement, certains groupes médiatiques ont beaucoup de notoriété auprès de la population. Les 20 à 25 médias les plus populaires sont considérés comme crédibles en général et le taux de confiance accordé aux journalistes est assez élevé. Au Québec et au Canada francophone, les citoyens affichent envers les médias nationaux une confiance plus élevée qu’ailleurs dans le monde, où ces derniers ont la réputation d’être proches du pouvoir. Cette attitude témoigne aussi du fait qu’il règne ici une certaine confiance envers nos institutions politiques, et ce, malgré un certain cynisme.
En revanche, dans d’autres pays, notamment en France, la crise de confiance politique déteint systématiquement sur la confiance de la population envers les médias. Les Français ont des attentes élevées à l’endroit de leurs médias d’information, qu’ils jugent pas assez critiques dans leur analyse de la situation.
Comment aider les gens à mieux déceler la fiabilité des sources et de l’information?
Il n’y a pas de solution unique à ce défi de taille. Du moins, en tant que chercheurs, nous voulons aider les gens à comprendre les a priori qui interviennent dans leur recherche d’informations, puis leur proposer des façons de s’informer qui tiennent compte de ces a priori. Les citoyens se montrent de plus en plus curieux et ouverts aux trucs et aux conseils leur permettant de mieux s’orienter dans un univers de surabondance d’informations et de fausses nouvelles. Il faut dire qu’au Québec, où beaucoup de travail est fait pour déterminer les sources d’information de qualité, nous sommes en avance en matière d’éducation aux médias.
Également, la situation est moins préoccupante ici que dans certains pays où ce qu’on appelle la réinformation a cours de façon plus marquée. Selon cette pratique, des médias alternatifs reprennent à leur sauce des nouvelles déjà parues en se basant sur des informations tronquées ou non crédibles, avec comme résultat de renforcer les doutes et l’inquiétude des gens. Prenez la vaccination. Il est possible de trouver autant d’informations qui confirment sa pertinence que d’autres qui la condamnent, et ce, tout en se référant à des recherches scientifiques.
Le financement fragilisé des médias fait-il partie de l’équation?
C’est sans contredit un enjeu majeur de l’avenir des médias. Nombre d’entre eux sont appelés à disparaître, faute de financement. Pour contrer cette tendance, nous avons vu apparaître des initiatives intéressantes qui combinent les abonnements et les dons. Le quotidien La Presse, entre autres, propose une formule de ce genre. Mais ce type de solution soulève la question de l’inégalité de l’accès à l’information causée par la nécessité de payer pour obtenir des contenus de qualité. Par ailleurs, les gens veulent de moins en moins payer pour de l’information en ligne, sous prétexte qu’ils paient déjà pour un forfait Internet. Nous savons pourtant qu’il n’y a pas de lien entre les deux! Ils paient un fournisseur de service et non un producteur de contenus d’information.
Le milieu de la recherche est-il, lui aussi, affecté par la multiplication des sources d’information?
Nous, les chercheurs, faisons face au même problème de crédibilité des sources. Celles que nous consultons ne sont pas toujours fiables. Alors, on fait des sondages en ligne pour recueillir des données, mais, encore là, il y a une distorsion importante! Par la force des choses, on sur-échantillonne les habitués d’Internet et on sous-échantillonne les gens qui ne sont pas branchés et ceux qui sont moins portés vers le numérique. Bref, on a du mal à mettre en œuvre les bons outils pour avoir l’heure juste. On doit donc opter pour des recherches plus qualitatives sur des sujets plus pointus. Par exemple, une étudiante que je supervise mène présentement une recherche sur les radios parlées de Québec. Elle veut connaître les habitudes de consommation des auditeurs et les rapports de confiance qu’ils établissent avec leur chaîne de radio. Elle souhaite aussi savoir ce qu’ils recherchent dans ce type de média et quelles sont leurs attitudes par rapport à l’information qu’ils y obtiennent. Pour obtenir ces données, elle rencontrera les participants dans des entretiens face à face.
Et les réseaux sociaux dans tout ça?
Le fait que certaines personnes considèrent les réseaux sociaux en tant que sources d’information crée une situation très préoccupante. Cette perception se trouve principalement chez les jeunes, qui s’y fient dans une proportion de 60%. Pourtant, ce n’est pas nécessairement la meilleure façon de s’informer… Facebook, entre autres, est pointé du doigt en matière d’information plus ou moins crédible. Heureusement, les différentes plateformes de réseaux sociaux sont davantage conscientisées sur cet aspect de la question. Elles mettent plus d’efforts pour diffuser de l’information de qualité, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Les Facebook, Twitter, YouTube et WhatsApp, malgré qu’ils n’investissent pas suffisamment pour contrer la désinformation, ont pourtant un rôle et des responsabilités à cet égard.
Cela dit, même Google, qui n’est qu’un moteur de recherche, est considéré comme une source importante d’information par les gens. Voilà qui est aussi préoccupant. Les citoyens ont tendance à sous-estimer l’énorme pouvoir de Google, qui pourtant oriente leurs résultats de recherche sous l’influence des algorithmes nourris des traces qu’ils laissent comme utilisateurs sur le Web.
À l’heure du numérique, les médias sont donc en constant bouleversement?
En effet, le milieu médiatique demeure un environnement changeant qui amène beaucoup d’incertitudes, entre autres dans le partage de la tâche entre les professionnels de l’information et les citoyens. Un autre enjeu concerne la nécessité pour les médias d’être proches de leur public. Les gens déplorent le fait que les médias d’aujourd’hui ne se préoccupent pas suffisamment des informations locales et régionales. Or, bien que la conjoncture serait favorable à ce type d’information, on assiste souvent à une réduction des ressources régionales.
Enfin, le gouvernement du Québec avait annoncé l’automne dernier la tenue d’une commission parlementaire sur l’avenir des médias. Nous l’espérions pour cet hiver, mais tout porte à croire qu’elle ne débutera pas avant l’automne prochain. Or, l’État a un rôle à jouer dans la protection du droit à l’information des Québécois et il est important de considérer le volet numérique de cette question. Nous attendons donc cette commission avec impatience!
Publié le 24 avril 2019
Publié le 30 avril 2019 | Par christian lachance
J'ai offert un commentaire sous l'article "Information sous influence", mais j'ai lu tout le dossier. C'est fort intéressant bien que vous "prêchez à un converti" si je peux me permettre cette expression consacrée.
Je note que tous les articles mentionnent "au passage" le problème des "a priori". Le contraire m'aurait déçu car il s'agit du seul problème qui vaille la peine d'être étudié en profondeur si tant est que l'on est sérieux quand on pense à réguler l'information.
Et comment, je vous le demande, améliorer la qualité de l'information quand les médias (et j'inclus tous les médias, peu importe leur forme) sont peuplés de gens biaisés et intéressés par leur propre agenda. Aussi bien demander à un criminel de présider son procès.
Les "fausses nouvelles" et le "spin" médiatique de plus en plus répandus ne sont que les symptômes d'un problème bien plus grave, à savoir l'éducation. Vous en parlez succinctement alors que c'est la cause principale que l'on évoque vu qu'elle est incontournable intellectuellement, mais sans jamais s'y attaquer sérieusement. Pourtant, ce serait si simple de forcer les enseignants à cultiver un principe directeur fondamental, à savoir d'apprendre aux jeunes des nouvelles générations à PENSER PAR EUX-MÊMES. Et cela n'entrainerait pas la mort des médias mais ça les forcerait à purger leurs informations des biais qui la polluent. Parce qu'un public plus éveillé les inciterait à la prudence.
Mais dites-moi, combien de professeurs (eures) ont le courage de ne jamais laisser leurs opinions personnelles contaminer leur enseignement? À voir ce qui se passe avec le discours apocalyptique sur les conséquences des changements climatiques et la peur qu'il a engendré chez les jeunes, je crois savoir qu'ils sont en minorité.
Bref, le problème de la désinformation doit être envisagé en amont, comme tout problème au demeurant. Si on ne cherche pas la cause, on met des bandages sur des jambes de bois. Un prise de conscience accrue est le seul remède, à mon humble avis. Et la responsabilité individuelle à cet égard est à encourager vivement.
C.L. ( grand liseur entre les lignes :))
Publié le 30 avril 2019 | Par Bernard
Avec la multiplicité des sources d’information chacun privilégie les sources qui sont en ligne avec ses intuitions ou croyances. Ce qui automatiquement renforce les intuitions ou croyances.
C’est peut-être un peu pour cela qu’on assiste de plus en plus à des positions radicales sans ouverture.
Publié le 30 avril 2019 | Par Gilles Gagnon
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