Le diagnostic: alarme, puis tremplin
Apprendre qu'on a le cancer déclenche souvent une quête existentielle qui, après réflexions et échanges, peut déboucher sur un bien-être psychologique.
Propos recueillis par Gilles Drouin
Le diagnostic de cancer tombe. Le choc psychologique, inévitable, prend de multiples formes: colère, culpabilité, déni, anxiété, dépression. Un deuil s’amorce. Le deuil de ce que nous sommes, de ce que nous pourrions être, de ce que nous aurions aimé être. La détresse existentielle se pointe. Il faut alors apaiser l’esprit tout en soignant le corps.
Professeur à la Faculté de pharmacie, le psychiatre Pierre Gagnon1 a récemment expérimenté une approche qui vise à mieux surmonter la détresse existentielle associée au diagnostic de cancer.
Qu’est-ce que la détresse existentielle?
La détresse existentielle fait référence aux questions de sens. Elle survient souvent quand les gens sont frappés par un événement difficile, comme un cancer. Ils ont alors tendance à remettre en question leurs valeurs et s’interrogent sur le sens de leur vie. Cette détresse fait aussi appel aux responsabilités. Pas de se sentir responsable ou coupable de sa maladie, mais plutôt responsable de sa vie, de ce qu’on a fait et surtout de ce qu’on va faire. Le diagnostic devient alors un signal d’alarme, et même un tremplin. Qu’est-ce que je fais à partir de maintenant? Quelles sont mes véritables valeurs? Suis-je un bon parent? Un bon travailleur? Est-ce que je veux laisser une belle marque derrière moi?
Pourquoi vous intéressez-vous à cette question?
Comme psychiatre, je traite les problèmes de dépression, d’anxiété ou encore d’insomnie liés à un diagnostic de cancer. Il existe une pharmacologie et des approches thérapeutiques pour soulager ces maux. Mais la détresse existentielle ne se traite pas de la même façon. Il n’y a pas de médicaments et même les psychothérapies doivent être conçues autrement, d’où l’intérêt de concevoir un programme particulier d’intervention.
1 Pierre Gagnon est psychiatre, directeur de l’Équipe de recherche Michel-Sarrazin en oncologie psychosociale et en soins palliatifs et membre du Centre de recherche en cancérologie de l’Université Laval. ↩
En quoi consiste cette intervention?
Notre recherche a porté sur 2 versions d’un programme. Une première version était destinée aux personnes ayant reçu un diagnostic de cancer sans métastase, c’est-à-dire sans propagation du cancer hors du site d’origine. Elle consistait en 12 ateliers, à raison de 1 par semaine. Il s’agissait d’ateliers de groupe, d’une durée de 2 heures, et d’ateliers individuels de 1 heure. Pour les personnes ayant un cancer métastatique, nous avons conçu une version plus condensée du programme.
Que se passait-il pendant ces ateliers?
Les rencontres étaient animées par une psychologue ou une travailleuse sociale. Les participants y discutaient de qualité de vie, de pensées et d’émotions, de deuil, de leur histoire de vie ainsi que de leurs attitudes devant la souffrance et face à la mort. Ils traitaient aussi des questions de sens liées à l’amour, la beauté, l’humour et la spiritualité.
Et quels sont les résultats?
Nous en sommes encore à analyser les données. Nous pouvons toutefois dire que l’intervention apporte un mieux-être à la plupart des gens. Il semble que l’effet soit plus grand dans les ateliers de groupe, en bonne partie grâce au soutien des autres et à l’échange de trucs. Sans surprise, les gens atteints de cancer avec métastases, donc avec une propagation de la maladie et un risque accrû de mortalité, vont plus rapidement au cœur des questions de sens.
De tels ateliers seront-ils bientôt offerts à tous les patients?
Nous vérifions actuellement certains éléments dans une 2e phase de la recherche. Nous souhaitons ensuite offrir ce programme aux patients. Une chose est déjà certaine: l’expérience démontre que la réflexion et les échanges sur le sens de la vie peuvent aider les patients à atteindre un sentiment de bien-être, qui va plus loin que «je ne suis pas déprimé».
Est-ce que la détresse varie selon les cancers et leur stade d’avancement?
La détresse est très fréquente dans les cancers qui menacent sérieusement la vie de la personne, mais aussi lorsque la maladie risque de laisser des séquelles importantes comme l’ablation d’un sein ou toute autre atteinte à l’intégrité de la personne, à l’image corporelle et à la perception de soi.
Vous avez mentionné que le diagnostic de cancer peut devenir un tremplin. Qu’entendez-vous par là?
La détresse existentielle peut s’ouvrir sur une occasion de croissance. Dans un premier temps, notre objectif est de diminuer la détresse pour éviter que la personne sombre dans la dépression. Ensuite, nous voulons surtout l’amener à un autre niveau. Nous savons, par exemple, que des femmes atteintes d’un cancer du sein avec métastases prennent souvent goût à la vie plutôt que d’être défaitistes. Elles relativisent davantage les petits problèmes de la vie, une attitude qu’elles auraient aimé avoir avant le diagnostic. La personne trouve parfois un bénéfice à la maladie. En fait, nos ateliers misent beaucoup sur le potentiel de résilience des humains.
L’extrait suivant (2 min 8 sec) provient d’une vidéo privée, où Pierre Gagnon discute avec des participantes aux ateliers de groupe. Merci à Lucie Prémont, qui a accepté la diffusion de son témoignage.
Peut-on surmonter plus facilement un cancer par une attitude positive, par la force de notre esprit, diraient certains?
Notre intervention peut aider les gens à éviter ce genre de théories sans fondement, qui ont d’ailleurs tendance à culpabiliser les personnes lorsque leur état ne s’améliore pas. Notre approche vise plutôt à améliorer le bien-être psychologique de la personne, en marge des traitements qu’elle reçoit pour son cancer, et non de lui faire croire qu’elle peut guérir uniquement par la force de son esprit. Toutefois, l’attitude positive fait en sorte que les gens suivent mieux leur traitement, qu’ils adoptent une meilleure hygiène de vie.
La spiritualité, que ce soit une religion ou une pratique de réflexion sur soi, peut-elle apporter un soutien important aux patients?
Pour aborder les questions existentielles, il n’est pas nécessaire de passer par la spiritualité. Dans la spiritualité, il y a une transcendance, un lien vertical vers quelque chose de plus grand que nous, une force supérieure. Avec la religion, cette transcendance est plus organisée. Dans notre approche, nous restons à l’horizontale, sur un socle où se posent les grandes questions humaines, universelles, des questions de sens. C’est sûr que pour un certain nombre de personnes, la religion ou plus largement la spiritualité donne un sens à la vie. Mais ce n’est pas vrai pour tout le monde, loin de là. Plusieurs trouvent un sens dans leurs réalisations, leur famille, leurs amis et dans l’amour des autres, de la musique ou de la nature. On peut trouver un sens à partir de la souffrance, pas dans le sens judéo-chrétien, mais dans une façon digne de faire face à sa souffrance.
Publié le 3 avril 2013
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