Jeux de hasard, côté sombre
Un groupe de l'Université cherche à mieux comprendre le jeu pathologique et met au point des outils pour aider les joueurs excessifs.
Par Serge Beaucher
Ils sont nombreux à tenter leur chance, à l’occasion. Au moins une fois par année, les 2/3 des Québécois misent sur le hasard (et parfois sur leur «science») pour convertir un petit investissement en un gros gain. Acheter un billet de loterie, glisser quelques dollars dans une machine ou jouer au poker en ligne, ça procure du plaisir et ça permet de rêver. Mais pour certains, le rêve finit par tourner au cauchemar! Quand le jeu dérape, devient pathologique, il n’y a plus rien de plaisant… Professeure à l’École de psychologie et jusqu’à récemment directrice du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu1, Isabelle Giroux2 apporte un éclairage sur ce côté sombre des jeux de hasard et d’argent.
Pouvez-vous nous tracer un bref portrait de la situation?
Sur les 66% de Québécois qui jouent, d’une année à l’autre, la plupart sont des acheteurs de billets de loterie. En fait, gratteux, 6/49 et produits apparentés se retrouvent dans les poches d’environ 60% des adultes, occasionnellement. Les machines à sous arrivent loin derrière dans les habitudes, avec un peu moins de 10% de joueurs, et les appareils de loterie vidéo ainsi que le poker suivent avec près de 5% respectivement. Bien sûr, plusieurs sont adeptes de toutes ces formes de jeux à la fois. Dans l’ensemble de la population, environ 2 personnes sur 100 ont des problèmes de jeu ou risquent d’en avoir. Ça ne paraît pas énorme, mais les conséquences sur leur vie peuvent être dramatiques. Et tout le monde peut être touché, bien que ce soit davantage le cas des hommes et des gens de milieux socioéconomiques défavorisés. C’est chez les adeptes de loterie vidéo qu’on trouve la plus forte proportion de joueurs pathologiques ou à risque de le devenir. Ceux qui jouent en ligne (au poker surtout) s’avèrent par ailleurs plus à risque que ceux qui jouent de façon traditionnelle.
Quelles sont ces conséquences potentiellement dramatiques dont vous parlez?
Le jeu pathologique affecte toutes les sphères de la vie d’une personne. Par exemple, la relation conjugale peut être mise à rude épreuve, l’absentéisme au travail devenir un réel problème, le cercle d’amis se rétrécir, les dettes s’accumuler dangereusement, et la dépression puis le désespoir s’installer, jusqu’à de possibles gestes irréparables. Les proches sont souvent sans ressources, parfois même ignorants de la gravité du problème, puisque le joueur vit fréquemment dans le déni et le mensonge.
Qu’est-ce qui l’amène à consulter, alors?
Arrive un moment où il commence à trouver que quelque chose ne va plus dans sa vie. Il est constamment préoccupé par le jeu: où vais-je pouvoir jouer? quand? comment trouver l’argent? comment puis-je me refaire? Après une première phase gagnante (de petits montants) où il a cru erronément en son habileté à battre le système, le joueur connaît une phase de perte (de montants de plus en plus gros). Mais il est convaincu que ce n’est que temporaire, que la chance et son habileté vont de nouveau le mettre sur la voie gagnante. Et il en arrive bientôt à une phase de désespoir. Ce sont ses dettes qui l’amènent d’abord à consulter, puis ses problèmes conjugaux, parfois aussi les pressions des proches. Mais il est rare qu’il se présente en couple. Souvent, il va chercher de l’aide à l’insu de sa famille.
Les joueurs de poker se comportent-ils de la même façon à cet égard?
Y a-t-il des ressources pour venir en aide aux joueurs pathologiques?
Au Québec, une centaine de centres d’aide offrent leurs services gratuitement. Il peut s’agir de cures fermées de quelques semaines, comme au Centre CASA, à Québec, ou à la Maison Jean Lapointe, à Montréal. D’autres centres offrent plutôt des thérapies à l’externe comportant des traitements par séances qui permettent au «patient» de maintenir son emploi et de demeurer chez lui. On n’y trouve pas nécessairement des psychologues, mais il y a des aidants formés en dépendance.
À l’Université, vous offrez aussi ce genre d’aide, n’est-ce pas?
Oui, des traitements en séances individuelles avec des psychologues en formation, mais toujours dans le cadre d’un protocole de recherche, puisque c’est de la recherche que nous faisons ici. Ce sont d’ailleurs des méthodes mises au point chez nous que les centres d’aide adaptent pour leur clientèle. Nos traitements connaissent un taux de succès de 80% chez ceux qui complètent la thérapie. Dans leur cas, il y a diminution du temps à jouer, de l’argent misé et des conséquences sur leur vie.
Est-ce que la plupart des participants vont jusqu’au bout de la thérapie?
Que fait-on pour pallier cet abandon massif?
Nous avons récemment conçu un traitement semi-autonome que le joueur peut suivre seul, tout en bénéficiant d’un certain appui. Il s’agit de Jeu me questionne, un guide d’accompagnement imprimé qui permet d’évoluer à son rythme (généralement de 11 à 15 semaines) en abordant divers aspects du jeu pathologique: croyances erronées sur le hasard et les capacités à le déjouer, désavantages du jeu, dossier financier… Pour garder sa motivation, le joueur bénéficie de 3 entretiens avec nos stagiaires pendant le parcours. Nos essais ont montré l’efficacité du traitement par comparaison avec un groupe témoin, ainsi que la durabilité des résultats, d’après des suivis réalisés 1 mois et 6 mois après application. Nous avons complété notre rapport final sur ce traitement en décembre dernier. Il nous reste à voir avec le ministère de la Santé et des Services sociaux comment nous pourrons rendre Jeu me questionne accessible.
Traite-t-on tous les joueurs pathologiques de la même façon?
Grosso modo, il y a 3 types de joueurs avec des problèmes. L’impulsif, qui cherche l’excitation et le défi, pour qui le traitement est d’autant plus difficile que le jeu excessif vient souvent avec d’autres difficultés, l’alcool ou la drogue, notamment. Avec lui, le traitement intègre plusieurs modules. Il s’agit de modifier sa façon de trouver du plaisir, de voir ce qu’il cherche dans le jeu et de lui proposer quelque chose qui puisse compenser, mais qui lui ressemble et dans quoi il se reconnaît.
Le second type de joueur pathologique est celui qui, déprimé et anxieux, cherche une échappatoire, un effet anesthésiant dans sa vie quotidienne. Là aussi, la thérapie peut être longue, car il faut s’occuper des causes de cette anxiété.
Le troisième type –le profil accidentel– est le moins problématique. C’est monsieur et madame Tout-le-monde qui, après avoir joué 1 ou 2 fois par plaisir, gagne un gros montant et veut reproduire cette chance. On peut l’aider assez facilement à restructurer ses perceptions erronées quant à ses possibilités réelles de gagner à la longue.
Est-ce vrai qu’un gambler restera toujours un gambler?
Comment rejoint-on les joueurs pathologiques et se fait-il de la prévention?
Par sa ligne téléphonique Jeu: aide et référence3, le Centre de référence du Grand Montréal reçoit des appels à l’aide de partout au Québec et réfère l’appelant à un centre d’aide de sa région. Cet organisme et quelques autres mènent des campagnes occasionnelles, mais la sensibilisation se fait principalement par le ministère de la Santé et des Services Sociaux et par Loto-Québec: mesures de prévention dans les endroits de jeu et campagnes auprès de la population. Cela se fait toutefois sans plan concerté pour la prévention auprès des jeunes, qui sont aussi à risque.
Par ailleurs, notre Centre a déjà offert de la formation aux détaillants de loterie vidéo ainsi qu’aux employés des casinos, pour qu’ils puissent entre autres reconnaître les signes de détresse d’un joueur. Nous essayons aussi de sensibiliser des professionnels de la santé ou des services sociaux sur le jeu pathologique. J’ai moi-même donné une formation à des médecins, dernièrement, pour les inviter à explorer la possibilité d’un problème avec le jeu lorsqu’un patient déprimé se présente à eux.
Sur quoi travaille votre centre, présentement?
Sur Kinzo, une version «revampée» du bingo, sur le poker en ligne et les paris sportifs, pour mieux comprendre les processus en cause dans la tête des joueurs, sur les investissements boursiers en ligne, qui s’apparentent parfois au jeu pathologique, sur les joueurs parkinsoniens… Rien de ce qui concerne les jeux de hasard et d’argent ne nous est étranger. Nos membres étudient autant les jeux que les joueurs et les non-joueurs. C’est de cette façon que nous pouvons le mieux aider à prévenir et à traiter le jeu pathologique au Québec.
3 Voir le site Jeu: aide et référence ↩
Publié le 20 avril 2016
Publié le 22 avril 2016 | Par Jean Laliberté
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