Gros plan sur les électeurs
Le politicologue François Gélineau scrute le profil et le comportement électoral des Québécois.
Propos recueillis par Serge Beaucher
Une femme scolarisée, dans la cinquantaine, intéressée par la politique, avec un sens du devoir civique élevé. Tel est le portrait-robot que trace François Gélineau de la personne qui serait la plus susceptible de voter, au Québec. À l’inverse, un jeune homme demeurant en milieu rural et ayant décroché de ses études secondaires serait le non-votant type.
Professeur au Département de science politique et titulaire de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires1, M. Gélineau est un spécialiste du comportement des électeurs, qu’il étudie depuis plusieurs années. Contact l’a rencontré pour savoir qui sont ces personnes qui choisissent nos gouvernants… et qui sont celles –plus nombreuses qu’auparavant– qui s’abstiennent de prendre part à ce choix.
Comment jugez-vous la participation des Québécois aux scrutins des dernières années?
Somme toute, elle est plutôt bonne. Avec une participation moyenne de 74% aux élections provinciales depuis 1985, les électeurs québécois se comparent favorablement à ceux des autres provinces. Ils sont même un peu au-dessus de la moyenne.
Toutefois, ce qu’on a constaté au cours du dernier quart de siècle, c’est un léger déclin de cette participation. Cela se voit aussi dans les autres provinces, à l’exception de l’Île-du-Prince-Édouard, et surtout aux élections fédérales. Le phénomène est en fait généralisé à l’ensemble des pays démocratiques.
Cela vous inquiète-t-il?
Ce qui m’inquiète, c’est que cette diminution est surtout le fait des jeunes. Bien sûr, les jeunes ont toujours proportionnellement voté en moins grand nombre que leurs aînés. C’est ce que j’appelle l’effet «cycle de vie». Mais il y a maintenant un effet générationnel: depuis 10 ans, les nouvelles cohortes d’électeurs qui atteignent l’âge du vote se prévalent moins de ce droit que leurs parents et leurs grands-parents le faisaient à leur âge. Les jeunes baby-boomers votaient dans une proportion de 15 à 20 points de pourcentage de plus que les électeurs du même groupe d’âge aujourd’hui.
À l’élection provinciale de 2008 –qui a connu une abstention générale record–, le taux de participation des jeunes a été de 30 à 35% comparativement à 60-70% environ chez les jeunes générations des élections antérieures. L’écart est tellement grand que, même en vieillissant, les jeunes d’aujourd’hui ne rattraperont vraisemblablement pas le recul.
Le déclin chez les jeunes pourrait-il aggraver davantage le portrait global?
Ce n’est pas impossible, à long terme. La recherche scientifique nous dit qu’en matière de participation à un scrutin, la première expérience est déterminante. Si un jeune n’a pas voté à sa première occasion, on peut penser qu’il ne le fera pas les fois suivantes. Lorsque les baby-boomers, traditionnellement motivés électoralement et encore très présents au Québec, vont graduellement se retirer de la scène, ces jeunes qui votent moins aujourd’hui occuperont plus de place dans la pyramide démographique. On peut donc croire, oui, que la participation générale aux élections pourra encore chuter à cause de ce phénomène, peut-être d’une dizaine de points… mais là je spécule; je n’ai pas fait de calculs là-dessus.
Vote-t-on davantage en région que dans les grands centres?
On pourrait penser que les gens votent plus dans des petits milieux tissés serrés, où la pression sociale s’exerce davantage; pourtant, on ne voit pas beaucoup de différence. Sauf chez les jeunes: en milieu rural, la participation électorale des 18-35 ans peut descendre jusqu’à 30%, comparativement à 75% en milieu urbain. En région, les jeunes sont peut-être moins scolarisés, ce qui est un facteur de participation, et les plus scolarisés votent peut-être dans la ville où ils étudient une partie de l’année. Chez les jeunes femmes, la différence rural-urbain est moins marquée.
La scolarisation et le revenu jouent-ils un rôle important dans l’exercice du droit de vote?
Avez-vous des données sur le vote féminin?
Oui, et il y a là un aspect intéressant à observer. Les femmes qui ont obtenu leur majorité avant les années 1940, alors que le vote féminin n’était pas permis, ont toujours voté moins que les hommes, par la suite. Mais dans tous les autres groupes d’âge, donc chez celles qui ont pu participer à une élection dès qu’elles sont devenues adultes, les femmes votent plus que les hommes.
Comment expliquez-vous cela?
Pour l’abstention des femmes les plus âgées, je ne vois guère d’autres explications que le fait de ne pas avoir pu voter quand elles sont devenues en âge d’avoir des responsabilités sociales. Pour elles, cette occasion ratée a constitué leur première expérience électorale, si l’on peut dire, une expérience que plusieurs ont ensuite transformée en habitude.
Quant aux cohortes de femmes qui ont suivi, votent-elles plus que les hommes parce qu’elles sont plus intéressées par la politique? Plus sensibles aux enjeux? Dotées d’un sens du devoir civique plus accentué? Ce sont là trois grandes motivations pour se rendre aux urnes. On sait que le sens du devoir s’acquiert graduellement, qu’il est plus enraciné chez les personnes d’un certain âge que chez les plus jeunes. On pourrait supposer que les femmes le développent davantage.
Et ce serait l’inverse pour les jeunes?
En tout cas, les élections de 2012, à la suite du printemps érable, ont montré que les jeunes peuvent aussi être sensibles aux enjeux, puisqu’ils sont revenus voter en force après avoir littéralement boudé les urnes en 2008. Mais tous les groupes d’âge ont été plus mobilisés, en 2012.
On dit souvent que les jeunes –et les électeurs en général– sont désabusés de la politique. Cela joue-t-il dans le déclin de la participation au vote?
Dans les sondages, les gens disent que les scandales politiques les incitent à moins voter, mais la littérature scientifique indique qu’il y a rarement un lien significatif entre le cynisme des électeurs et la participation au vote. Il y a peut-être un lien indirect, toutefois, en ce qu’un électeur désabusé peut se désintéresser de la politique. Or, l’intérêt pour la politique est l’une des principales motivations à voter.
Bien des jeunes disent exercer leur devoir démocratique autrement qu’en allant voter, en se mobilisant sur des enjeux particuliers, par exemple. Cela se justifie-t-il?
Je pense effectivement que certains jeunes qui ne votent pas sont quand même capables de se mobiliser. Sauf que nous ne sommes pas dans un régime de démocratie directe où nous serions gouvernés par référendums sur des enjeux spécifiques ou par un processus consultatif continu. Nous vivons dans un système représentatif où, à intervalles plus ou moins réguliers, nous envoyons des élus prendre des décisions qui nous touchent tous. C’est le Parlement qui joue le plus grand rôle dans l’élaboration des lois et dans la gestion de l’État.
Dans ce contexte, quelle incidence la baisse du taux de participation aux élections peut-elle avoir sur la démocratie?
Le taux de participation vient en quelque sorte légitimer le processus par lequel nous choisissons les administrateurs de l’État. Si un très faible pourcentage de la population vote, dans un système comme le nôtre où un gouvernement majoritaire peut être élu avec seulement 26 ou 27% des voix, le gouvernement représente alors le choix d’un tout petit nombre d’électeurs. Cela peut ouvrir une brèche sur la légitimité de ce gouvernement, amener un certain détachement de la politique et même inciter les élus à ne gouverner que pour une petite portion d’électeurs.
Faut-il donc agir pour stopper le déclin du taux de participation?
Disons d’abord que la situation n’est pas catastrophique, puisque 3 Québécois sur 4 se rendent tout de même voter à chaque élection. Mais je trouve préoccupant de voir un sous-groupe de la population, en l’occurrence les jeunes, se détacher du système. Alors, oui, il faut tenter de contrer ce phénomène.
Comment?
Il n’y a pas de solution magique. Différentes formules existent dans le monde: des élections à plusieurs tours pour procurer au moins 50% + 1 d’appui au candidat choisi, le vote obligatoire avec ou sans sanction, un mode de scrutin proportionnel… Chaque formule peut avoir une part d’effet positif, mais plusieurs me laissent sceptique. Par exemple, je doute que le vote obligatoire soit applicable ici, ne serait-ce qu’en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne; et un scrutin proportionnel aurait sans doute plus d’incidence sur la qualité de la représentativité des élus que sur le taux de participation.
Abaisser l’âge du vote à 16 ans serait-il une avenue?
Ce serait un pari risqué: plus on demande à quelqu’un de voter jeune, donc de s’intéresser à la politique à un âge où ses intérêts naturels sont complètement ailleurs, plus on court un risque pour l’avenir s’il s’abstient, à cause de cette fameuse première expérience déterminante.
À mon avis, l’avenue la plus productive serait de favoriser une culture politique au sein de la société. Cela implique entre autres de modifier l’image que les gens entretiennent de la politique et des politiciens, une responsabilité qui incombe aux politiciens eux-mêmes, bien sûr, mais aussi aux médias et à chacun d’entre nous. Une plus grande culture politique passerait aussi par le scolaire, c’est-à-dire des cours obligatoires au secondaire pour construire des compétences civiques, des cours qui expliqueraient notre système politique, les modes de scrutin, etc. Cela n’existe pas présentement.
Êtes-vous optimiste?
Infléchir une culture, cela prend du temps. Mais nous avons l’une des plus vieilles démocraties au monde, un système en constante évolution qui s’adapte… lentement, mais sûrement. L’élection de 2008, avec un taux de participation générale de 57% –une baisse aussi rapide jamais vue auparavant– a constitué un électrochoc. La présence des électeurs aux urnes est revenue à un taux plus acceptable par la suite. Mais rien ne garantit que 2008 ne se reproduira pas. Il est impératif de continuer à stimuler l’intérêt des gens pour la démocratie.
Publié le 12 novembre 2014
Publié le 14 novembre 2014 | Par claire Dubé
J'apprécie ce que j'ai reçu. J'ajoute le site Web de mon mari décédé le 13-11-2013.
www.yvondionne.org
Il était économiste, retraité, mais très intellectuel.
Claire
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