Les plantes médicinales font un retour en force dans la pharmacopée du 21e siècle. Petit tour d’horizon des nouvelles vedettes.
Par Pascale Guéricolas
Jusqu’à récemment, les traitements médicaux d’origine végétale semblaient confinés dans la catégorie des «remèdes de grand-mère». La production en usine de molécules de synthèse, qui a explosé dans la seconde moitié du 20e siècle, avait peut-être fait oublier que la nature est omniprésente dans les médicaments? Pourtant, comme l’expose le professeur à la Faculté de pharmacie Gilles Barbeau dans son plus récent ouvrage, Curieuses histoires d’apothicaires publié chez Septentrion, une vaste majorité de médicaments auraient une origine végétale.
Le saule, l’if, le ginseng, le pavot font partie de la multitude d’espèces utilisées parfois depuis l’Antiquité, et certains de leurs principes actifs se trouvent dans les comprimés fabriqués en série. Il suffit de penser à l’acide acétylsalicylique présent dans le saule et à partir duquel l’aspirine a été produite en laboratoire.
Un savoir historique
Dès la fin du 15e siècle, la découverte de l’Amérique fait l’effet d’une bombe sur la pharmacopée utilisée en Europe. La richesse de la biodiversité qu’on trouve en Amazonie ou dans les forêts tropicales constitue une véritable mine de nouveaux médicaments. Sans parler du nord du continent. Dans Curieuses histoires de plantes du Canada (Septentrion), un ouvrage en 3 tomes coécrit avec Jacques Cayouette et Jacques Mathieu, le professeur retraité du Département de phytologie Alain Asselin témoigne de la richesse de la flore du pays et de l’utilisation qu’en font les Amérindiens.
L’apothicaire français Louis Hébert profite de ce savoir dès son arrivée en Acadie, au début du 17e siècle. «Il fabrique un médicament à base de gomme de sapin baumier, que lui font connaître les membres des Premières Nations, et d’huile de navette, venue de France, explique Alain Asselin. Il s’agit du premier exemple de traitement végétal qui conjugue les savoirs européen et amérindien.» Cette pâte médicinale rassemble le meilleur des deux mondes. Elle s’appuie sur les qualités antiseptiques du sapin baumier, tandis que l’huile de navette, tirée des graines d’une plante cultivée en France ressemblant à un navet, favorise l’absorption du principe actif.
Jusqu’à la Conquête, plusieurs herboristes et apothicaires installés en Nouvelle-France s’affairent à documenter auprès des Autochtones les effets de la sanguinaire du Canada, de la sève d’érable, de certaines fougères capillaires ou de la canneberge. Décoctions, sirops, cataplasmes permettent alors de lutter contre la toux, le scorbut, les maladies qu’on appelle alors «vénériennes», les insuffisances cardiaques. Ce savoir s’amenuise cependant lorsque les Britanniques prennent les rênes de la colonie, car ils ont moins de contacts avec les Amérindiens que les Français. «Au 18e et au 19e siècle, les connaissances médicinales des Premières Nations se transmettent beaucoup moins, en partie parce qu’on a tendance à ridiculiser leurs connaissances», constate Alain Asselin.
Retrouver leur lustre
Or, depuis une dizaine d’années, un nombre grandissant de recherches contribuent au retour en force des végétaux en tant qu’arsenal pour prévenir certaines maladies. Il en ressort même des découvertes qui poussent à imaginer des traitements totalement nouveaux.
Par exemple, Jean-Pierre Julien, professeur au Département de psychiatrie et de neurosciences1, s’intéresse à la Withania somnifera, aussi appelée ginseng indien, une plante favorisant le repos et utilisée depuis plus de 4000 ans pour ses qualités médicinales contre le surmenage. Selon les travaux menés par ce chercheur et son équipe, des composés de cette espèce végétale seraient prometteurs pour le traitement de maladies neuro-dégénératives comme la sclérose latérale amyotrophique (SLA), mieux connue sous le nom de maladie de Lou Gehrig. Pour l’instant, il n’existe pas de médicament pour contrer cette maladie qui provoque une lente dégénérescence des neurones en lien avec les muscles. Progressivement paralysés, la plupart des patients meurent de complications respiratoires moins de 10 ans après leur diagnostic.
Des recherches ont montré qu’il y a présence d’inflammation dans les cellules des neurones moteurs des personnes atteintes de la SLA. Or, la molécule withaférine A, qu’on trouve dans le ginseng indien, combat cette inflammation. Actuellement, le ginseng pousse en abondance en Inde. Son prix, assez bas, rend l’extraction de sa molécule active plus économique que sa synthèse en laboratoire, note Jean-Pierre Julien. Le professeur a déposé une demande de brevet avec ses collaborateurs pour tester d’autres molécules actives et les combiner à la withaférine A. Ces composés auraient l’avantage de réduire la toxicité du produit qui peut être néfaste à doses élevées. L’équipe doit décider avant le mois de mai si les tests précliniques sont assez prometteurs pour effectuer des essais chez les humains d’ici un an.
«Nous savons déjà que ce composé n’enrayera pas la maladie, reconnaît Jean-Pierre Julien. Par contre, il pourrait atténuer les symptômes des malades et peut-être venir en aide à ceux qui souffrent d’autres dérèglements du système immunitaire, comme la démence fronto-temporale ou l’alzheimer.»
1 Jean-Pierre Julien est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les mécanismes de neurodégénérescence et membre du Centre de recherche CERVO. ↩
Le secret est dans les baies
Certaines baies comme les bleuets, les fraises, les canneberges ou la chicoutai, surtout présente sur la Côte-Nord, semblent aussi contenir des molécules curatives intéressantes. Daniel Grenier, professeur à la Faculté de médecine dentaire2, s’intéresse à l’efficacité d’extraits de diverses plantes pour traiter des maladies parodontales. Des molécules présentes dans les bleuets sauvages, mais aussi dans la réglisse, la rhubarbe et la cannelle, auraient pour effet d’empêcher les bactéries dommageables de se fixer aux tissus buccaux tout en réduisant l’inflammation de ces derniers. Un traitement plus naturel que le recours aux antibiotiques, notamment après une chirurgie.
Par ailleurs, déjà conscients de l’importance d’un régime alimentaire équilibré comprenant des fruits et des légumes pour leur apport riche en fibres et en vitamines, les spécialistes découvrent depuis quelques années l’importance des polyphénols. Ces molécules d’origine végétale, qui se trouvent en concentration relativement élevée dans le raisin et dans les petits fruits,exerceraient, elles aussi, des effets positifs sur la santé.
C’est ce que tendent à démontrer de récents travaux menés par des chercheurs de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) et du Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec sous la direction d’André Marette, professeur au Département de médecine3. Après avoir soumis des souris à un régime riche en sucres et en gras, on a introduit dans leur alimentation des extraits de petits fruits nordiques comme l’airelle rouge, la chicoutai et la busserole alpine. Résultat, les polyphénols présents dans ce type de baies ont pu favoriser le métabolisme de certaines molécules dans le foie.Non seulement celles-ci ont contribué à diminuer l’accumulation d’acide gras, mais elles ont aussi prévenu la résistance à l’insuline.
2 Daniel Grenier est aussi membre du Groupe de recherche en écologie buccale. ↩
3 André Marette est également directeur de la Chaire de recherche sur la résistance à l’insuline et les complications cardiovasculaires et membre du Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’obésité et de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF). ↩
Pourquoi tant de bienfaits?
L’effet des plantes sur notre mieux-être physique fascine aussi le professeur au Département de phytologie Yves Desjardins4. Les modes d’action des molécules végétales ingérées sous forme de fruits ou de légumes l’ont cependant longtemps laissé perplexe. En effet, une très grande partie des molécules bénéfiques présentes dans ces aliments sont éliminées par le système digestif. «Notre compréhension des mécanismes d’action a changé depuis trois ou quatre ans. Nous ne parlons plus de leurs effets antioxydants (ou correcteurs), mais plutôt de leurs effets prébiotiques (ou protecteurs), explique le professeur. En agissant sur la flore intestinale, qu’on appelle aussi microbiote, ces molécules peuvent la moduler et l’influencer de manière positive.»
Autrement dit, les polyphénols ont un effet anti-inflammatoire sur des molécules précises. Ils favorisent l’action de certaines bactéries bénéfiques présentes dans notre écosystème intestinal, leur donnant les moyens de prendre le dessus sur les bactéries pathogènes. Une raison de plus, selon André Marette, de mettre fruits et légumes à son menu. «Depuis longtemps, nous constatons que les changements nutritionnels font des petits miracles chez les diabétiques et pour la prévention des maladies cardiovasculaires, indique le professeur. Les polyphénols, ajoute-t-il, semblent particulièrement concentrés dans les petites baies qui poussent dans des conditions difficiles.»
Pour comprendre le lien entre une haute concentration de polyphénols et les plantes soumises à un environnement hostile, par exemple une saison de végétation courte, il faut voir ces molécules comme des armes de défense. «Un végétal doit se battre au quotidien contre un tas d’envahisseurs», explique Alain Asselin. Au fil de l’évolution, les plantes ont donc développé des molécules antifongiques et antibactériennes pour se protéger. C’est le cas de l’acide salicylique, un analgésique qu’on trouve entre autres dans les feuilles de tabac. En plus, ces molécules médicinales présentes chez les plantes remplissent plusieurs fonctions, notamment déclencher des réactions d’adaptation en cas de stress (champignons, bactéries, virus). Ingérées par l’humain, elles renforcent les mesures de protection à la disposition du microbiote.
4 Yves Desjardins est aussi membre de l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) et du Centre de recherche en innovation sur les végétaux. ↩
Conscients de ce potentiel, les chercheurs s’intéressent aux plantes installées dans des climats particulièrement ardus. Les zones où tombent des pluies abondantes, comme l’Amazonie, mais plus récemment le Grand Nord. Grâce à une cueillette effectuée dans la région de Salluit, au Nunavik, par son collègue du Département de biologie Stéphane Boudreau, le professeur au Département de chimie Normand Voyer5 a pu analyser un lichen qui pousse à raison d’un ou deux millimètres par an, le Stereocaulon paschale. Parmi ses composés, six précédemment identifiés sur d’autres organismes vivants sont reconnus pour leur activité antimicrobienne contre des pathogènes liés à la carie et aux maladies parodontales. Mais surprise! Ce végétal, très prisé des caribous, contient deux composés jusqu’alors totalement inconnus sur notre planète.
Cette découverte s’avère très intéressante, car on ignorait que ce coin isolé du monde pouvait recéler des végétaux susceptibles de faire partie de notre pharmacopée. «Une richesse inestimable dort dans le Nord, insiste Normand Voyer. Une richesse extrêmement fragile, car très sensible aux changements climatiques et au développement économique d’une région dont beaucoup rêvent d’exploiter les gisements miniers ou pétroliers.» Le chimiste veut poursuivre ses recherches et se pencher sur la protection de cette région du monde. Car là se trouve peut-être un eldorado vers lequel se tourner pour soigner les humains dans l’avenir.
5 Normand Voyer est également directeur du Laboratoire de chimie bio-organique supramoléculaire. ↩
Publié le 18 avril 2018
Publié le 21 avril 2018 | Par Ruette Daniel
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