Que sait-on sur les causes du cancer du sein et sur les facteurs qui permettent de cibler les femmes les plus à risque?
Par Nathalie Kinnard
Comment développe-t-on le cancer du sein? La science tente de comprendre l’ennemi, mais le défi est ardu: comme pour plusieurs cancers, on ne connaît pas de cause précise à la maladie. Rien à voir avec une sinusite qu’on attribue directement à la présence d’une bactérie pathogène!
Ce qu’on sait par contre, c’est que la multiplication incontrôlée des cellules est inévitablement déclenchée par une consigne venue des gènes. Mais d’où vient ce dérèglement génétique, ou plus probablement cet ensemble de dérèglements? Encore là, aucune réponse claire…
Cette vidéo (1 min 50 sec) illustre l’apparition de cellules cancéreuses dans un organisme.
Une question de probabilités
S’ils n’arrivent pas à pointer un ennemi, les chercheurs ont par contre identifié plusieurs facteurs de risque, soit des caractéristiques qui augmentent la probabilité pour qu’une personne développe un jour le cancer du sein. Au banc des accusés: le sexe et l’âge, la densité mammaire, l’histoire médicale familiale et la présence de gènes de prédisposition à la maladie.
Mais attention! Facteurs de risque et cancer du sein ne sont pas synonymes. Plusieurs femmes cumulent plusieurs de ces facteurs et ne développeront jamais la maladie alors que d’autres, qui n’en présentent pas, auront tout de même ce cancer. Ces facteurs restent surtout utiles pour déterminer la minorité de femmes chez qui doivent se concentrer les efforts de détection précoce.
Selon les chercheurs Jacques Simard1 et Jocelyne Chiquette2, de la Faculté de médecine, ainsi que Michel Dorval3, de la Faculté de pharmacie, la lutte contre le cancer du sein passe par de meilleurs modèles mathématiques de prédiction des risques ainsi que par un profilage de risque génétique personnalisé chez le sous-groupe de femmes jugées plus menacées.
1 Jacques Simard est professeur au Département de médecine moléculaire, chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec (CRCHUQ), titulaire de la Chaire de recherche du Canada en oncogénétique et directeur de l’équipe des IRSC sur les risques familiaux de cancer du sein. ↩
2 Jocelyne Chiquette, professeure au Département de médecine familiale et de médecine d’urgence, est aussi chercheuse à l’Unité de recherche en santé des populations et membre fondateur du Centre des maladies du sein Deschênes-Fabia de l’Hôpital du Saint-Sacrement (CHU de Québec). ↩
3 Michel Dorval est professeur à la Faculté de pharmacie et chercheur à l’Unité de recherche en santé des populations. ↩
Quelle part occupe l’hérédité?
Coup d’éclat au milieu des années 1990. Des scientifiques associent 2 gènes au cancer du sein. Tous les espoirs thérapeutiques sont alors permis. BRCA1 et BRCA2 (pour Breast Cancer) sont des gènes spécialisés dans le contrôle de la division cellulaire. Tout le monde possède ces gènes qui protègent l’organisme contre le cancer en empêchant la formation de tumeurs. Cependant, chez environ 1 personne sur 1000, ces gènes présentent un défaut de fabrication –une mutation– et ne peuvent plus remplir leur rôle. Une mutation de BRCA1 ou de BRCA2 augmente le risque de développer un cancer du sein ou de l’ovaire.
L’équipe internationale de chercheurs à l’origine de cette percée scientifique, INHERIT BRCA (Interdisciplinary Health Research International Team on Breast Cancer), a démontré que les mutations de BRCA peuvent être transmises autant par le père que par la mère. «On n’hérite pas du cancer, mais d’une mutation», précise Jacques Simard, directeur de INHERIT BRCA et professeur à la Faculté de médecine.
On hérite généralement d’une mutation sur l’une des 2 copies des gènes BRCA1 ou BRCA2 (les gènes sont une portion d’un chromosome qui vient en paire dans une cellule). Le gène défectueux est donc hors service, mais l’autre gène est toujours capable d’arrêter les divisions de cellules anormales. Pour développer le cancer du sein, il faut subir une mutation dite spontanée sur le gène fonctionnel, mutation qui se produit sans qu’on en comprenne encore les causes. Ainsi, plusieurs femmes ayant hérité d’un gène BRCA défectueux, même si plus à risque, ne développeront pas la maladie, car elles ne subiront pas de mutations spontanées.
«Seulement 5 à 10% des cancers du sein s’expliquent par la transmission héréditaire d’une mutation qui prédispose au cancer», souligne Jacques Simard.
Alors pourquoi mettre tant d’énergie –et d’espoir– à comprendre les mutations de BRCA? Parce que les porteuses d’un gène BRCA imparfait ont de 10 à 30 fois plus de risques de contracter un cancer du sein qu’une femme sans mutation. Et le défaut de fabrication fait passer de 65 à 42 ans l’âge moyen auquel elles développent cette maladie.
On peut également hériter d’autres gènes indésirables, qui amplifient de 1 à 4 fois le risque de contracter la maladie. Ainsi, la moitié des femmes qui ont une mutation sur le gène BRCA2 auront le cancer du sein avant l’âge de 70 ans. Si elles possèdent également des gènes amplificateurs, ce chiffre grimpe à 7 sur 10. Les mutations héréditaires –et leur effet– ne sont pas toutes connues, mais Jacques Simard fonde beaucoup d’espoir sur la voie génomique: «On ne comprend que le tiers des causes génétiques du risque de développer un cancer du sein. Il en reste 65% à comprendre».
Y a-t-il des cancers de famille?
«Le tiers des femmes qui ont un cancer du sein ont une histoire familiale de cancers du sein ou de l’ovaire», déclare Jocelyne Chiquette, omnipraticienne au Centre des maladies du sein Deschênes-Fabia de l’Hôpital du Saint-Sacrement. Mais histoire familiale ne veut pas nécessairement dire hérédité. «La plupart de ces cas, souligne-t-elle, ne sont pas expliqués par un défaut génétique transmis à la naissance, contrairement aux cancers liés aux gènes BRCA.»
Est-ce le fruit d’un mauvais hasard qui fait que plusieurs femmes d’une même famille développent des tumeurs? Ou alors s’agirait-il de mutations génétiques spontanées consécutives à une exposition à certains polluants? Ou à l’interaction entre les gènes et des habitudes de vie propres à une famille, par exemple l’alimentation?
Tous ces éléments font partie de l’équation compliquée avec laquelle jonglent les chercheurs. Pourtant, Jacques Simard ne croit pas que la théorie de la mutation spontanée explique la majorité des cas de cancer du sein familiaux. Il penche pour la thèse du risque familial lié à des modèles génétiques complexes, où se combinent les effets de plusieurs gènes. «La susceptibilité génétique ne découlerait pas ici d’un gène défectueux comme BRCA1 ou 2, explique-t-il, mais plutôt d’une combinaison de plusieurs variations génétiques qui modulent l’expression ou la fonction de gènes. C’est le polymorphisme, ou risque polygénique.»
Michel Dorval, chercheur à l’Unité de recherche en santé des populations au CHU de Québec, déplore qu’on connaisse trop peu notre histoire médicale familiale. Selon lui, les femmes ont tout avantage à mieux connaître leur généalogie médicale, notamment pour le cancer de l’ovaire dont on parle moins, mais qui est un facteur de risque pour le cancer du sein. «Ce sera malheureusement de plus en plus difficile de connaître notre background médical avec les divorces et les familles reconstituées», signale Jocelyne Chiquette.
D’où vient le risque?
Présence d’un gène défectueux et existence du cancer du sein dans la famille sont donc deux éléments qui permettent de resserrer le cercle des personnes qui sont le plus à risque de développer la maladie. Mais si on reprend du début, le facteur de risque le plus large est certainement le sexe: oui, les hommes peuvent aussi avoir le cancer du sein, mais ils ne représentent que 1% des cas, c’est-à-dire 1 homme sur 2000, comparativement à 1 femme sur 9.
L’âge est un autre facteur de risque. On estime que 50% des cas de cancer du sein touchent les 50-69 ans. Au Québec, c’est d’ailleurs aux femmes de ce groupe d’âge que le programme de dépistage du cancer du sein offre une mammographie gratuite aux 2 ans.
Parmi les autres facteurs, on évoque la piste hormonale: menstruations précoces, ménopause tardive, utilisation de contraceptifs oraux. «Le cancer du sein est souvent hormono-dépendant; tout ce qui augmente le taux d’œstrogènes dans l’organisme est donc à risque», soutient Jocelyne Chiquette.
Comme pour plusieurs autres maladies, l’obésité (surtout chez les femmes ménopausées), la sédentarité, la consommation d’alcool et l’exposition à certains polluants pourraient augmenter la probabilité de développer un cancer du sein. «Mais on ne comprend pas bien encore les interactions entre la prédisposition au cancer du sein et les habitudes de vie, contrairement à la relation entre une alimentation déséquilibrée et un haut taux de cholestérol», poursuit l’omnipraticienne.
Depuis peu, les chercheurs s’intéressent aussi à la densité mammaire, liée à la quantité de gras dans les seins, comme facteur prédictif du risque de cancer du sein. La chose est d’autant plus délicate qu’il est difficile, dans ces seins, de distinguer entre tumeur et tissu mammaire, tous deux apparaissant en blanc sur les radiographies. Des études mentionnent que le risque de développer un cancer du sein est de 4 à 6 fois plus élevé pour les femmes aux seins denses. «Pourtant, la densité mammaire est encore trop peu utilisée par les médecins pour déterminer le risque de cancer du sein», regrette Jacques Simard.
Comment gérer le risque génétique?
Pour le cancer du sein, le seul facteur prédictif précis reste donc la présence de l’un des deux gènes défectueux BRCA et de gènes amplificateurs. C’est aussi la seule information concrète qui se détecte par un simple test –génétique. Mais le résultat n’est pas sans conséquences pour une femme porteuse des gènes incriminés. «Certaines personnes ne sont pas prêtes à gérer la nouvelle d’une prédisposition au cancer», signale Michel Dorval.
Actuellement, des tests de dépistage génétique sont offerts aux femmes dont l’histoire médicale familiale et personnelle laisse croire qu’elles pourraient avoir hérité d’une mutation de BRCA. Avec une simple prise de sang, on peut analyser les gènes à la recherche d’un défaut. «Le test permet d’estimer votre risque de développer un cancer du sein, rappelle Jocelyne Chiquette, mais pas de prédire si vous allez ou non contracter la maladie au cours de votre vie.»
Les femmes peuvent refuser de passer le test ou attendre le moment qui leur convient. En effet, certaines craignent la réponse, notamment par peur d’apprendre qu’elles ont transmis leurs gènes de prédisposition à leur descendance. «Il y a 1 chance sur 2 pour un parent de transmettre la mutation aux enfants», rapporte Jacques Simard.
Michel Dorval, en collaboration avec Jacques Simard et Jocelyne Chiquette, s’intéresse à la gestion du risque génétique. Ses études tentent d’anticiper les réactions des patientes au test de dépistage et de déterminer les conditions d’une bonne gestion du rique. À l’aide de questionnaires et d’entrevues, il documente ce que peut entraîner le fait de vivre dans une famille ayant des antécédents de cancer du sein. Parmi ses conclusions récentes: le résultat d’un test de susceptibilité génétique au cancer du sein n’affecte généralement pas les relations familiales lorsque les patientes sont bien encadrées.
«Quand les patients et leurs familles reçoivent les bons renseignements, on remarque peu de détresse psychologique, précise Michel Dorval. Ce qui renforce l’importance de bien communiquer les risques et d’adapter l’information aux caractéristiques de chacun. Par exemple, certaines voudront connaître leur risque par rapport à la population en général, alors que d’autres préféreront plutôt avoir en tête leurs chances de ne pas contracter la maladie». Le chercheur et son équipe conçoivent d’ailleurs des outils pour assister les femmes qui ont accès au test de dépistage, dont une rencontre avec un conseiller génétique qui explique les conséquences possibles des résultats.
Reste maintenant à mieux stratifier les groupes à risque pour cibler les femmes à tester en priorité. Et leur assurer un suivi selon leur risque personnel basé non seulement sur les gènes BRCA, mais aussi sur leur histoire familiale, sur leur risque polygénique et sur d’autres facteurs comme la densité mammaire.
Publié le 3 avril 2013
Publié le 5 avril 2013 | Par Mélanie Hudon
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